Il y a 22 ans, un spécialiste en orientation scolaire est venu rencontrer Patrick et ses amis de secondaire 4. Il leur demande si certains envisagent déjà une profession. L’un dit qu’il veut devenir notaire, l’autre denturologiste. À son tour, Patrick lève la main et lance: «Moi, je veux devenir prêtre.» L’orienteur lui répond que durant toute sa carrière, il n’avait jamais rencontré quelqu’un qui voulait devenir prêtre. Il lui suggère des études collégiales en sciences humaines. «Ensuite, tu devras en discuter avec les autorités du diocèse où tu veux travailler», lui conseille l’orienteur.
C’est ainsi qu’à 18 ans, le jeune homme termine ses études au Cégep de Shawinigan. Il s’engage dans une usine de textile, là où travaille déjà son père. Ce secteur d’activités est toutefois fragile. «On a connu un creux. Et comme j’étais le dernier arrivé, j’ai été le premier à quitter l’usine.» Il déniche ensuite un emploi à la compagnie de matelas Sealy de Saint-Narcisse de Champlain. «Après quelques mois dans la production, mon patron m’a demandé si je voulais travailler au bureau à titre de planificateur. J’ai accepté.» Mais Patrick a été très franc avec lui. «Mon but, ce n’est pas de passer ma vie ici, mais de devenir prêtre.»
►REPORTAGE D’ABORD PUBLIÉ DANS LE NUMÉRO DE SEPTEMBRE 2018 DE LA REVUE NOTRE-DAME DU CAP◄
Des vacances à Saint-Benoît-du-Lac
Pour sa toute première semaine de vacances estivales, il décide d’aller se reposer, muni de bons livres, à l’abbaye de Saint-Benoît-du-Lac. Il connaissait un peu l’endroit, car il s’y était rendu en pèlerinage paroissial lors de l’ouverture de l’église abbatiale en 1994. Mais il n’avait pas conservé un très bon souvenir de son premier séjour chez les moines.
«C’était un dimanche et l’église était bondée. On avait vécu la messe debout, tout en arrière. Et, soyons honnêtes, à 13 ans, je n’avais pas ce qu’il fallait pour apprécier la beauté des chants grégoriens», dit-il, sourire aux lèvres. Mais ce second séjour à l’abbaye, à l’âge de 20 ans, sera déterminant.
À son arrivée à Saint-Benoît-du-Lac – «c’était la deuxième fois de ma vie que je traversais le pont de Trois-Rivières», dit-il – le père hôtelier lui montre sa chambre puis lui donne l’horaire et l’invite, s’il le souhaite, à visiter les lieux après le repas et à discuter.
«Le lendemain de mon arrivée, je demande à avoir plus d’informations sur la vie à l’abbaye.» On l’invite alors à demeurer quelques jours de plus et à aller travailler avec les novices à la cidrerie. «Cela te donnera une idée de la vie monastique», lui dit-on. L’expérience aura été positive, car au terme de ce séjour, Patrick Flageole dit qu’il aimerait bien devenir moine. «C’est un beau projet, mais ce n’est qu’un projet», lui répond le maître des novices.
«On ne devient pas moine du jour au lendemain.» On lui conseille alors de cheminer auprès d’un directeur spirituel afin de mûrir son choix.
Maître fromager
Au terme d’une longue réflexion, Patrick Flageole fera finalement son entrée à l’abbaye bénédictine de Saint-Benoît-du-Lac. Il y prononcera ses vœux définitifs cinq ans plus tard. Celui qui est encore aujourd’hui le plus jeune des 27 moines de l’abbaye sera possiblement ordonné prêtre l’an prochain.
À l’abbaye, les novices travaillent à la cidrerie. Il y demeurera une année. «Les pères ont bien vu que je buvais leurs profits», lance-t-il dans un grand éclat de rire. «Ils m’ont alors transféré à la fromagerie… pour que j’y mange les profits.» Il œuvre dans les bureaux administratifs, puis il travaille à la production des fromages. «On m’a demandé de suivre des cours à l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe.» Devenu maître fromager, le jeune moine est nommé directeur de la fromagerie de Saint-Benoît-du-Lac, créée en 1943.
Les moines ont décidé de construire une nouvelle usine. «On a débuté le projet en 2016 et la construction s’est terminée cette année. On a maintenant une fromagerie plus grande qui va nous permettre de passer d’une production de 300 000 kilos par année à 450 000 kilos. Le fromage, c’est 70% de nos revenus. Vous fermez la fromagerie, vous fermez l’abbaye. C’est aussi clair que cela.» Dorénavant, le frère Patrick ne s’occupe plus de la production, mais de la distribution des fromages et de leur promotion. «Quand il y a des activités promotionnelles à l’extérieur, c’est moi qui y vais.»
Interpeller et témoigner
Des évêques du monde entier participeront en octobre à un synode sur les thèmes de la jeunesse, de la foi et du discernement vocationnel, trois thèmes que connaît Patrick Flageole. S’il n’avait que cinq minutes pour s’adresser aux évêques sur ces sujets, que leur dirait-il ?
Il répond qu’il faut interpeller et témoigner. À ceux et celles qui lui répètent qu’il n’y a pas beaucoup de jeunes qui s’intéressent à la vie religieuse et qu’il n’y a plus de prêtres dans nos paroisses, il n’hésite pas à répliquer : «Et vous, combien de gens avez-vous interpellé pour qu’ils envisagent la vie religieuse?»
«Patrick, n’as-tu jamais pensé à devenir prêtre?», lui a-t-on un jour demandé. «Si une personne n’est pas interpellée, si elle n’a pas d’appel, c’est certain qu’elle ne pourra pas y répondre.»
«On n’impose rien»
Le pape François invite les chrétiens à se rendre sur la place publique et à aller évangéliser. Mais comment les moines, qui sont reclus et sortent rarement du monastère où ils vivent, prient et travaillent, pourraient-ils répondre à cette invitation? «On a seulement une manière différente de vivre», dit-il. «Dans le monde actif, les prêtres vont vers les gens. Ici, c’est le contraire. Ce sont les gens qui viennent à nous.» Il observe que bien des jeunes frappent aujourd’hui à la porte de l’abbaye. «Ils ont un grand désir de spiritualité, mais ils n’arrivent plus à trouver des points de repère dans la société.»
«Les jeunes ont pourtant besoin d’avoir des adultes signifiants dans leur vie. Ce que les familles proposaient auparavant n’est plus porté par les parents ou les enseignants d’aujourd’hui. Les jeunes sont laissés à eux-mêmes. Nous, les moines, on devient des guides. On n’impose rien, mais on explique que c’est ainsi que nous vivons, que la pensée de l’Église catholique est la suivante. Cela permet à ces stagiaires d’une trentaine d’années, qui viennent passer quelques semaines ici, de voir à quoi ressemble la vie religieuse.»
Ne pas avoir peur
Récemment, il a rencontré des jeunes du secondaire durant leur cours d’éthique et culture religieuse. «Le professeur les avait bien avertis. Vous allez rencontrer quelqu’un qui va arriver en robe», raconte-t-il. «Les jeunes s’attendaient à voir quelqu’un de 75 ans, avec les cheveux blancs. Ils m’ont posé de bonnes questions», avoue-t-il, et les commentaires reçus après leur rencontre étaient fort positifs.
«Dans une société anticléricale, ce n’est pas évident d’entrer dans certains endroits. Mais il ne faut pas avoir peur de témoigner», estime-t-il. Le frère Patrick reconnaît même que le fait de porter un habit religieux hors de l’abbaye peut aujourd’hui choquer. «Si j’ai choqué une personne à cause de mes vêtements, j’ai peut-être réussi à passer un message», dit-il, esquissant une nouvelle fois un grand sourire.
S’il pouvait s’adresser aux évêques lors du synode, le moine Patrick Flageole conclurait ainsi: «C’est le travail des chrétiens d’être des phares pour orienter les jeunes vers une spiritualité et des valeurs qui sont toujours bien ancrées dans notre société.»