«Des travaux ont été faits avec les groupes religieux pour en arriver à cette bonne nouvelle du déconfinement des lieux de culte.» La phrase, prononcée le mercredi 17 juin 2020 par le docteur Horacio Arruda était attendue depuis longtemps par la directrice du Centre canadien d’œcuménisme.
Mais ce qui a surtout touché Adriana Bara – «ça m’a même émue», dit-elle le lendemain -, ce sont les six mots suivants que le directeur de la Santé publique a prononcés. «La vie spirituelle est un élément important», a-t-il lancé.
Ce sont des mots que Hassan Guillet aurait bien aimé que le premier ministre du Québec prononce aussi cette semaine. Mais il ne l’a pas fait.
Cette absence de reconnaissance de l’importance de la vie spirituelle des Québécois par le gouvernement explique pourquoi, dans le communiqué publié mercredi par la Table interreligieuse de concertation, ce groupe de travail sur la COVID-19 auquel ont participé l’imam Guillet et la dirigeante œcuménique Adriana Bara, on retrouve une phrase plutôt cinglante: «Cette crise a mis en évidence une profonde méconnaissance des religions et des bienfaits qu’elles procurent à des centaines de milliers de personnes au Québec. Il est regrettable que l’autorisation de rouvrir les lieux de culte ait été retardée par cette méconnaissance.»
Pas d’annonce officielle
La Table interreligieuse, responsable de rédiger les protocoles pour les différents lieux de culte du Québec, a travaillé longtemps avec des responsables de la Santé publique. «Avec ces fonctionnaires, tout allait bien. On faisait équipe, on discutait protocoles et mesures de protection. Pas de problème», dit l’imam Guillet. «Mais quand ces fonctionnaires rencontraient les autorités, tout semblait se compliquer.»
D’où la surprise de tous les leaders religieux du Québec d’entendre le gouvernement annoncer que les rassemblements intérieurs de 50 personnes et moins seraient dorénavant autorisés, sans qu’aucune mention ne soit faite des lieux de culte.
«Le gouvernement de la CAQ nous rappelle constamment la neutralité de l’État, la laïcité. Mais nous sommes d’accord avec cela», lance Hassan Guillet. «Et nous non plus, nous ne voulons pas d’un État religieux au Québec. Mais la laïcité, c’est quoi? C’est traiter tout le monde à égalité. Quand on nous fait sentir qu’il y a, au Québec, deux sortes de citoyens, les non-religieux et les religieux, là, je ne suis plus d’accord.»
«Quand la pandémie est arrivée, les leaders religieux ont immédiatement collaboré avec les autorités afin de fermer les lieux de culte. La moindre des politesses aurait été de mentionner nos lieux de culte lorsqu’il a annoncé que les rassemblements intérieurs étaient dorénavant permis.»
C’est ce qui explique que ce sont les leaders religieux eux-mêmes qui ont annoncé, par communiqué de presse, la réouverture des lieux de culte mercredi. «On attendait une annonce du gouvernement», dit Adriana Bara. «Elle est venue du docteur Arruda» et non lors du point de presse de François Legault.
Bienfaits des religions
Alain Picard, conseiller en communications auprès du Conseil juif hassidique du Québec et aussi participant à la Table interreligieuse de concertation, reconnaît que «la santé psychologique des Québécois a souvent été évoquée pour justifier les décisions prises par la Santé publique quand elle décidait de réduire la portée de certaines de ses directives». Il estime aussi que «les religions apportent un réconfort psychologique au croyant, surtout dans des moments semblables à ceux que l’on vient de vivre».
«Si cette donnée avait été évaluée correctement par les autorités de la Santé publique, il me semble évident qu’on aurait pu trouver les arrangements nécessaires pour permettre à ceux qui voulaient ou devaient prier dans leur lieu de culte de le faire plus tôt, tout en respectant les protocoles nécessaires mis en place pour prévenir toute propagation du virus», avance-t-il.
«La croyance en Dieu est profondément ancrée dans la psyché des communautés hassidiques», dit leur conseiller. De plus, «les règles dictées par leurs livres saints pour la pratique de leur religion sont très contraignantes». Ils sont, entre autres, tenus de prier en groupe plusieurs fois par jour. «L’observation de telles règles procure aux adhérents la conviction qu’ils font ce que Dieu leur ordonne de faire. En retour, ils retirent une grande satisfaction à l’idée d’accomplir ainsi leur devoir.» Mais durant ces trois longs mois où les rassemblements étaient interdits, «beaucoup de croyants qui pratiquent leur religion avec rigueur et par nécessité ont été privés de ce type de bienfait psychologique».
La Santé publique a sous-estimé les «bienfaits psychologiques qu’apportent au croyant les religions». C’est de la méconnaissance, dit-il, reprenant les termes du communiqué de presse qu’il a signé.
Trois simples mots
«Le gouvernement, avec ou sans raison, ne comprend les religions que sous l’angle du rassemblement», croit de son côté Mgr Pierre Murray, le secrétaire général de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec. «Il méconnaît complètement l’effet positif que la religion peut avoir dans la vie des gens.»
La preuve? Mgr Murray n’en revient toujours pas que le gouvernement ait accordé la permission de tenir des funérailles dans des salons funéraires, mais pas dans les églises. «S’il y a un endroit où l’on peut faire de la distanciation physique et qui peut accueillir dix ou cinquante personnes sans qu’elles ne se touchent, c’est bien dans une église», lance-t-il.
«Le gouvernement a cherché à annoncer l’ouverture des lieux de culte mais sans le dire», croit-il. «Il n’avait qu’à prononcer trois petits mots, lieux-de-culte, et l’affaire aurait été réglée», à la satisfaction de tous les leaders religieux. «Toute cette histoire aurait été évitée.»
«C’est une prise de conscience qu’on est en postchrétienté», dit Mgr Murray. «On l’a vu avec la charte des valeurs, avec la loi sur la laïcité de l’État. Il y a, du côté du gouvernement, une méconnaissance du phénomène religieux. La crise a carrément mis en évidence toute cette méconnaissance.»
Un peu de mépris?
C’est plus que cela, estime Louis Bourque, directeur de l’Association d’Églises baptistes évangéliques au Québec (AEBEQ). C’est de l’incompréhension ou même de l’ignorance devant le fait religieux dans la société. «On a été traités comme des salles de spectacle. On n’a pas compris que les églises répondent à des besoins essentiels chez des gens. Jamais, on n’aurait pensé à fermer un hôpital, c’est un lieu indispensable. Alors pourquoi avoir fermé les lieux de culte? Dans une église, les gens se rencontrent, s’encouragent, prient ensemble. Tout cela produit un bénéfice extraordinaire dans leur vie. Mais cela n’est pas reconnu.»
Tous les leaders religieux «étaient d’accord avec la fermeture des lieux de culte», rappelle-t-il. «Mais on n’est pas à l’aise avec la façon dont s’est déroulée l’annonce du déconfinement».
Des semaines durant, les membres de la Table interreligieuse «ont cogné à toutes les portes et bien travaillé avec la Santé publique. On nous répétait qu’on nous entendait». Mais le premier ministre n’a jamais annoncé la date du déconfinement des lieux de culte. «Alors, mercredi, en catastrophe, c’est nous qui avons pris les devants», clame le leader religieux.
Comment explique-t-il cette prudence ou même cette ignorance gouvernementale? Chez le gouvernement actuel – «mais on voyait cela aussi avec le Parti québécois» dit-il – on banalise la foi. On répète que c’est du domaine privé. «La dimension sociale ou communautaire de la foi n’est pas bien vue, ni bien comprise. Finalement, on sent une forme de mépris à l’égard de tout ce qui est religieux».
Du mépris, vraiment? «Si on vous considère comme une salle de spectacles, pour les gens qui ont la foi, alors oui, c’est méprisant», dit Louis Bourque. «Si on vous compare à un club de hockey, c’est méprisant.»
Malgré les difficultés rencontrées lors de cet exercice de collaboration avec les autorités gouvernementales, il y a quand même une bonne nouvelle. «La Table va demeurer», dit Louis Bourque. «On va l’ouvrir aux autres religions», ajoute Adriana Bara. «Et après la COVID-19, on pourrait bien vouloir discuter avec le gouvernement de la loi sur la laïcité de l’État», promet le directeur de l’AEBEQ.
«La COVID-19 nous a montré jusqu’à quel point notre civilisation est fragile et jusqu’à quel point le destin des hommes dans le monde est lié. Nous faisons face au même danger. Ce danger nous menace tous et ne voit pas nos différences d’origine ou de religion. Nous devons faire la même chose», estime Hassan Guillet.
Il souhaite que la Table interreligieuse de concertation contribue à «faire tomber les murs, physiques ou psychologiques, qui nous séparent». Le gouvernement devra alors reconnaître que les religions sont prêtes à collaborer «pour sauver nos sociétés et bâtir un meilleur avenir pour nous et pour nos enfants».
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