Quelques jours avant que les membres du conseil national de Développement et Paix ne prennent connaissance des conclusions de l’examen des 52 partenaires de l’organisme soupçonnés de ne pas respecter les enseignements de l’Église catholique, la direction affirme publiquement pour la toute première fois qu’aucun partenaire n’a été privé de financement durant les trois dernières années.
«Ce n’est pas vrai que des partenaires de Développement et Paix ont cessé de recevoir leur financement», lance Romain Duguay, le directeur général adjoint de Développement et Paix, lors d’un entretien téléphonique. «Cela n’a jamais été le cas.»
Serge Langlois, le directeur général de Développement et Paix, a pourtant déclaré en novembre 2018 que l’organisme avait «émis un moratoire temporaire sur le financement» de 52 partenaires épinglés lors de recherches menées par le personnel de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC). De plus, le 29 mars 2019, l’organisme renouvelait, pour une autre année, le moratoire sur «le financement des 52 partenaires jusqu’à ce que toutes les questions concernant leur acceptabilité aient été résolues».
«En 2018, l’OCCDP [ndlr: Développement et Paix] a imposé un moratoire au financement des 52 partenaires jusqu’à ce que toutes les questions concernant leur acceptabilité aient été résolues», disait-on. Puis on ajoutait: «Tous les fonds recueillis dans la campagne du Carême de partage 2019, tout comme l’année dernière, serviront à soutenir d’autres projets de justice, de solidarité et de paix qui sont entièrement conformes aux valeurs et aux principes de l’Évangile et de la doctrine sociale de l’Église.»
«Très juste», indique M. Duguay, qui estime que c’était clair qu’il ne s’agissait que de l’argent de Carême de partage.
«Le moratoire ne disait pas que les partenaires avaient été suspendus au niveau financier. C’est l’argent du Carême de partage qui ne leur serait pas versé», notamment pour de nouveaux projets et non pas les sommes que Développement et Paix s’était engagé à remettre à ces organismes avant que le moratoire ne soit effectif.
Le directeur général adjoint assure que tous les partenaires de Développement et Paix ont reçu leur financement promis. «En attendant que l’examen [des partenaires] soit terminé et que les clarifications aient toutes été obtenues, aucun partenaire n’a cessé de recevoir son financement», répète Romain Duguay.
Des organismes graciés?
Avant même l’adoption des conclusions de cet examen par son conseil national, Développement et Paix a annoncé, le 13 novembre, qu’il sollicite dorénavant des fonds pour deux de ses partenaires du Honduras, la Fundación ERIC et Radio Progreso, deux groupes liés aux jésuites qui, il y a un an encore, étaient sous enquête pour avoir tenu des propos ou publié des articles qui «pourraient être incompatibles avec l’enseignement social et éthique catholique».
La veille, le jeudi 12 novembre, Développement et Paix a fièrement annoncé, sur Twitter, qu’un de ses partenaires d’Haïti, Fanm Deside, a obtenu une importante subvention du ministère québécois des Relations internationales et de la Francophonie. Il y a un an, ce groupe de femmes révélait pourtant avoir reçu une nouvelle demande de la CECC qui voulait connaître sa position sur la légalisation de l’avortement en Haïti avant de rétablir son financement.
Ces annonces sur la Fundación ERIC, la station Radio Progreso et Fanm Deside sont-elles un signe que ces partenaires ne font désormais plus partie de la liste des 52 dont on questionne depuis trois ans le respect des enseignements de l’Église?
«Je ne peux faire de commentaires sur le rapport des 52 [partenaires] à ce stade-ci», indique Romain Duguay, le directeur général adjoint de Développement et Paix. Ce rapport, déjà approuvé par la CECC, n’a pas encore été accepté par les membres du conseil national de Développement et Paix.
Le dirigeant ne veut pas non plus, «à ce stade-ci, affirmer ou nier l’appartenance de ces partenaires à la liste». Il rappelle que «les noms des partenaires n’ont pas officiellement été partagés». L’agence de presse Présence a obtenu cette longue liste en 2018.
Gisèle Turcot, la supérieure générale de l’Institut Notre-Dame du Bon-Conseil de Montréal, s’est réjouie de l’annonce de cette subvention à Fanm Deside, un organisme avec lequel sa congrégation a des liens privilégiés puisque des religieuses ont participé à sa fondation à Jacmel, en Haïti, dans les années 1980.
Fanm Deside serait enfin «gracié», comprend la religieuse qui a multiplié les démarches auprès des évêques haïtiens et canadiens en faveur de ce groupe de femmes. «Je n’étais pas au courant de cette subvention. Et je n’ai reçu aucune nouvelle, ni de Développement et Paix, ni de la CECC», dit-elle.
«Je suis très heureuse, bien sûr, mais aussi étonnée de l’apprendre. Pour moi, c’est une reconnaissance que les reproches adressés à ce groupe ne sont pas fondés et que les obstacles au financement de ses projets sont finalement levés», dit sœur Turcot.
Du côté des jésuites du Canada, on n’était pas au courant que Développement et Paix avait invité son réseau à financer de nouveaux projets de la Fundación ERIC et de Radio Progreso. «On va attendre après la rencontre du conseil national pour commenter», a indiqué José Sánchez, directeur des communications des Jésuites du Canada.
Le rapport intégral
C’est lors de la prochaine rencontre du conseil national de Développement et Paix que les conclusions de l’examen des 52 partenaires sera examiné. Romain Duguay révèle alors que «le rapport ne sera donné, au complet, à personne».
«C’est un document confidentiel», insiste-t-il.
«On va donner les conclusions du rapport, on va expliquer ce qu’on a appris et on va annoncer les changements qu’on doit apporter. Mais le détail ne sera montré à personne, à part peut-être les chargés de projets qui ont la tâche d’effectuer le suivi» avec les partenaires de Développement et Paix.
Les membres du conseil national pourront-ils consulter l’intégralité de ce rapport préparé par les dirigeants de la CECC et de Développement et Paix avant de l’adopter? «Je ne suis pas sûr», indique le directeur général de Développement et Paix. «C’est une décision qu’ils vont devoir prendre eux-mêmes. En tant que membre de la direction, j’obéirai aux ordres du conseil national.»
Une source bien informée, mais qui exige l’anonymat en raison du climat de suspicion qui prévaut à l’intérieur de Développement et Paix, confirme que le rapport ne mentionne aucunement les noms des 52 partenaires. Tous les noms des organismes «ont été remplacés par des numéros». On indique toutefois les pays où ils œuvrent.
Ce qui est certain, dit Romain Duguay, c’est que les noms des 52 partenaires ne paraîtront pas dans les communications publiques que fera Développement et Paix après la rencontre du conseil national. À moins que les membres du conseil national n’en décident autrement.
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