Des églises sont attaquées, des rumeurs blâment les musulmans de propager le coronavirus, des manifestants allemands utilisent des symboles de la Shoah pour protester contre les mesures de lutte contre la pandémie. Un peu partout dans le monde, des minorités religieuses déjà vulnérables deviennent des boucs émissaires de la crise sanitaire. Parallèlement à la lutte contre le coronavirus se profile un autre combat: celui contre la haine.
Des juifs auraient-ils délibérément empoisonné les puits d’eau potable pour se venger des chrétiens? La rumeur court plus vite que la maladie et mène à des pillages et des massacres contre les juifs. C’était en 1350, lors d’une épidémie de peste bubonique qui emporta près du tiers de la population européenne. Les pogroms ont mené, quant à eux, à la disparition de plusieurs communautés juives d’Europe.
Six siècles plus tard, des rumeurs et des théories du complot similaires circulent un peu partout sur la planète, accusant à tort de multiples minorités religieuses d’être responsables de la propagation de la COVID-19.
Musulmans ciblés en Inde
La discrimination contre la minorité musulmane de l’Inde a augmenté d’un cran depuis le début de la crise. Des théories du complot circulent sur la toile, diffusant l’idée que des musulmans ont inventé le virus pour mener le djihad [guerre sainte] ou qu’ils propagent délibérément le virus en crachant, par exemple, sur la majorité hindoue. Avant d’être retirés par Twitter, les mots-clics «Corona Jihad» et «Tablighi Jamaat» – du nom d’une association musulmane ayant tenu un rassemblement accusé d’être à l’origine de la pandémie au pays – ont généré des centaines de milliers de partages. Depuis le début de la pandémie, des musulmans, y compris des bénévoles distribuant de la nourriture, ont été attaqués dans la rue. Des commerces musulmans ont été boycottés. Des hôpitaux ont refusé de fournir des soins à des musulmans, ce qui a notamment mené à la mort de deux nouveau-nés en avril.
Le gouvernement indien a été critiqué pour le confinement national imposé en mars piètrement préparé, mais les autorités ont plutôt détourné l’attention vers le rassemblement de Tablighi Jamaat, analyse Roshni Kapur, chercheuse spécialisée dans la résolution de conflit au Sri Lanka à l’Université nationale de Singapour, sur le site du Middle East Institute.
L’Inde est actuellement l’un des pays les plus touchés dans le monde par la pandémie, avec près de 5 millions de cas d’infection et plus de 75 000 morts, selon les données de l’Université John Hopkins, à Baltimore.
La discrimination religieuse en hausse
Mais l’Inde est loin d’être le seul pays où les minorités religieuses deviennent des boucs émissaires de la pandémie. Au Sri Lanka, le gouvernement a rendu obligatoire l’incinération du corps des victimes de la COVID-19, même si les experts internationaux considèrent que l’enterrement est tout aussi sécuritaire. L’incinération étant une pratique interdite par l’Islam, les musulmans dénoncent cette mesure comme une violation à la liberté religieuse.
En Allemagne, note une recrudescence des attaques contre les juifs, alors qu’un antisémitisme décomplexé s’affiche dans les manifestations contre les mesures gouvernementales, observe Human Rights Watch. Au Royaume-Uni, des groupes d’extrême droite utilisent la pandémie pour propager des messages à caractère haineux sur des réseaux comme Twitter, Facebook, Telegram et WhatsApp, observent des chercheurs britanniques. Des messages partagés des milliers de fois associent par exemple les musulmans à de la vermine, appellent à une prochaine croisade ou à la destruction des mosquées comme solution à la pandémie.
En Turquie, les minorités ethniques et religieuses subissent davantage d’intimidation et d’attaques depuis quelques mois. Des églises arméniennes ont été ciblées par du vandalisme et des incendies criminels, tandis qu’une Fondation pour la réconciliation turco-arménienne a reçu des menaces de mort. Les autorités chrétiennes du pays ont également dénoncé des insultes publiées dans un magazine appartenant au gendre du président Recep Tayyip Erdogan.
Des réseaux sociaux à la sphère publique
Les discours haineux ne restent pas cloisonnés aux réseaux sociaux: ils peuvent alimenter les stéréotypes et les préjugés envers les minorités religieuses dans les médias traditionnels et dans la société en général, avisent des chercheurs de l’Anti-Muslim Hatred Working Group, dans un rapport sur l’islamophobie au Royaume-Uni pendant la crise sanitaire.
Ces discours de division peuvent aussi être instrumentalisés par les politiciens. «Dans un certain nombre de pays confrontés à la pandémie, les dirigeants politiques ont critiqué verbalement certaines minorités religieuses, utilisant un langage haineux dans leurs discours, leurs déclarations officielles et leurs publications sur les réseaux sociaux, ce qui a accru les divisions sociales et alimenté l’intolérance parmi leurs partisans», analyse l’expert Sam Selsky sur le site de l’organisation Freedom House.
Un peu partout, des organismes s’inquiètent de la montée de l’intolérance religieuse. «Nous sommes préoccupés par la flambée de dangereuses rhétoriques qui diabolisent ‘l’autre’ religieux […] d’être responsable pour la propagation du virus», déclarait l’organisation Office of International Religious Freedom, dans un communiqué en août. «La pandémie continue de déclencher un tsunami de haine et de xénophobie», observait déjà en mai, sur Twitter, le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres. «Nous devons agir pour renforcer l’immunité de nos sociétés contre le virus de la haine. Je demande aux politiciens de montrer de la solidarité envers tous les membres de leur société et de renforcer la cohésion sociale. Je demande aux institutions d’éducation de miser sur la culture numérique. Je demande aux médias et les compagnies de réseaux sociaux de faire davantage pour signaler et retirer les contenus racistes, misogynes et haineux. Je demande à tous, partout, de se lever contre la haine.»
Plus vulnérables face à la COVID-19
Visées par les théories du complot, les minorités ethniques et religieuses sont aussi plus susceptibles de contracter la COVID-19 pour des raisons socioéconomiques, selon le Minority Rights Group international. Selon l’organisation, les communautés musulmanes, hindoues et sikhes du Royaume-Uni sont, par exemple, plus à risque de vivre dans des conditions de promiscuité et de rencontrer des difficultés pour accéder à des soins de santé. Des centaines de milliers de Rohingyas, une minorité musulmane du Myanmar, ont fui les persécutions pour se réfugier dans des camps surpeuplés du Bangladesh ayant un accès à l’eau limité: des conditions multipliant les risques de contagion. Au Pakistan, des experts avisent que les chrétiens, qui sont particulièrement présents dans le secteur de la collecte de déchet, font face à un risque accru de contagion puisqu’ils font la collecte du matériel contaminé des hôpitaux en quarantaine.
«La COVID-19 crée un cercle vicieux», observe l’organisation Minority Rights Group international dans un rapport publié en juin. «Alors que les inégalités existantes contribuent à propager le virus parmi des groupes marginalisés, les impacts sanitaires et économiques du virus aggravent d’autant plus ces inégalités.»
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