Vice-doyen et secrétaire de la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, André Samson n’était pas vraiment surpris des révélations contenues dans le rapport du procureur de la Pennsylvanie sur les abus sexuels commis par des prêtres et sur le silence observé par les autorités religieuses devant ces crimes.
Cet universitaire, qui est aussi un prêtre incardiné dans l’archidiocèse d’Ottawa, raconte qu’il mène actuellement des recherches «sur l’impact des abus sexuels sur le parcours scolaire des jeunes victimes».
«J’ai interviewé 28 victimes. En entendant leur témoignage, j’ai été atterré de constater les conséquences désastreuses que les abus sexuels causent aux enfants et aux adolescents. Je n’imaginais pas qu’elles pouvaient être aussi catastrophiques», dit-il.
«Cela affecte leur parcours scolaire, leur relation au travail, cela affecte leur vie de famille, la manière dont ils élèvent leurs enfants. Ils ont 10, 12 ou 14 ans quand ils sont abusés et certains vont attendre 50 ou 60 ans avant d’en parler. Ce secret les détruit, ça les corrode jusqu’au jour où ils acceptent d’en parler.»
La souffrance, la peur, André Samson connaît cela. Aumônier dans une unité de soins palliatifs, «j’ai vu des gens mourir», dit-il. Aumônier militaire, il était en plein désert d’Arabie lorsque la première Guerre du Golfe a éclaté. «Je me rappellerai toujours le soir où l’on a reçu les premiers missiles.»
«Mais la détresse psychologique qui [l]’a le plus débalancée», ce fut celle de ce jeune de 18 ans rencontré à l’Oratoire Saint-Joseph en 2013.
Le jeune homme lui confie qu’il a été abusé sexuellement par un prêtre. «Le curé avait même enregistré leurs ébats sexuels et la seule idée qu’il mette cela sur YouTube le rendait fou. J’étais complètement bouleversé. Cela m’a scié les jambes en deux», se souvient-il.
Lorsqu’il raconte cela à ses collègues religieux au réfectoire de l’Oratoire, on le somme de se taire et de ne plus revenir dans la salle à manger. Il perdra son emploi quelques mois plus tard. «Ce n’est pas grave, j’ai un emploi à l’université.»
Mais ces événements lui confirment que «les prêtres et les religieux ne sont pas du tout conscients des torts que les abus sexuels causent aux victimes. Ils n’en ont aucune idée.»
Plusieurs pensent plutôt que les victimes «en ont après leur argent». Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que le geste «de demander réparation, cela fait partie du processus de guérison», explique le prêtre et spécialiste en orientation.
Comment doit alors réagir l’Église au lendemain des révélations du procureur de la Pennsylvanie?
«La première chose à faire, c’est de sensibiliser les membres du clergé à la douleur profonde des victimes. L’abus sexuel a carrément détruit leur vie.» André Samson se verrait bien demander à cinq ou six victimes qu’il a interviewées d’aller «à différentes assemblées du clergé» pour qu’ils racontent ce qu’ils ont vécu et quelles ont été les conséquences de ces gestes.
Quand on intervient en santé mentale dans les milieux de travail, ajoute le vice-doyen, on reconnaît qu’il faut agir sur des facteurs individuels mais aussi organisationnels.
«L’Église, elle, intervient sur les facteurs individuels. Elle cherche à trouver les pédophiles et à s’en débarrasser, ce qu’elle ne faisait pas auparavant. Elle les envoyait d’un endroit à l’autre.»
Mais cela ne règle pas tout puisque d’autres abus pourraient bien se produire dans l’avenir, dit-il. C’est pourquoi il faut agir sur les facteurs organisationnels. «Il faut se demander ce qui, dans le fonctionnement de l’Église, favorise la présence d’abuseurs et de pédophiles.»
Sa réponse est que «le fait d’imposer le célibat aux prêtres crée un milieu où un pédophile sera plus ou moins remarqué», parce qu’on ne discute pas de sexualité au grand séminaire et dans les milieux religieux. «Cela crée une atmosphère de clandestinité où chacun doit vivre secrètement et non ouvertement sa sexualité, par peur d’être dénoncé», dit-il. «Je ne parle pas ici d’avoir un amant», dit-il, mais d’admettre que l’on a une identité sexuelle comme tout le monde.
L’abbé Samson estime qu’«un climat de travail sain n’attire pas les malades, les pédophiles. Mais quand on nous oblige à vivre notre réalité dans la clandestinité, cela crée un climat malsain. Et quand un pédophile sent qu’il peut agir en toute impunité dans un milieu, il va joindre ce milieu.»