Les nombreuses victimes «d’agressions sexuelles répréhensibles et intolérables perpétrées systématiquement» par des religieux membres de la congrégation des Frères du Sacré-Cœur œuvrant au Collège Mont-Sacré-Cœur de Granby réclament plus de 16 M $ en dommages et intérêts punitifs pour les souffrances endurées.
C’est le montant qui apparaît dans le document déposé le 5 février 2018 à la Cour supérieure par le cabinet d’avocats Kugler Kandestin qui représente ces victimes dans ce recours collectif.
Il y a près de trois mois, le 23 novembre 2017, le juge Sylvain Provencher avait autorisé une demande de recours collectif contre la congrégation religieuse des Frères du Sacré-Cœur, responsables du Collège Mont-Sacré-Cœur de Granby.
Les avocats des victimes estiment, dans le document déposé au palais de justice de Granby, que pas moins de 18 religieux «ont abusé de leur autorité, prestige et statut pour commettre de graves crimes, au lieu de veiller à l’éducation scolaire, disciplinaire, morale et religieuse des élèves sous leur garde».
Les procureurs des victimes ajoutent que la congrégation religieuse et ses responsables «ont sciemment fermé les yeux pour protéger leur réputation et celles des religieux», qu’elle «n’ont pas sanctionné ou arrêté les agressions sexuelles mais les ont plutôt tolérées et cachées, le tout au détriment d’enfants innocents et vulnérables».
Les noms véritables ou les noms de religion des 18 religieux sont inscrits dans les premières pages de la requête. Il n’a pas été possible de savoir précisément lesquels sont aujourd’hui décédés ainsi que les noms de ceux qui ont quitté la congrégation après les faits allégués.
En plus d’avoir été enseignants ou surveillants au collège, plusieurs d’entre eux ont occupé des postes importants dans la congrégation, dont ceux d’économe, de secrétaire, de conseiller et même de supérieur provincial. Un des religieux nommés dans la poursuite a été un moment directeur général du Collège Mont-Sacré-Cœur.
Victimes et agresseurs
Une des victimes, nommée A dans le recours collectif, est aujourd’hui âgée de 57 ans. À son arrivée au collège, en 1972, c’est alors «un jeune garçon de 12 ans, croyant et pratiquant, provenant d’une famille très religieuse».
Quelques semaines après le début de sa scolarité de troisième secondaire, il est convoqué à la chambre du frère Claude Lebeau.
«À son grand étonnement, le frère Lebeau a demandé au jeune de baisser son pantalon de pyjama et s’est mis à le masturber», indique la requête. Le jeune garçon allègue avoir été agressé sexuellement par ce religieux plus de 300 fois au cours des deux années suivantes, «à une fréquence de trois à six fois par semaine».
Par ailleurs, la requête s’attarde longuement sur les agissements du frère Jean-Guy Roy qui a fait sa marque dans le monde des médias, notamment à la direction générale de Radio Ville-Marie – devenue Radio VM – de 2000 à 2012, puis à la tête de la maison de production Auvidec, qui a cessé ses activités l’an dernier.
Au début des années 1980, le frère Roy, alors un jeune religieux, permet à des élèves de regarder la télévision dans sa chambre. Un élève qui a obtenu cette permission découvre que «le religieux s’est déshabillé complètement nu devant lui», indique la poursuite. Figé, incrédule, il a prestement quitté la chambre du frère Roy. Il y retournera toutefois, sera forcé de masturber le religieux et sera sodomisé par lui à une autre occasion. En 1983, le jeune garçon sera renvoyé du collège.
La requête documente aussi le cas d’un autre élève à qui le frère Jean-Guy Roy «a fait des attouchements aux parties génitales». Il a dénoncé ces gestes auprès du directeur général du collège qui «s’est contenté de lui dire que le frère Roy ne l’agacerait plus».
Aucun des gestes allégués n’a été prouvé en cour.
«Au lieu d’être puni et destitué de ses fonctions, le frère Roy a été promu à titre de supérieur provincial et administrateur» de la congrégation, précisent les avocats des victimes.
Avant de devenir directeur général de Radio Ville-Marie, Jean-Guy Roy a été directeur de l’Office de la jeunesse du diocèse de Saint-Hyacinthe de 1984 à 1991.
En octobre 2016, quelques jours avant que son nom ne soit mentionné pour la première fois dans la demande de recours collectif concernant les Frères du Sacré-Cœur, il a démissionné de son poste de directeur général d’Auvidec, une maison de production connue notamment pour son émission Parole et vie, longtemps animée par l’abbé Roland Leclerc (1946-2003).
Depuis, le frère Jean-Guy Roy s’est fait très discret. Dans la page Wikipédia qui lui est consacrée, un contributeur a enlevé la mention de son appartenance à une communauté religieuse. Jusqu’alors, il était indiqué que le religieux «est membre depuis 1971 de l’Institut des Frères du Sacré-Cœur dont il dirigea les destinées à Montréal pendant quelques années».
Des réactions
Le supérieur provincial des Frères du Sacré-Cœur n’a pas souhaité commenter la situation.
L’avocat de la congrégation, Me Éric Simard, a émis une brève déclaration. «Nous avons pris connaissance de la demande introductive d’instance. Nous sommes à analyser le fond de la demande et à approfondir les nouveaux allégués. Nous souhaitons favoriser l’avancement du dossier de manière efficace et rapide», a-t-il fait savoir par courriel.
Les avocats des victimes souhaitent que la victime appelée A reçoive une somme de 1,2 M $. Ils demandent par ailleurs que l’ensemble des victimes reçoive une somme de 15 M $ à titre de dommages et intérêts punitifs exemplaires.