«Un désastre de convivence!» Voici comment Louis Rousseau, membre de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté décrit la situation tendue qui subsiste dans l’arrondissement Outremont. Professeur au département de Sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), il suit avec attention l’évolution des relations entre les communautés hassidiques et les citoyens qui y vivent.
Le 20 novembre, les Outremontais qui résident à proximité de l’avenue Bernard se sont majoritairement prononcés par voie référendaire pour le règlement interdisant la construction et l’établissement de tout nouveau lieu de culte sur cette artère commerciale. Selon les chiffres diffusés par la mairie de l’arrondissement, 1561 citoyens se sont prononcés en faveur de cette nouvelle réglementation, contre 1202.
Ce résultat ne surprend pas Louis Rousseau.
«C’était prévisible. Les communautés hassidiques ne représentent que 20 % de la population de l’arrondissement. Elles sont minoritaires. De plus, les relations entre elles et la majorité non hassidique sont, depuis longtemps déjà, très difficiles. L’arrivée éventuelle d’une synagogue sur Bernard, qui est une avenue de socialisation et de restauration surtout, a provoqué un choc. Indéniablement, du point de vue de la majorité, il y a un problème, il y a une résistance.»
Pour lui «le référendum n’a pas permis une réconciliation des points de vue sur le problème bien réel que constitue la présence insuffisante de synagogues pour répondre aux besoins des juifs hassidiques de l’arrondissement.»
Bien qu’il considère légitime la demande des communautés hassidiques, Louis Rousseau est également d’avis que la difficulté de trouver des solutions est «considérable», surtout en milieu urbain. Il précise toutefois que des initiatives de l’arrondissement voisin auraient pu être étudiées avant d’entreprendre les démarches menant au référendum.
«Le Mile End a opté pour l’ouverture de lieux de culte dans des édifices situés sur les artères commerciales, pourvu qu’ils soient hébergés à l’étage ou au sous-sol», explique-t-il.
Selon lui, le référendum n’a pas réglé le problème. «Nous sommes dans une situation qui est bloquée. Ce n’est pas souhaitable.»
«D’autant plus, souligne-t-il, que la question des synagogues au sein de l’arrondissement fait partie d’un problème plus vaste. C’est une vieille situation qui me semble structurelle.»
Selon le professeur, nous nous retrouvons ici devant deux groupes de citoyens convaincus d’avoir la vérité dans leur camp. «D’un côté, nous avons les communautés hassidiques qui ont adopté des règles qui, disent-elles, les aident à vivre en accord avec Dieu. Celles-ci, toutefois, les forcent à minimiser au maximum leurs rapports avec les sociétés environnantes. Les communautés hassidiques sont convaincues que, pour survivre, elles doivent construire des murs, invisibles, mais bien réels. Pour elles, les non hassidiques ne sont pas des personnes avec qui elles peuvent avoir des interactions. De l’autre côté, nous avons les non hassidiques qui sont persuadés d’avoir le meilleur mode de vie. Là réside le fond de l’affaire.»
Par ailleurs, le professeur souligne que «les non hassidiques ont l’impression que les hassidiques se développent géographiquement et démographiquement, qu’ils grignotent de l’espace. Ce faisant, ils peuvent, d’une certaine manière, faire peser leur style de vie sur la majorité.»
Pour Louis Rousseau, nous sommes devant une situation sociologique qui «pousse à la limite la notion du vivre-ensemble. Dans les deux camps, nous retrouvons des personnes qui sont persuadées qu’il ne faut surtout pas faire de compromis. Tant que l’on va réagir de cette manière, la crise va se perpétuer.»
«Outremont, conclut-il, doit prendre la mesure du désastre de convivence. Il faut absolument entreprendre des négociations entre les communautés hassidiques et les autres citoyens de l’arrondissement pour espérer voir s’apaiser les tensions actuelles.»