Avant d’être élu pape, Jorge Mario Bergoglio avait la réputation de ne pas apprécier les entrevues avec les médias.
Au tout début de son pontificat, dans l’avion le conduisant au Brésil, où il se préparait à participer aux Journées mondiales de la jeunesse de Rio (23-28 juillet 2013), le pape François avait annoncé aux 70 journalistes prenant place dans l’appareil qu’il ne leur «accorderait pas d’entrevues».
«Je ne sais pas pourquoi il en est ainsi. J’en suis tout simplement incapable, voilà tout. Je trouve cet exercice ennuyeux, même si j’apprécie votre compagnie», disait-il.
Le pape François a bien failli mettre un terme à des décennies de collaboration entre journalistes et pontifes romains, ses prédécesseurs ayant en effet pris l’habitude de répondre aux questions des journalistes qui prenaient le même vol.
Un journaliste mexicain expérimenté s’est alors empressé de rassurer le nouveau pape. Il se peut, disait-il, que vous ayez l’impression d’être jeté en pâture dans la fosse aux lions, lorsqu’on vous demandera de prendre place dans l’avion pontifical et de répondre aux questions des journalistes. Or, vous verrez qu’«en réalité, nous ne sommes pas si féroces que cela».
François et les médias
Quelque chose semble s’être produit dans l’esprit du pontife au cours de ce voyage, puisque six jours plus tard, dans l’avion le remmenant à Rome, le pape François s’est adressé aux journalistes pendant 80 minutes, répondant à chacune de leurs questions. Il est rapidement passé de pasteur méfiant face aux des médias au pape le plus interviewé de l’histoire de l’Église !
Les quelque 600 réponses données par François aux questions des journalistes ont récemment été colligées Giovanni Maria Vian dans un livre de 368 pages intitulé Le pape François répond: toutes les interviews et conférences de presse du pape. Historien italien et rédacteur en chef de L’Osservatore Romano, Vian signe d’ailleurs la préface de ce livre.
Une longue tradition
Les relations franches et ouvertes entre François et les membres des médias ne sont nullement exceptionnelles. Selon Giovanni Maria Vian, presque tous les papes de l’époque contemporaine ont développé ce genre de relations avec les médias.
Dans sa préface, l’historien italien révèle de quelle manière les pontifes ont développé des relations de confiance avec les médias de masse.
Léon XIII et Caroline Rémy
Léon XIII est le premier pape de l’époque contemporaine à s’être jeté dans la fosse aux lions. En 1892, le «pape des ouvriers» (Léon XIII venait tout juste de publier son encyclique Rerum novarum sur la question ouvrière) a accordé un long entretien de 70 minutes à la journaliste Caroline Rémy. Anarchiste, féministe, ex-catholique et divorcée, elle était alors l’une des journalistes françaises les plus connues.
Celle qui signait ses articles sous le pseudonyme de Séverine a rédigé une longue lettre au secrétaire d’État du Vatican. Elle s’y présentait comme «une femme ayant déjà été chrétienne», qui «aime les déshérités» et qui «se consacre à la défense des faibles». Elle s’y présente aussi comme «une socialiste qui n’est certes pas en état de grâce mais dont le cœur meurtri est habité par un immense respect pour la foi». Elle affirmait aussi être habitée par un «profond respect» pour ce pontife vieillissant qu’était alors Léon XIII.
Les autorités vaticanes ont rapidement donné suite à cette requête. Caroline Rémy s’est entretenue pendant près d’une heure avec le pape. Elle a ensuite colligé ses notes, puis rédigé un premier jet au cours de l’après-midi. Le lendemain, elle remettait une copie de son article au Secrétaire d’État du Vatican, lequel n’a réécrit que quelques courts passages du texte. «Cet article s’est ensuite retrouvé à la Une du Figaro Magazine, le surlendemain», ajoute l’historien Giovanni Maria Vian.
Quelques mois plus tôt, Léon XIII s’était entretenu avec Ernest Judet, l’éditeur du Petit Journal, le plus important quotidien français de la fin du XIXe siècle. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une entrevue: lors de son audience privée avec le pape, Judet n’a pas posé de question à Léon XIII. L’éditeur du Petit Journal a été convoqué par le pape pour que celui-ci lui lise une «déclaration» présentant les grandes lignes de son encyclique Au milieu des sollicitudes, dans laquelle il exhortait les catholiques français à se rallier à la République.
Paul VI et le dialogue avec les médias
Les relations entre l’Église et la presse franchisent une nouvelle étape à l’occasion du concile Vatican II. Selon Giovanni Maria Vian, le pontificat du bienheureux Paul VI est même un «point tournant».
En 1965, le pape s’est en effet entretenu Alberto Cavallari, un journaliste du quotidien italien Corriere della Sera. D’entrée de jeu, Cavallari a servi une mise en garde au souverain pontife: «Je refuse catégoriquement que cette entrevue ne se résume à écouter un pape livrer un énième monologue». Il a rappelé à Paul VI que «les temps ont changé» et que, désormais, «des millions de personnes n’ont plus la foi, et ne se réclament d’aucune religion. D’où l’importance pour l’Église de faire preuve d’un peu d’ouverture. Afin de rejoindre ces personnes qui ont cessé de croire et qui se sont détournés de l’Église».
Paul VI voyait cette entrevue avec un représentant de la presse séculière comme une occasion d’élargir le spectre des communications pontificales. Le pape s’est même réjoui de pouvoir ainsi entamer un «dialogue» avec Cavallari. Ce dernier dira plus tard que «Paul VI est un homme qui aime parler et s’expliquer, tout en étant à l’écoute de son interlocuteur afin que celui-ci ne se sente pas isolé, ni tenu à l’écart». Tout au long de l’entrevue, dit Cavallari, Paul VI s’est efforcé «d’abattre le mur pouvant s’ériger entre le pape qu’il est et la personne qui l’interroge».
Le journaliste du Corriere della Sera affirme que sa conversation avec le bienheureux pontife a été «franche et détendue», ce dernier s’exprimant de manière «spontanée et réfléchie», tout en étant «conscient des risques auxquels il s’exposait». Bref, sa discussion avec Paul VI a été, dit-il, «directe, agile et authentiquement humaine».
Une tradition qui se poursuit
Au cours des cinquante dernières années, les pontifes romains se sont tous ralliés à l’approche privilégiée par Paul VI, c’est-à-dire aller à la rencontre de la presse séculière et répondre aux questions des journalistes. Au fil des ans, les successeurs du bienheureux pontife ont accordé des entrevues à des journalistes de tous les horizons.
Selon Giovanni Maria Vian, Paul VI a également initié la tradition consistant à inviter les journalistes couvrant l’actualité vaticane à prendre place dans l’avion pontifical, lors de ses voyages à l’étranger.
Paul VI se contentait de saluer ses compagnons de vol. Jean-Paul II en profitait quant à lui pour s’adresser personnellement et discuter longuement avec les journalistes prenant place dans l’avion pontifical. C’est également le pape polonais qui a pris l’habitude d’organiser des conférences de presse à bord de l’appareil. Cette tradition s’est d’ailleurs poursuivie lors des pontificats de Benoît XVI et de François, en dépit des réticences initiales de ce dernier.
Dans l’avion le ramenant des JMJ de Rio, François confiait aux journalistes avoir grandement tiré profit de son contact quotidien avec ces foules immenses de jeunes. Pendant son voyage au Brésil, disait-il, il s’est senti rempli de joie et ressourcé spirituellement. En prenant la décision de renoncer aux «voitures blindées» et à l’étouffant dispositif de sécurité qu’on avait mis en place à son intention, il a pu, dit-il, «se mêler à la foule, être aux côtés des jeunes, les accueillir et les enlacer».
«J’ai en effet constaté que les lions», c’est-à-dire les journalistes, «ne sont pas aussi féroces que ce que j’appréhendais», a fini par reconnaître le pape.
Carol Glatz, Catholic News Service
Trad. et adapt. Présence/F. Barriault