En invitant les catholiques à s’intéresser aux audiences de l’Enquête nationale sur les femmes autochtones assassinées et disparues, les évêques du Canada ne se doutaient pas de ce qui serait dévoilé lors des audiences tenues au Québec.
À Maliotenam, des femmes innues ont dénoncé des inconduites sexuelles commises par un missionnaire ayant vécu quelque quarante ans auprès de leur communauté, des révélations qui ont ébranlé non seulement la congrégation religieuse à laquelle appartenait ce prêtre décédé il y a vingt-cinq ans mais aussi toute l’Église catholique canadienne qui cherche à se réconcilier avec les Premières Nations.
«C’est une réalité qu’on a découverte nous aussi, qui était inconnue pour la majorité», commente Mgr Daniel Jodoin, évêque de Bathurst au Nouveau-Brunswick. «C’était peut-être su localement. Mais pour nous, c’est une situation qu’on ne connaissait pas. Et cette situation est inadmissible.»
Mrg Jodoin était membre, jusqu’en septembre 2017, du Conseil autochtone catholique du Canada, un organisme mis sur pied par les évêques canadiens afin de les conseiller sur les enjeux reliés aux peuples autochtones. C’est cet organisme qui anime l’annuelle Journée nationale de prière en solidarité avec les peuples autochtones, célébrée le 12 décembre, jour de la fête de Notre-Dame de Guadalupe.
C’est en apprenant le nombre de femmes autochtones qui ont été assassinées au Canada durant les quatre dernières décennies que le Conseil autochtone catholique a décidé de consacrer sa Journée nationale de prière de 2017 à la situation des femmes autochtones.
«Les statistiques sont effarantes», dit l’évêque de Bathurst. «Au Canada, de 1980 à 2012, 16 % des femmes assassinées étaient des autochtones. Pour tous les catholiques, mais aussi pour tous les Canadiens, c’est important de réfléchir à ce sujet. Cela pourrait être notre mère, notre sœur. C’est une réalité qu’on a découverte et qui nous dépasse», admet-il.
«Nous invitons les communautés, les paroisses et chaque personne individuelle à appuyer l’Enquête nationale par tous les moyens qu’ils peuvent, en participant aux cérémonies et en les vivant à fond, en participant aux opérations de recherche et de sauvetage et en offrant des locaux où les gens peuvent se réunir», ont écrit les membres du Conseil autochtone catholique.
Deux semaines plus tôt, lors des audiences québécoises de cette Enquête nationale, les commissaires ont entendu les témoignages de femmes de la nation innue de la Basse-Côte-Nord qui ont accusé Alexis Joveneau, un missionnaire de la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée et un spécialiste de la langue innue, de les avoir agressées notamment lorsqu’il entendait leur confession ou visitait leur famille.
Invité à commenter ces allégations, Mgr Jodoin reconnaît qu’elles font certes mal mais qu’elles doivent être entendues. «Même si c’est dur à entendre, même si c’est souffrant et blessant, faire vérité, c’est la meilleure des choses.»
«Parfois, faire la vérité, c’est douloureux. Mais c’est salutaire car cela oblige à se demander ce que l’on doit faire aujourd’hui devant ces souffrances», ajoute-t-il. «On ne peut pas refaire le passé. Mais on peut bâtir l’avenir».
«Les victimes doivent savoir qu’on est à leurs côtés et qu’on souhaite les accompagner afin de surmonter cette peine et d’envisager l’avenir avec espérance», confie l’évêque de Bathurst. «Elles doivent savoir qu’on est avec elles dans leurs souffrances, qu’on les écoute et qu’on est aussi bouleversées qu’elles. Et qu’on ne veut plus que ça se reproduise, jamais».
Au lendemain de ces révélations, l’évêque du diocèse de Baie-Comeau, Mgr Jean-Pierre Blais, a refusé de commenter les accusations lancées contre ce missionnaire longtemps actif dans des paroisses qui font dorénavant partie de son diocèse. «Il n’y aura pas de déclaration de notre part étant donné que ce sont les Oblats de Marie-Immaculée qui répondent aux médias», a-t-on répété au journaliste qui voulait savoir si l’évêque avait acheminé un message d’appui ou entendait se rendre auprès des communautés catholiques de La Romaine et de Pakua Shipi.
Mgr Jodoin refuse de blâmer son confrère. «Peut-être était-il en état de choc? Moi, je suis bien loin de ces événements. Quand on est trop près d’un événement, on peut être, comment dit-on, tétanisé», explique-t-il.
Mais il estime que la seule position que l’Église doit prendre devant de telles situations est dictée par l’évangile. «Il faut se lever debout avec eux. C’est tout. Et cela peu importe l’injustice, peu importe que ce soit chez les autochtones ou chez un autre peuple. Une injustice, c’est une injustice, une souffrance, c’est une souffrance et on doit être aux côtés des gens qui souffrent.»
«Ce sont les valeurs de l’évangile nous poussent à agir ainsi», ajoute-il. «Comme dans la parabole du bon Samaritain, on ne peut pas passer à côté de quelqu’un qui souffre, d’autant plus que ces gens disent avoir vécu des choses épouvantables, qui ont été longtemps refoulées.»
«Les catholiques sont appelés à être de bons Samaritains», dit Mgr Daniel Jodoin.
Réaction de l’évêque de Baie-Comeau
Informé que l’évêque de Bathurst commentait, au nom du Conseil autochtone catholique et à la demande de la Conférence des évêques catholiques du Canada, la thématique de la Journée nationale de prière en solidarité avec les peuples autochtones ainsi que les révélations faites aux commissaires de l’Enquête nationale sur les femmes autochtones assassinées et disparues, le Service des communications du diocèse de Baie-Comeau a expliqué que «lors du passage de la commission d’enquête, Mgr Blais était en visite pastorale dans une autre zone située à l’extrême ouest du diocèse».
On ajoute que l’évêque est demeuré «en lien par téléphone avec les responsables paroissiaux pastoraux (un père oblat et une religieuse) qui travaillent dans les deux communautés innues de La Romaine et de Pakua Shipi», des communautés qu’il avait visitées une semaine plus tôt.
«À son retour à Baie-Comeau, toujours en collaboration avec ces responsables pastoraux, il a adressé par écrit un mot d’encouragement aux communautés», a-t-on précisé par courriel le 14 décembre.
Rédigée en français, puis traduite en innu, la lettre de l’évêque de Baie-Comeau a été diffusée dès le 7 décembre «aussi bien à la radio communautaire locale qu’à l’église».
«Je reviens d’une merveilleuse visite de vos villages. J’ai eu la joie de célébrer plusieurs confirmations à Pakua Shipi et de participer à l’assermentation du Conseil de bande de La Romaine», rappelle d’abord Mgr Blais dans sa lettre aux deux communautés.
«Je suis profondément consterné et affligé avec tous les diocésains et diocésaines suite aux témoignages entendus lors des audiences publiques tenues à Sept-îles par la Commission nationale d’enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées». L’évêque souhaite «que toute la lumière soit faite sur ces événements».
«Dans ces moments difficiles, je vous porte dans ma prière et demeure disponible à rechercher avec vous les moyens d’accompagnement spirituel que vous souhaiteriez pour la guérison et le mieux-être de vos communautés.»
Mgr Jean-Pierre Blais est, depuis septembre, l’évêque représentant le Québec auprès du Conseil autochtone catholique du Canada.