Il aurait pu enseigner le piano mais il a choisi la prêtrise. Après près de 20 ans d’épiscopat et ralenti par son état de santé, Mgr Luc Bouchard a demandé au pape François d’accepter sa démission comme évêque de Trois-Rivières. Joint à son bureau, il a immédiatement accepté notre demande d’entrevue.
Sous sa gouverne, le diocèse de Trois-Rivières a connu plusieurs changements au cours des dernières années, faisant même figure de pionnier dans les transformations organisationnelles rendues nécessaires par la diminution des ressources humaines et matérielles.
«Je n’étais pas là pour gérer la décroissance, mais gérer la foi», résume-t-il calmement, insistant sur cette «perspective importante».
«Du haut de la croix, le Christ gérait-il la décroissance? Tout a commencé par ce don de soi sur la croix. Qui est devenu un signe d’espérance, car il y avait de la vie là-dedans. On peut voir de la vie dans la mort, de la guérison dans la souffrance. Des pousses nouvelles surgissent alors que tout paraît mort. C’est la perspective qu’il fallait adopter», dit-il.
Nommé à Trois-Rivières en 2012 par le pape Benoît XVI, il a eu à composer avec une réorganisation de l’Église locale, faisant notamment de son diocèse un leader dans l’adoption du concept de «tournant missionnaire», un processus selon lequel les baptisés sont appelés à s’impliquer davantage au sein de communautés qui n’opèrent plus nécessairement selon le modèle paroissial classique.
«L’exhortation apostolique La Joie de l’Évangile du pape est venue confirmer l’intuition que nous avons eue: faire les choses autrement, se voir comme disciples missionnaires, rappeler l’importance de notre baptême», indique-t-il.
Un projet spirituel qui n’écartait cependant pas la question de l’avenir des lieux de culte. En effet, plusieurs églises ont dû être vendues au cours des dernières années. Un processus qui relève des fabriques et dans lequel l’évêque a tout de même un droit de regard. À ses yeux, pour qu’un projet de vente d’église réussisse, il doit avoir fait l’objet d’une étude et de propositions sérieuses. Il doit aussi compter sur un large appui avant de pouvoir passer au vote.
Cela ouvre la porte à des projets pertinents, notamment à la paroisse Sainte-Marguerite, dit-il, où il y a un besoin pour des logements à prix modique.
Le projet de vente de l’église Saint-Jean-de-Brébeuf, qui a fait l’objet d’une offre d’achat non-sollicitée de la part du Centre culturel islamique de la Mauricie, a été suspendu par Mgr Bouchard à l’automne 2019. «L’acceptabilité sociale n’était pas là», résume-t-il. En effet, plusieurs diocésains, y compris au sein de son clergé, s’opposaient au projet et acceptaient mal la vente d’une église catholique à des musulmans. «Je pensais à Québec», poursuit-il, faisant référence à la tuerie de la grande mosquée de Québec, survenue en janvier 2017. Lors de l’entrevue, il laisse entendre qu’il s’inquiétait vraiment que la situation dégénère et puisse mener à un incendie haineux s’il approuvait le projet à ce moment-là. «Il y a toutes sortes de gens sectaires. Je voulais éviter à tout prix qu’une telle chose puisse se produire.» Il assure avoir pris soin de contacter le Centre afin de «manifester notre regret».
«Nous sommes appelés à travailler davantage nos relations interreligieuses», retient-il de cet épisode.
L’amour de la musique
Au début de sa vie adulte, Luc Bouchard a dû choisir entre poursuivre une carrière de pianiste et entreprendre des études pour la prêtrise. Cette deuxième option l’amène notamment à faire des études bibliques à Rome et à Jérusalem. Ce qui le rend plus que reconnaissant pour toutes les communautés religieuses qui lui ont offert une éducation de qualité, des dominicains aux Sœurs de Sainte-Croix qui ont joué un rôle dans sa formation musicale.
Un accident vasculaire cérébral (AVC), en avril 2010, provoque chez lui une paralysie du bras et de la main gauches. Mgr Bouchard était alors évêque du diocèse de Saint-Paul, en Alberta.
«Je ne pouvais plus jouer de piano. J’en ai fait mon deuil. Je n’ai pas de rancœur: le goût de la musique est toujours là», confie-t-il. Chaque jour, en fin d’après-midi, il se réserve un moment pour écouter de la musique.
«Pour calmer les sens, redevenir un peu plus humain. C’est tellement une joie, un cadeau», dit-il.
Chez lui, pratiquement tout le monde était musicien. Son frère aîné, adepte de jazz, jouait à l’oreille. Un autre frère aimait le classique, sa sœur penchait pour le rock and roll.
«Moi, j’ai eu la chance d’étudier un peu plus. On a toujours fait de la musique en famille. Mon père chantait beaucoup et animait les soirées», ajoute-t-il. Originaire des Cantons-de-l’Est, sa carrière de soudeur l’amène à se trouver du travail à Cornwall. Les parents de Mgr Bouchard font partie des 105 couples mariés lors d’un grand événement jociste survenu le 23 juillet 1939 au stade De Lorimier, à Montréal.
«J’ai eu une enfance très heureuse. Aimez vos enfants! Ça a des conséquences pour la vie», lance-t-il en se remémorant ses souvenirs.
Sables bitumineux
Luc Bouchard rêvait d’être missionnaire. Il l’a été, dit-il, dans l’Ouest canadien, en provenance de son diocèse d’ordination, celui d’Alexandria, aujourd’hui intégré à l’archidiocèse d’Ottawa. Nommé évêque de Saint-Paul en septembre 2001, il acquiert une reconnaissance nationale en 2009 lorsqu’il publie une lettre dans laquelle il questionne la moralité de l’exploitation des sables bitumineux, une industrie profitable mais dommageable pour l’environnement.
«La lettre a… brassé la soupe», confirme-t-il en soulignant que des années plus tard, on lui parle encore de cette lettre.
«Ce n’était pas contre les sables bitumineux, mais bien un appel au sens moral de ce qu’on faisait là-bas. Prenons-nous soin de la terre, de l’eau et de l’air?», situe Mgr Bouchard.
Avant-gardiste? «Je laisse aux journalistes le soin d’utiliser ce qualificatif», répond-il en souriant. Il affirme cependant qu’il n’hésiterait pas à réécrire une telle lettre, d’autant plus qu’il serait «mieux armé» pour le faire aujourd’hui.
Penser la suite
C’est bien parce qu’il sent ses forces diminuer que Mgr Bouchard a demandé au pape de le libérer de sa charge du diocèse de Trois-Rivières avant qu’il n’atteigne l’âge canonique de la retraite, fixé à 75 ans. Il a envoyé à Rome les résultats de ses examens neurologiques pour accompagner sa demande.
«Si le pape avait voulu que je continue, je l’aurais fait. Je me soumets au jugement de l’Église. J’ai envoyé ma demande un peu avant Noël. Ça s’est fait dans la prière et la longue méditation. J’ai eu une réponse le 4 janvier», explique-t-il.
Son départ survient en pleine pandémie, une réalité qui affecte les milieux religieux, souligne l’évêque émérite.
«Il faut payer les factures, l’argent rentre moins. Ça demande des décisions difficiles pour le personnel. On encourage les fabriques à se prévaloir des offres gouvernementales pour garder le personnel. Grâce à Dieu, les gens ont vite appris à faire du télétravail. C’est une bonne chose qui va continuer par la suite», dit-il.
Il soutient avoir toujours agi en ayant à cœur la protection des fidèles, ce qui ne l’empêche pas de trouver que certaines mesures sanitaires concernant les lieux de culte ont «peut-être» été «plus drastiques que nécessaire».
«Nos grandes églises peuvent avoir plus de 10 personnes à la fois… C’est triste et cela a déçu des gens. Mais le gouvernement fait un travail extraordinaire, pas facile. Malheureusement, les groupes religieux ont été considérés trop tard. Mais on a fini par écouter.»
Quant à l’avenir du diocèse de Trois-Rivières à long terme, il insiste sur la «priorité de témoigner de l’Évangile par tous les moyens». L’Église n’est pas là pour s’imposer, mais pour collaborer, insiste-t-il, en évoquant des partenariats avec divers acteurs de la société.
«C’est en collaborant qu’on fera en sorte que la lumière brille, note l’évêque. C’est ainsi qu’on peut susciter des questions, pour entamer un dialogue. Si on peut susciter des questions, déjà, la moitié de la bataille est gagnée. Les premiers chrétiens ont fait rêver. Ils ont brillé.»
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