Lorsque Céline Hoyeau, journaliste au quotidien La Croix, a pris connaissance des graves accusations lancées à l’encontre de fondateurs de communautés nouvelles, elle s’est sentie trahie par eux. Après le choc émotionnel, elle a cherché à comprendre comment ces hommes et ces femmes ont été en mesure d’abuser toute une génération de catholiques. Les conclusions de son enquête ont été publiées dans le livre La trahison des Pères. Emprise et abus des fondateurs de communautés nouvelles paru cette année aux éditions Novalis.
« Je fais partie de la génération Jean-Paul II », affirme-t-elle depuis sa résidence en France. « J’avais 20 ans en 1997 aux JMJ à Paris. J’ai un parcours de jeune croyante. J’ai fréquenté certaines de ces communautés. J’ai suivi des sessions, des retraites. Quand j’ai découvert, grâce à mon travail, la face sombre des fondateurs de ces communautés, j’ai partagé moi aussi toutes les émotions que les catholiques traversent aujourd’hui à savoir la tristesse, la colère, le déni, la sidération, l’incompréhension et un sentiment de trahison », confie-t-elle.
Ces dernières années, elle a constaté que la liste de fondateurs de communautés nouvelles accusés d’avoir commis des abus s’allongeait. « Cela m’intriguait. Je voulais comprendre le contexte et les mécanismes qui avaient permis à ces personnalités d’abuser en toute impunité. Je voulais trouver des clefs de compréhension », poursuit-elle.
La journaliste a également été troublée par la face sombre de ces hommes et de ces femmes qui ont apporté tant de lumière à l’Église. « Il y a là un paradoxe, un mystère, que je voulais creuser. »
Afin de répondre à ses interrogations, elle s’est tournée vers des historiens, des sociologues, des psychologues, des lanceurs d’alerte et des victimes d’abus spirituels et sexuels. Au fil des rencontres, un constat a émergé.
« Je me suis rendu compte que les causes étaient multiples. Certaines relevaient de la personnalité de ces fondateurs, mais aussi du contexte ecclésial qui a vu surgir ces abus. »
Réaction à Vatican II
En entrevue, Céline Hoyeau évoque la crise provoquée par le concile Vatican II (1962-1965).
« C’est vrai que Vatican II a de très belles intuitions. Simplement dans sa mise en pratique, il y a eu, dans certains lieux, des dérives liturgiques, des manières de comprendre la doctrine qui pouvaient parfois être farfelues. Ces errances, ici ou là, ont pu énormément déstabiliser des catholiques qui avaient besoin de repères clairs dans une période où la société était très mouvante. Du coup, ils ont été en attente de personnalités qui seraient les garants de l’orthodoxie catholique. »
Les fondateurs de communautés nouvelles ont su répondre à ce besoin manifesté par ces catholiques en déroute.
Durant cette période, rappelle Céline Hoyeau, l’Église catholique, en France et ailleurs en Occident, faisait face à une désaffectation tous azimuts. « Après les années 60, dans les années 70, l’Église a traversé une grande crise avec les changements culturels. Les églises, les paroisses et les séminaires se sont vidés. Dans cette espèce de tremblement de terre, ces fondateurs, qui réussissaient à attirer des vocations, des jeunes et qui paraissaient avoir un certain succès, sont apparus comme des phares dans la tempête et des sauveurs. Ils paraissaient capables de rechristianiser la société. Ils ont en tiré une aura qui leur a permis de s’installer dans une certaine toute-puissance. »
Céline Hoyeau explique que certains de ces responsables de communautés nouvelles « étaient entourés d’une cour de disciples qui les admiraient, qui les adulaient et qui ne leur opposaient que très peu de critiques, très peu de contre-pouvoir. Ce contexte interne de toute-puissance et d’absence de contrôle a été propice à transgresser et à commettre des abus. »
Absence de vigilance
À cela s’ajoute « un manque de contrôle, un manque de vigilance des évêques et des autorités romaines dont les causes sont multiples ».
Une de ces causes, selon la journaliste, est le succès rencontré par ces communautés nouvelles auprès des jeunes qui se convertissaient. Grâce à elles, certains prenaient le chemin des séminaires.
Devant ce succès, la hiérarchie hésitait avant d’intervenir. « On disait : « On reconnaît l’arbre à ses fruits.« Et c’était cela le critère de validité et de sainteté de ces communautés. Du côté de Rome, il n’y a pas eu beaucoup de sanctions ni de vigilance. Lorsqu’il y a eu sanctions, elles demeuraient secrètes. »
Pourtant il y a eu des lanceurs d’alerte, y compris parmi les évêques. « Toutefois, souligne Céline Hoyeau, les autorités romaines à l’époque de Jean-Paul II étaient fascinées par toute cette foule de jeunes, de jeunes séminaristes qui arrivaient en pèlerinage à Rome en brandissant l’étendard de la foi. »
Les communautés nouvelles faisaient également preuve de subtilité. « Elles avaient tendance, tout en se disant de l’Église, à chercher à s’implanter dans un diocèse dont l’évêque leur était complètement favorable et qui n’irait pas trop regarder comment vivait la communauté. »
Un facteur essentiel au développement des abus est la méconnaissance de l’abus spirituel. Selon elle, il subsiste aujourd’hui encore, dans l’Église de France, « une méconnaissance des phénomènes de manipulation, d’emprise ».
Cependant, un changement semble s’opérer. « De plus en plus on en parle. Il y a aujourd’hui une prise de conscience plus générale, une sorte de culture qui est en train d’émerger, des anticorps qui sont en train d’être générés et qui peuvent renverser cette culture de l’abus et permettre que cela ne se reproduise plus, notamment grâce à l’écoute des victimes. »
Un Me Too ecclésial
Ces victimes n’avaient pas le droit au chapitre, souligne la journaliste. « Autrefois, on ne les écoutait pas. On ne leur donnait pas la parole. Elles étaient discréditées. Maintenant elles peuvent parler. C’est vraiment le point décisif qui a fait le plus évoluer l’Église. »
Ce changement de paradigme a été encouragé par le phénomène Me Too, croit l’auteure. « L’Église évolue avec son temps. On peut regretter qu’elle ne soit pas plus en avance parfois. »
Mais par-dessus tout, l’auteure a été profondément inspirée par les victimes et leur courage. Certaines se sont regroupées en association comme celle de La Parole libérée.
La journaliste admet toutefois que son enquête ne fait pas la lumière sur toutes les zones d’ombre.
« Cela reste un mystère quand même ! Comment le mal peut-il côtoyer le bien ? Comment se peut-il qu’il y ait eu autant d’abus et autant de choses lumineuses à la fois ? »
LIRE AUSSI : Comment définir l’abus spirituel ?