«Je suis fils unique, né à Paris en 1934. Mes parents, originaires de la Lituanie, ont été naturalisés Français dans les années 1930.»
Élie Dawang débute ainsi son témoignage en ce 27 janvier, Journée internationale en mémoire des victimes de l’Holocauste.
Dans une salle du Musée de l’Holocauste de Montréal, l’un des plus jeunes survivants de la Shoah raconte son histoire. Appuyé à une table, debout, les yeux presque toujours fermés, l’homme de 83 ans, parle plus d’une heure sans s’arrêter ne serait-ce qu’une seule fois pour prendre une gorgée d’eau.
Éli Dawang, le fils de Fawish et de Shaina, a 6 ans quand, en 1940, les Allemands envahissent la France. «Paris a été déclarée ville ouverte, c’est-à-dire qu’elle s’est rendue sans qu’il y ait eu échanges de coups de feu», rappelle-t-il aux soixante personnes présentes ce vendredi après-midi. Il y a exactement 72 ans, le 27 janvier 1945, le camp d’Auschwitz-Birkenau était libéré par les troupes soviétiques.
C’est dans ce camp que le père et la mère du jeune Élie ont été déportés. Shaina, sa mère n’en est jamais revenue. «Je ne sais même pas si elle est arrivée vivante à Auschwitz. Je n’en ai aucune idée. Si elle est arrivée vivante, elle a aussitôt été gazée puis on a brûlé son corps dans les fours crématoires», dit-il.
Son père, qui faisait partie du tout premier convoi de juifs français à se rendre au camp, est aussitôt sommé de joindre le Kommando Kanada. «Vous ne le croirez pas lorsque je vous dirai le nom de son groupe», lance Éli Dawang. Ces prisonniers, de solides gaillards, étaient chargés de trier les vêtements et les effets personnels des nouveaux arrivants au camp d’extermination.
Fawish Dawang pourra raconter ces événements à son fils car il sera libéré à la fin de la guerre.
«Je me souviens très bien quand j’ai revu mon père», raconte Élie. «J’étais en classe. Le directeur ouvre la porte et un homme court. Il me prend dans ses bras. Il pleurait. Je pleurais aussi. Je l’avais reconnu. C’était mon papa.»
Les deux s’établiront au Canada en 1951. «Je me suis marié. J’ai eu deux enfants et j’ai aujourd’hui quatre petits-enfants», dit Élie Dawang. À la mention de ses petits-enfants, il affiche un large sourire.
«Si je vous ai raconté tout cela, c’est que j’ai une conviction», lance-t-il à la fin de son témoignage. «Quand on regarde notre monde aujourd’hui, ce n’est pas le paradis terrestre. Mais il faut qu’on arrive à s’entendre. Que l’on soit juif, musulman, chrétien, hindou, croyant ou non-croyant, il faut arriver à vivre ensemble.»
Des témoignages pour combattre les génocides
Quelques minutes avant que ce survivant ne prenne la parole, Alice Herscovitch, directrice générale du Musée de l’Holocauste confie que «ceux et celles qui viendront écouter Élie Dawang seront parmi les derniers à entendre ces témoignages de vive voix».
«Montréal a été une terre d’accueil pour les survivants de l’Holocauste.» La directrice générale rappelle que plus de 9000 sont arrivés après la guerre et avant 1952. «Ils ont établi leurs racines ici. Ils font partie de la communauté montréalaise. Ce sont des voisins. Ils ont contribué à bâtir notre société.»
«Mais ils sont de moins en moins nombreux, à cause de leur âge», ajoute Mme Herscovitch «Quand les survivants ont commencé à témoigner, c’était pour combattre la négation. Mais c’était aussi pour aider les gens à comprendre les conséquences humaines d’un génocide.»
«Quand on donne des chiffres, c’est de l’histoire. Mais quand une personne témoigne de sa propre histoire, c’est différent. Dans quelques années, on n’aura plus la possibilité de les entendre de vive voix», dit la responsable du musée.
La tenue, le 27 janvier de chaque année, d’une Journée internationale en mémoire des victimes de l’Holocauste est importante car «il faut se souvenir du passé afin d’agir sur le présent», dit-elle.
«Cette journée nous permet de réfléchir au fait que des millions de personnes ont été tuées parce qu’elles étaient juives. D’autres centaines de milliers de personnes ont été tuées car elles étaient Roms, homosexuelles ou Témoins de Jéhovah. Ces minorités ont été ciblées puis persécutées par un gouvernement, parce que cela lui semblait la façon de gagner du pouvoir, de repartir une économie, de rebâtir un pays», ajoute-t-elle.
Selon la directrice générale du Musée de l’Holocauste Montréal, encore aujourd’hui, «on a tendance à cibler des minorités. Quand on regarde autour de nous, on est un peu inquiets», confie-t-elle, rappelant que, 72 ans après Auschwitz, «on parle encore aujourd’hui de crimes contre l’humanité et de génocides».
Elle pense notamment au sort des Yézidis, à la guerre en Syrie «où il y a certainement du ciblage des minorités», à la crise des réfugiés alors que des pays refusent de leur ouvrir leurs portes.
«Oui, il y a des ressemblances. Les situations sont différentes mais elles ont le même résultat, soit le massacre de personnes qui appartiennent à un groupe minoritaire.»