«C’est tout à l’honneur de Mgr Lépine. C’est la première fois, au Québec, qu’un diocèse démontre que les abuseurs ont été protégés au détriment des enfants.»
L’avocat Alain Arsenault, qui défend plusieurs victimes de prêtres et de religieux, n’hésite pas à dire combien il est impressionné par l’ampleur et le contenu du rapport que la juge à la retraite Pepita G. Capriolo a rédigé à la demande de l’archevêque de Montréal sur les nombreuses défaillances de l’Église de Montréal dans sa gestion de la carrière de l’abbé Brian Boucher,
Au moment d’être interviewé, Me Arsenault reconnaissait qu’il n’avait pas encore lu le rapport Capriolo dans son intégralité. Mais c’est un exercice dont il ne se privera pas. «Dans ce que j’ai lu, on voit très bien cette culture du « pas dans ma cour », du « je ne sais pas de quoi on parle ». On découvre une culture et un tout un système de protection des prêtres», dit-il.
La prochaine fois qu’il rencontrera l’archevêque de Montréal, il a bien l’intention de le remercier pour avoir commandé ce rapport à la juge Capriolo et surtout de l’avoir rendu public.
«Les gens qui parlent la langue de bois, j’en connais beaucoup dans l’Église», lance l’avocat montréalais. Mais l’archevêque de Montréal n’est pas de ce type-là, dit-il. «Je n’ai rencontré Mgr Lépine qu’une seule fois, lors d’une conférence de règlement à l’amiable», une négociation entre les parties préalable à un procès. «À un moment, il a déclaré très clairement ‘’c’est abominable ce qui est arrivé’’, « ce prêtre a été protégé, je ne comprends pas, je m’excuse »».
«J’étais abasourdi» devant ses réactions, lance Me Arsenault. «Durant une pause, je suis allé le rencontrer et j’ai tenu à lui serrer la main.»
Il remerciera aussi l’archevêque de Montréal car le rapport qu’il a rendu public le 25 novembre 2020 «établit la nouvelle norme» que les diocèses et les congrégations religieuses devront dorénavant respecter, croit-il. Après le rapport Capriolo, il espère qu’il n’y aura plus de documents cachés, plus d’informations ou de plaintes détruites, plus de gens en autorité qui omettent de réagir dès qu’une faute leur parvient, et cela «même si la victime a plus de 18 ans».
«La question que je me pose aujourd’hui, c’est ce que les autres institutions vont faire», maintenant qu’elles ont pris connaissance des conclusions de cette enquête et des recommandations de la juge. Vont-elles modifier leurs attitudes lorsque des victimes feront entendre leurs voix? «Il y a des organisations religieuses qui nous enterrent dans les procédures, qui vont jusqu’à la Cour suprême, qui attendent que les gens meurent», déplore-t-il.
Selon l’avocat, un élément manque toutefois: «Ce sont les évaluations des conséquences des abus sur les victimes.»
Il regrette, par exemple qu’un événement dont il connaît l’existence, ne soit guère mentionné dans le rapport. Il s’agit de l’interrogatoire d’une victime dans les locaux de l’archevêché de Montréal.
«On a mis cette personne dans une situation…». L’avocat ne termine pas sa phrase. Il ajoute alors: «Écoutez, vous avez neuf prêtres, trois qui sont pour, trois contre et trois neutres. Trois prélats ont questionné la victime. Un des prélats a même dit: Ce n’est pas vrai ce que vous dites. Vous êtes un menteur.»
«On n’est plus au temps de l’Inquisition. On est en 2016», lance l’avocat.
«Les victimes ont de graves problèmes. Elles pensent qu’elles sont les uniques victimes d’un abuseur. Elles pensent aussi que personne ne va les croire.» D’où l’importance de les écouter, de les aider, dit-il. «Pas de les faire comparaitre devant neuf prélats, habillés de rouge et de pourpre», comme cela s’est passé. «On mettrait cela dans un film et les gens diraient que l’on charrie, que l’on exagère.»
«Bien, ils l’ont fait. Comment peut-on oublier cela?»
Le jour où elle a présenté son rapport, la juge Pepita G. Capriolo n’a ni confirmé ni infirmé la tenue de cet événement lors de la période de questions. Mais elle a clairement indiqué qu’il était, à son avis, «inadmissible» que des victimes d’abus soient accueillies ainsi.
Le 3 avril 2019, le cabinet d’avocats dont fait partie Me Alain Arsenault, a déposé une demande à la Cour supérieure afin que soit autorisé un recours collectif au nom de «toutes les personnes ayant été agressées sexuellement par tout préposé» de l’archidiocèse de Montréal «durant la période comprise entre 1940 et aujourd’hui».
Au terme de la rencontre de presse du 25 novembre, la porte-parole de l’archidiocèse de Montréal a indiqué que «cette action collective étant toujours en cours, l’archevêché s’abstiendra de faire tout autre commentaire sur le rapport Capriolo».
Me Alain Arsenault confirme que des négociations ont toujours cours entre les parties. «Les négociations ne sont pas terminées. Je ne peux pas en dire davantage.»
Ce qui est certain, c’est que lors de la prochaine séance de négociations, Me Alain Arsenault aura lu en entier le rapport Capriolo. Durant une pause, il en discutera certainement avec l’archevêque de Montréal.
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