Le 15 août marque la fête nationale des Acadiens. Or, le principal diocèse acadien – celui de Moncton – vit depuis quelques années de profonds bouleversements. Pour pouvoir redresser la situation de la pastorale et du patrimoine, l’archevêque de Moncton, Mgr Valéry Vienneau, ne s’en cache pas: il faut avant tout régler le dossier des abus sexuels.
L’œil vif, l’air décontracté, l’homme de 70 ans est bien calé dans son fauteuil. Il ne bronche pas quand il raconte son parcours. Cet ancien aumônier de l’Université de Moncton a été évêque du diocèse de Bathurst, dans le nord-est du Nouveau-Brunswick, de 2002 à 2012. C’est là qu’il a d’abord été confronté à la réalité des abus sexuels en Église, quand de nombreuses victimes – dont celles du père Lévi Noël – ont commencé à exiger réparation dans la deuxième moitié de la dernière décennie.
«On s’est demandé comment on allait pouvoir gérer ça. Il fallait trouver quelqu’un pour mener un tel processus. Quelqu’un qui avait de la crédibilité», dit-il. Cette personne, ce fut Michel Bastarache, ancien juge à la Cour suprême du Canada (1997-2008), qui a accepté de piloter le processus de dédommagement.
Faire face aux abus, de Bathurst à Moncton
Valéry Vienneau venait de traverser le gros de la crise à Bathurst lorsque Rome l’a nommé archevêque de Moncton en 2012. L’année précédente, les révélations des nombreux abus commis par Camille Léger dans le village de Cap-Pelé, dont il faisait partie des leaders communautaires, a déclenché une vague d’indignation.
«Quand je suis arrivé à Moncton en 2012, je savais que j’arrivais dans quelque chose comme ça, car ça avait éclaté en 2011. Mais je ne me doutais pas de l’ampleur du dossier», admet Mgr Vienneau.
«Ce que j’ai trouvé le plus difficile à Moncton, c’est que je suis natif de Cap-Pelé, la paroisse de Camille Léger. Ça veut dire que les victimes sont de mon âge, ou plus jeunes», relate celui qui avait 10 ans quand le père Léger est devenu curé de son village.
«Lorsque ça a éclaté, Mgr André Richard [archevêque de Moncton de 2002 à 2012] est allé faire des excuses à Cap-Pelé et a reconnu que c’était probablement tout vrai. Quand je suis arrivé après coup, les gens ont voulu que je fasse la même chose. Les excuses avaient déjà été présentées. Mais j’y suis retourné. Ce n’était pas facile. J’ai expliqué aux gens que comme ancien paroissien, j’étais aussi déçu qu’eux. Ce n’est pas parce que je suis évêque que c’est différent», poursuit-il.
Moncton a aussi fait appel à Michel Bastarache pour son processus de règlement hors cour. Cependant, plusieurs victimes ont choisi de ne pas suivre ce processus et préfèrent passer par les tribunaux.
Améliorer les protocoles
Tant à Bathurst qu’à Moncton, il a insisté pour que les protocoles de vérifications soient mis à jour et resserrés. Ce qui a d’ailleurs frustré certains bénévoles, qui ont senti qu’on ne leur faisait plus confiance lorsqu’on a soudainement exigé une vérification judiciaire. Les anciens protocoles s’inspiraient des balises émises en 1992 par la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), mais n’étaient plus suffisamment précis. Mgr Vienneau attend avec impatience le nouveau document de la CECC afin de pouvoir peaufiner davantage ses protocoles.
«Avec tout ce que je vis, des fois – il faut être honnête – j’aurais le goût de partir. Mais je ne voudrais pas partir et laisser ça à un autre. Je veux essayer de clore le dossier pour qu’un autre puisse arriver et se donner à la pastorale. Ce sera peut-être réglé dans trois ou quatre ans. Espérons pour les victimes aussi, parce qu’elles aussi attendent», confie-t-il. «Les victimes ont des droits de compensation. Leur intégrité a été blessée. On a une justice à réparer comme Église!»
Il estime qu’une fois que les indemnisations auront été totalement payées, elles auront coûté de 8 à 10 millions de dollars à l’archidiocèse de Moncton.
La cathédrale sauvée in extremis
Cette situation a des répercussions directes sur l’avenir du diocèse et sur les services qu’il est en mesure d’offrir.
Outre le dossier des abus, Mgr Vienneau a parallèlement eu à s’attaquer à celui de la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption. Érigé à la fin des années 1930 et récemment désigné monument historique national, le bâtiment dont la décoration intérieure rappelle l’histoire des Acadiens était menacé de démolition en raison de sa dégradation. En 2012, c’était d’ailleurs le scénario le plus probable envisagé. Or, un projet d’aménagement de locaux pour héberger des organismes acadiens a fini par sensibiliser les gens à la sauvegarde du lieu. Une collecte a permis d’amasser 6,1 millions de dollars, ce qui a servi à réparer les fondations en 2016. Cet été, on procède à la restauration de la toiture; l’an prochain, ce seront les fenêtres. Le chantier se terminera en 2020 ou en 2021 avec la restauration de la pierre qui recouvre l’édifice.
«Ce qui est important, c’est que, chaque été, les gens nous voient travailler sur la cathédrale. Car les gens donnent de l’argent, mais ils ne veulent pas du tout que ça aille pour le dossier des abus sexuels», note l’archevêque.
Bien que l’archidiocèse soit toujours propriétaire de la cathédrale, sa gestion est confiée à une corporation laïque, ce qui permet d’assurer une saine séparation des dossiers. C’est elle qui gère l’argent destiné à l’aménagement des bureaux dans la cathédrale. «C’est un projet indépendant et financé de façon séparée et non à partir de la collecte», précise Mgr Vienneau.
Assurer la vitalité des paroisses
Mais cette sauvegarde in extremis n’est que la pointe de l’iceberg du défi de la vitalité des paroisses.
L’archidiocèse compte aujourd’hui une cinquantaine de paroisses. Toutes sont déjà des «unités pastorales», hormis celle située sur le campus de l’Université de Moncton. Une étude commandée par le diocèse a permis de constater que dix-neuf d’entre elles sont en danger. Quatre ferment d’ailleurs leurs portes cette année.
De septembre à décembre 2017, Mgr Vienneau a visité chacune des paroisses à risque. «Si vous êtes capable d’avoir un plan de redressement pour les finances et assurer votre vitalité, je ne vais pas vous fermer», leur a-t-il promis.
Il espère que la situation connaîtra une accalmie au cours des prochaines années, mais il demeure réaliste quand il note qu’il y a encore quinze églises sur le territoire de Moncton et de ses voisines Dieppe et Riverview. «Pas sûr qu’on ait besoin d’autant que ça», reconnait-il.
Pastorale: vivre avec des moyens limités
Sur le plan purement pastoral, les défis restent grands et aucune solution évidente ne semble émerger. Moncton compte actuellement deux candidats à la prêtrise: un Philippin et un pasteur presbytérien converti au catholicisme. Un nouveau programme pour le diaconat permanent a commencé à porter des fruits avec le premier diacre d’une cuvée que l’on espère voir grandir. Idem pour un programme sur la préparation au baptême, qui a permis de former une centaine de bénévoles ces dernières années.
«Je n’ai plus beaucoup de personnel, alors je ne peux plus m’attaquer à beaucoup de situations. Mais on fait du mieux qu’on peut», dit Mgr Vienneau.
Pour dédommager les victimes d’abus, Moncton a dû vendre son centre diocésain et réduire son personnel. Il avait auparavant quatorze employés, dont presque tous travaillaient à temps plein. Depuis, il est passé à neuf et il n’en reste que deux qui travaillent à temps plein, dont l’archevêque lui-même. Et les salaires ont été réduits.
«On n’arrive pas à développer ce qu’on voudrait. On n’a plus de pastorale jeunesse comme telle», explique-t-il, précisant qu’on soutient cependant des initiatives jeunesses ponctuelles.
L’Église et la culture acadienne
Une situation qui l’inquiète un peu pour l’avenir de la foi chez les Acadiens, chez qui l’Église a joué un rôle de préservation et de transmission culturelle à travers l’histoire. Craint-il qu’avec la baisse de la pratique et la précarité de l’Église, l’Acadie ne perde une part de sa culture?
«Je crois que oui. Aujourd’hui, on dirait qu’on n’est pas porté à vouloir sauvegarder la tradition, les symboles, les choses qui ont marqué vraiment notre identité. Ça s’évapore, ça ne prend pas racine. Après quelques générations, qu’est-ce qui va rester?», s’inquiète Valéry Vienneau, qui observe par exemple que l’hymne national acadien – Ave Maris Stella – est de moins en moins connu et chanté. «L’Église a été la force des Acadiens. Et ce depuis les Conventions nationales à Memramcook (1881) et Miscouche (1884). Aujourd’hui, vers qui on se tourne?»
Il croit que dans un tel contexte, l’Église de Moncton sera inexorablement plus petite, mais appelée à être «plus forte, plus vibrante», délestée d’une large part de son actuel parc immobilier.
«Je souhaite qu’on retrouve la fierté d’être catholiques. À cause de tout ce qui s’est passé, on a perdu un peu de crédibilité. Un peu pas mal… On dirait qu’on a un peu honte. Quand on n’a pas cette fierté-là, je crois que ça nuit à la vitalité de l’Église. Comment peux-tu t’engager si tu n’es pas fier d’être membre de cette Église? Mais je ne blâme pas les gens: ce qui est arrivé, ce n’est pas les gens qui sont à blâmer. Mais ça se reflète chez tous. On est encore chanceux que des gens continuent malgré tout ce qui s’est passé.»
Mis à jour à 11 h 05 le 20 août 2018 : Précision concernant la séparation de l’argent destiné d’une part à la restauration de la cathédrale et d’autre part à l’aménagement des bureaux dans la cathédrale.