Le cabinet d’avocats Kugler Kandestin a lancé vendredi une véritable bombe. Deux semaines plus tôt, il présentait à la Cour supérieure du Québec une demande de recours collectif contre les Frères du Sacré-Cœur, responsables jusqu’en 2004 du Collège Mont-Sacré-Cœur de Granby.
La requête du 7 octobre indiquait qu’un homme – appelé requérant A, aujourd’hui âgé de 56 ans – aurait été agressé sexuellement plus de 300 fois par le frère Claude Lebeau, directeur de l’aile des séniors et surveillant de dortoir au collège dans les années 1970.
Le frère Lebeau a quitté la congrégation religieuse en 1997 et est aujourd’hui, selon le quotidien La Voix de l’Est, intervenant en soins spirituels dans un établissement du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Ouest.
Vendredi, les avocats de Kugler Kandestin, des spécialistes en recours collectif qui ont notamment piloté les dossiers contre les Rédemptoristes et les Clercs de Saint-Viateur, ont amendé leur requête initiale et ajouté pas moins dix autres noms de religieux.
Le requérant A demande maintenant l’autorisation d’intenter une action collective au nom de «toute victime d’agression sexuelle subie au Collège Mont-Sacré-Cœur alors que l’école était dirigée par les religieux membres de la congrégation des Frères du Sacré-Cœur, incluant le frère Claude Lebeau (également connu comme le frère Gatien), le frère Paul-Émile Blain (également connu comme le frère maître), le frère Louis Raymond (également connu comme frère Raymond Decelles), le frère Jean-Guy Roy, le frère Marjorique Duchesne, le frère Roch Messier, le frère Hervé Aubin, le frère Georges-Arthur, le frère Eudes, le frère Jerry et le frère Gilles».
Selon les avocats, depuis le dépôt de la demande de recours collectif, «de nombreuses nouvelles victimes se sont manifestées afin de dénoncer des agressions sexuelles perpétrées non seulement par le frère Lebeau mais également», poursuit la requête, par les dix religieux nommés.
La requête, qui compte 26 pages, n’indique pas quels frères sont toujours vivants ou s’ils sont encore membres de la congrégation. Toutefois, tous ont enseigné ou travaillé au Collège Mont-Sacré-Cœur entre les années 1940 et 1980.
Réactions de la communauté
Invité à commenter ces allégations, le frère Gaston Lavoie, supérieur provincial des Frères du Sacré-Cœur, a expliqué que «la seule personne autorisée à faire des commentaires sur la situation actuelle est notre procureur, Me Yanick Messier».
«Notre service d’archives fait les démarches nécessaires pour retrouver les personnes incriminées. Je ne sais pas, à ce moment, qui sont les ex-frères encore vivants», a aussi indiqué dimanche le frère Lavoie.
À Rome, l’Institut des Frères du Sacré-Cœur tient à jour un registre de tous les frères qui sont décédés depuis la fondation de la communauté. Parmi les quelque 2800 religieux défunts depuis 1821, on trouve des noms qui font partie dans la liste présentée vendredi à la Cour supérieure du Québec. Mais l’identification se complique lorsque les victimes ne connaissent que le nom religieux du frère qui les aurait agressées. Un exemple: un frère George-Arthur est nommé dans la requête présentée vendredi ainsi que dans la liste des décès de la communauté. Mort en 1996, ce religieux n’aurait toutefois jamais œuvré à Granby, nous a-t-on informé. Par ailleurs, le répertoire des défunts n’indique pas les noms des religieux qui ont quitté la communauté avant leur décès.
Parmi les dix frères nommés vendredi, un est toutefois bien connu, notamment dans le monde des médias religieux. Il s’agit du frère Jean-Guy Roy, jusqu’à tout récemment directeur général de la maison de production Auvidec Média où il a animé le magazine télévisé Lignes de vie, diffusé par différentes chaînes de télévision communautaire. Ex-directeur général de Radio Ville-Marie (2000-2012), Jean-Guy Roy a aussi travaillé en pastorale jeunesse au diocèse de Saint-Hyacinthe et a été supérieur régional de sa communauté. Il a démissionné, il y a quelques jours, de la direction générale d’Auvidec Média.
Il n’a pas été possible de connaître quel sort attend, chez les Frères du Sacré-Cœur, les membres qui sont toujours vivants et qui font aujourd’hui l’objet de ces allégations. Lorsque des prêtres sont incriminés, s’ils sont membres d’instituts religieux, l’évêque responsable du diocèse où ils œuvrent doit les démettre de tout mandat pastoral, le temps de l’enquête policière et des procédures judiciaires. Les prêtres ne peuvent plus, par exemple, célébrer la messe devant des fidèles ou encore participer à des activités publiques.
Dans le cas d’un religieux qui n’est pas père ou prêtre mais frère, son ordre religieux «devrait très probablement le relever de toute activité ou responsabilité publique tant et aussi longtemps que l’enquête civile et canonique est en cours», indique la Conférence religieuse canadienne, une association qui regroupe les supérieurs des congrégations féminines et masculines du Canada. Le directeur général de la CRC, le père Timothy Scott, rappelle qu’un religieux «bénéficie de la même présomption d’innocence qu’une personne accusée d’un délit ou d’un crime tant que sa culpabilité n’a pas été légalement prouvée».