Dans une lettre de trois pages qu’il a fait parvenir à des membres de la Mutuelle d’assurance en Église, Robert Tassé, l’ex-président du conseil d’administration, révèle deux faits, jusqu’à maintenant inconnus, concernant le règlement d’un litige interne.
L’économe par intérim du diocèse de Saint-Jean-Longueuil affirme d’abord qu’il n’était pas présent lorsque les autres membres du conseil d’administration de la Mutuelle se sont entendus pour régler à l’amiable le litige qui opposait la compagnie d’assurance à deux de ses administrateurs, soupçonnés d’être en conflit d’intérêts du fait de leurs liens étroits avec l’archidiocèse de Montréal.
Non seulement le président du conseil d’administration n’était-il pas présent à la rencontre mais il ne savait même pas qu’elle avait lieu, soutient-il dans sa lettre envoyée le 18 mars 2019 aux fabriques du diocèse de Saint-Jean-Longueuil qui sont membres de la Mutuelle ainsi qu’aux économes de huit diocèses québécois.
Deux poursuites
Rappelons que le 27 décembre 2017, Ferdinand Alfieri et Alfonso Graceffa, deux membres du conseil d’administration de la Mutuelle, ont demandé aux tribunaux de déclarer qu’ils n’étaient pas en conflit d’intérêts du fait de leurs liens avec l’archidiocèse de Montréal. Ils ont aussi demandé à la Cour supérieure «de condamner le président [Robert Tassé] et le directeur général [Sylvain Beaulieu] pour diffamation».
La Mutuelle avait répliqué à cette poursuite. En février 2018, elle a présenté une requête judiciaire demandant que les deux administrateurs soient destitués parce qu’il «ne bénéficient plus de la légitimité nécessaire à l’exercice de la fonction d’administrateur au sein de la Mutuelle».
Un juge de la Cour supérieure devait entendre les arguments des deux parties du 18 au 21 juin 2018.
Toutefois, le jeudi 14 juin, les membres du conseil d’administration de la Mutuelle – sans son président, qui était toujours M. Tassé à ce moment – se sont réunis et ont décidé de mettre fin à ce litige qui a coûté plus d’un million de dollars à l’assureur.
Le procès attendu «n’aura jamais lieu», notait un communiqué remis aux membres de la Mutuelle une semaine après le règlement. «Les membres du conseil d’administration ont convenu de travailler ensemble dans un esprit de collégialité et de collaboration dans la poursuite de la mission de la compagnie Mutuelle d’assurance en Église pour le plus grand bénéfice de tous les membres».
Le deuxième fait que M. Tassé apprend aux membres de la Mutuelle, c’est que les administrateurs Ferdinand Alfieri et Alfonso Graceffa, «partie au litige» tout comme lui, étaient présents à cette rencontre du 14 juin.
«Ce CA [ndlr: conseil d’administration] a négocié directement avec MM. Alfieri et Graceffa une entente pour mettre fin à ce litige. Le président du CA en poste à ce moment, n’a pas été informé de ce CA ni à titre de président ni à titre de partie au litige. Cette entente fait depuis l’objet d’une clause de confidentialité», déplore Robert Tassé, en parlant de lui-même.
Peu après ce règlement, M. Tassé démissionnait «parce qu’il ne pouvait souscrire aux décisions et aux écarts de gouvernance de ce conseil d’administration» qu’il avait présidé durant huit ans.
Le président a aussi «avisé l’Autorité des marchés financiers (AMF) de sa démission et des raisons la motivant» ajoute Robert Tassé dans sa lettre datée du 18 mars 2019 et imprimée sur un papier à en-tête du diocèse de Saint-Jean-Longueuil.
Gabriel Groulx, l’actuel président du conseil d’administration de la Mutuelle, n’a pas souhaité commenter les événements que relate son prédécesseur. «Je n’ai aucun commentaire à formuler à ce sujet. Je n’étais pas au courant de l’existence de cette lettre de M. Tassé. Mais j’aimerais bien l’obtenir. Je jugerai alors si j’aurai ou non des commentaires à faire», a dit M. Groulx.
Les coûts du litige
Les deux poursuites intentées par et contre la Mutuelle d’assurance en Église ont coûté près de 1,5 million de dollars depuis 2017, révèlent les états financiers de la compagnie d’assurances qui seront déposés lors de la prochaine assemblée générale annuelle des membres qui doit se tenir le mardi 30 avril 2019 à Montréal.
À l’item «frais découlant des litiges reliés à la gouvernance réglés au cours de l’exercice» , on a inscrit une dépense de 862 000 $ en 2018 et de 210 000 $ en 2017. À la page 45 des états financiers au 31 décembre 2018, on trouve aussi une somme de 341 000 $ à titre d’indemnité de départ.
Rappelons que le directeur général Sylvain Beaulieu a quitté l’entreprise le 1er août 2018. «On lui a fait une offre», avait alors expliqué le nouveau président du conseil d’administration Gabriel Groulx lorsque questionné sur ce départ précipité. «Nos avocats nous ont invités à ne pas se prononcer tant que le règlement ne serait pas finalisé», avait-il ajouté. Dans sa lettre du 18 mars, Robert Tassé estime que M. Beaulieu a été «congédié sans cause».
Gabriel Groulx confirme les coûts du litige et de son règlement. «On parle, sur deux ans, de 1,2 million de dollars mais on a obtenu un remboursement d’une compagnie d’assurances d’environ 100 000 $», note-t-il. «Le litige a coûté un peu plus d’un million de dollars.»
Quant à la prime de départ, «c’est essentiellement le départ de M. [Sylvain] Beaulieu. On a respecté à la lettre son entente contractuelle», indique le président du conseil d’administration.
Discussion sur l’entente confidentielle
Robert Tassé, l’ex-président du conseil d’administration, souhaite qu’à la prochaine assemblée générale annuelle du 30 avril, les membres cherchent à en savoir davantage sur les clauses du règlement intervenu le 14 juin 2018.
«L’entente conclue a-t-elle résolu le problème de déontologie? Est-elle fondée sur une opinion professionnelle? Comporte-t-elle une clause financière? Quel est l’avantage pour les membres?», demande Robert Tassé dans sa lettre adressée à des membres de la Mutuelle.
L’ordre du jour de l’assemblée générale remis aux participants par le secrétaire du conseil d’administration ne mentionne aucun item spécifique sur le règlement du litige.
Le 27 mars, sept membres en règle de la Mutuelle d’assurance en Église ont toutefois demandé la convocation d’une assemblée générale extraordinaire sur ce sujet.
Cette rencontre pourrait être tenue le 30 avril, avant l’assemblée générale régulière, suggèrent les signataires. Les membres pourraient alors «déterminer en toute connaissance de cause si la décision du conseil d’administration d’annuler, en juin 2018, la tenue d’un procès visant la destitution de MM. Graceffa et Alfieri fut prise en conformité avec les règlements et les lois qui régissent la Mutuelle d’assurance en Église tout en visant la protection et l’intérêt des membres et du public».
La requête, signée par six représentants de fabriques ainsi que la dirigeante d’une congrégation religieuse, a été remise au conseil d’administration de la Mutuelle. Selon le règlement interne de la Mutuelle, «sur demande de 1% des membres ou de 500 membres, selon le moindre des deux, le conseil d’administration doit convoquer une assemblée générale extraordinaire».
En 2017, la Mutuelle d’assurance en Église comptait et protégeait 669 membres, soit 550 fabriques, 26 congrégations religieuses et 93 institutions liées à des Églises chrétiennes.
En mai 2018, peu après l’assemblée générale annuelle, huit évêques québécois ont officiellement demandé la convocation d’une assemblée générale extraordinaire. Cette rencontre n’a jamais eu lieu.
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