Mohammed Ali n’était pas seulement un boxeur redoutable et un athlète de très haut niveau: il était aussi reconnu pour son courage, sa foi et sa générosité.
Trois fois détenteur de la ceinture de championnat des poids lourds, Mohammed Ali est considéré par plusieurs comme le meilleur boxeur de tous les temps. Aussi l’a-t-on surnommé The Greatest. Mort le 3 juin à l’hôpital de Scottsdale, en Arizona, à l’âge de 74 ans, ses funérailles ont été célébrées vendredi. C’est en Arizona qu’il a passé les dernières années de sa vie à lutter contre la maladie de Parkinson.
Son combat contre la maladie de Parkinson
«Il a fait face à la maladie avec grâce et humour, devenant du même souffle une source d’inspiration pour un grand nombre de patients», affirme la docteure Holly Hill, directrice du Muhammad Ali Parkinson Center, affilié à l’Institut de recherche neurologique Barrow de Phoenix, en Arizona. «Nous avons perdu un grand guerrier dans la lutte que nous menons contre le Parkinson, mais l’espoir lui, ne meurt jamais», ajoute-t-elle.
Le centre de recherche dirigé par Dr Hill a été fondé en 1997 par Mohammed Ali, sa femme Yolanda et divers philanthropes. Il offre aux malades du Parkinson des traitements à la fine pointe de la recherche, en plus de soutenir les familles et le personnel soignant. Ce centre de recherche est d’ailleurs l’une des composantes de l’Hôpital et du Centre médical St. Joseph’s des Sœurs de la Miséricorde.
La maladie de Parkinson est un désordre neurologique chronique qui affecte plus de 1,5 million de personnes en Amérique du Nord, dont près de 55 000 Canadiens. Ses symptômes – tremblements, rigidité ou lenteur des déplacements, problèmes d’équilibre ou de coordination – s’aggravent au gré de la progression de la maladie.
C’est d’ailleurs pour mieux soigner les symptômes de la maladie que Mohammed Ali s’est installé à Phoenix, au milieu des années 1990. Il y menait une existence paisible, entre ses traitements médicaux, et ses apparitions publiques lors d’événements sportifs ou caritatifs.
Mohammed Ali, le philanthrope
Les membres de la Société Saint-Vincent de Paul de Phoenix conservent un excellent souvenir de l’ex-champion du monde des poids lourds. Non seulement était-il un généreux donateur mais il insistait pour servir lui-même des repas aux personnes démunies fréquentant cette œuvre de charité catholique.
«Les gens ne s’offusquaient que Mohammed ait perdu l’usage de la parole, puisqu’il communiquait avec eux en laissant rayonner son cœur et son âme», affirme Steve Zabiliski, directeur de la SSVP de Phoenix. «Nous conserverons un souvenir impérissable de la grâce, la bonté, le courage et l’amour qui habitaient […] cet homme d’exception.»
Sa dernière apparition publique a eu lieu en avril. Il a alors participé à une activité de collecte de fonds qui a permis d’amasser plusieurs millions de dollars pour le centre de traitement du Parkinson qui porte son nom.
Un itinéraire sportif et spirituel
Les funérailles de Mohammed Ali ont eu lieu à Louisville, dans le Kentucky, le 10 juin. Il s’agissait d’une célébration interreligieuse, à l’image de la trajectoire spirituelle qui fut la sienne.
Mohammed Ali est né dans une famille chrétienne de Louisville: son père était méthodiste et sa mère baptiste. On lui donna le nom de Cassius Marcellus Clay Jr. Ce patronyme était d’ailleurs celui du maître esclavagiste blanc qui avait jadis été le propriétaire de ses ancêtres.
C’est à l’âge de 12 ans que le jeune Cassius commence à boxer. En 1964, peu après avoir battu son adversaire Sonny Liston et être devenu champion mondial des poids lourds, il se convertit à l’islam et prend désormais le nom de Mohammed Ali. Il se joint ensuite à Nation of Islam, une organisation afro-musulmane américaine dont Malcolm X fut l’une des figures de proue, dans les années 1960.
En 2004, Mohammed Ali publiait ses mémoires (L’âme du papillon) afin de mieux mettre en valeur sa «trajectoire spirituelle».
«Mon véritable travail a commencé à partir du moment où j’ai quitté définitivement le ring», disait-il alors. Ce fut le début de sa quête religieuse et spirituelle.
Très tôt dans sa jeunesse, il s’était questionné sur son attachement à la foi chrétienne, hérissé qu’il était par les Christs, apôtres et chérubins à la peau blanche qui dominaient encore dans l’art chrétien. L’un des éléments qui l’a séduit dans l’islam, c’est l’interdiction faite aux artistes musulmans de dessiner, peindre ou graver des images de Dieu, du Prophète ou des anges.
«Aucune race ne devrait être amenée à enfermer Dieu, ni à le confiner à une couleur de peau», écrit-il dans ses mémoires.
Le boxeur est immédiatement séduit par les discours d’émancipation afro-américaine mis de l’avant par Nation of Islam. «Le jour où je suis devenu musulman, j’ai mis le pied dans un ring au sein duquel un combat était déjà en cours: celui mené par les Afro-Américains pour la liberté et la justice».
En 1967, en pleine guerre du Viêtnam pour laquelle il refuse d’ailleurs de s’enrôler, il affirme être moralement incapable de «blesser ou de tuer des gens qu’il ne connaît pas, qui ne lui ont rien fait et qui ne menacent en rien son pays».
Cette bravade antipatriotique lui coûtera son titre champion des poids lourds. Il est aussitôt accusé de désertion: son passeport est saisi, il est condamné à 5 ans de prison et à une amende de 10 000$, ce qui met temporairement fin à sa carrière de boxeur.
Il devient alors persona non grata pour un grand nombre d’Américains. Même les membres de Nation of Islam finissent par l’abandonner. Il se rallie ensuite à l’islam sunnite et bientôt au soufisme. Cette tradition mystique musulmane devient dès cet instant sa nouvelle «demeure spirituelle».
Mohammed Ali remet les pieds dans le ring en 1970. En 1971, la Cour suprême des États-Unis annule les accusations de désertion militaire qui pesaient encore contre lui. En 1974 et en 1978, il est à nouveau sacré champion mondial des poids lourds. Il prend sa retraite en 1981 avec une impressionnante fiche de 56 victoires et de 5 revers.
En 1982, il fait la rencontre du pape Jean-Paul II, au Vatican. Les deux hommes ne savent pas encore qu’ils deviendront bientôt le visage public du Parkinson – une maladie dont ils ont tous deux souffert.
En 2003, il fait la rencontre du dalaï lama. Cette rencontre avec le chef spirituel tibétain a profondément bouleversé l’ex-champion du monde, les deux hommes ayant discuté de leurs croyances communes, c’est-à-dire le respect pour les croyances religieuses d’autrui et la place centrale que doit occuper la spiritualité dans la vie quotidienne.
Dans ses mémoires, Mohammed Ali a abondamment réfléchi à la vie après la mort et à l’héritage qu’il aimerait léguer à la postérité.
«Ici-bas, dans cette vie, il n’y a rien de plus important que la prière, les bonnes œuvres et la juste conduite, car cette vie-ci n’est qu’une répétition générale pour notre vie éternelle», disait-il.
Ali disait souhaiter qu’on se souvienne de lui comme «un triple champion des poids lourds, plein d’humour, et qui s’est efforcé de faire preuve de bonté envers toutes les personnes qu’il a rencontré». Il espérait aussi qu’on se souvienne aussi de lui «comme un homme qui s’est tenu debout et qui a défendu coûte que coûte ses idéaux. Un homme qui a tenté d’unir toute l’humanité, dans la foi et dans l’amour».
Nancy Wiechec, Catholic News Service
Trad. et adapt. F. Barriault, pour Présence