Quand le théologien québécois Daniel Laliberté a décidé d’aller faire une escapade à Paris avec son épouse, il n’imaginait certainement pas qu’il se retrouverait à deux pas de l’un des pires massacres terroristes commis en Occident au cours de la dernière décennie.
Ce professeur de théologie catéchétique et pastorale à la Luxembourg School of Religion and Society a travaillé plusieurs années pour l’archidiocèse de Québec. Il connait bien Paris.
Vendredi soir, son épouse et lui rentraient d’une soirée passée avec des amis dans l’ouest de la ville. Leur hôtel donnait directement sur la place de la République, dans l’est.
«C’est au moment de monter dans le dernier métro, celui qui nous laissait en principe près de l’hôtel, qu’on a appris que trois stations étaient fermées et donc qu’il faudrait se rendre à pied. Mais toujours sans savoir pourquoi. On savait juste que c’était la police qui avait fait fermer ces stations de métro», explique le professeur Laliberté.
«En approchant de la place de la République, que normalement on devait traverser pour se rendre à l’hôtel, des policiers mitraillette à la main nous ont empêchés de passer, ce qui faisait qu’il fallait contourner la place par des petites rues. Le chemin emprunté nous a fait passer entre la place de la République et deux des restos touchés, sur les rues Alibert et Fontaine-au-Roi. Mais nous, on savait juste qu’il y avait eu des coups de feu, aucune idée de l’ampleur de la chose.»
«On a fini par arriver à l’hôtel, le gardien avait barré pour se barricader. Il nous a laissés entrer, nous a donné quelques faits. Mais c’est en ouvrant la télé qu’on a découvert au milieu de quoi on se trouvait», poursuit-il, précisant que tout autour d’eux des sirènes de police et d’ambulances se faisaient entendre.
En marchant vers l’hôtel quelques instants plus tôt, quand il ignorait encore l’ampleur de ce qui passait, il avait confié à son épouse que cet imprévu mettait un peu de «piquant» dans leur séjour parisien.
«Tu te doutes qu’après, je me trouvais plutôt ridicule», confie-t-il.
Des cafés touchés étaient à proximité, tandis que la salle du Bataclan où se déroulait toujours la prise d’otages ne se trouvait qu’à quelques rues de là.
«Je n’avais pas peur pour moi-même, je me sentais en sécurité, mais je ‘freakais’ quand même un peu en pensant à tout ce qui se jouait autour de moi», reconnaît le théologien.
Samedi, le couple s’est joint aux nombreuses personnes qui s’agglutinaient sur la place de la République. Il régnait une atmosphère faite d’un «mélange de tristesse et de détermination solidaire», note le Québécois.
Les policiers avaient semble-t-il eu comme consigne d’empêcher les attroupements autour de la statue sur la place de la République. Mais la foule se densifiait, comme ce fut le cas au début en janvier dernier, lorsqu’un grand rassemblement de soutien a eu lieu à cet endroit après l’attentat contre Charlie Hebdo, dont les bureaux se trouvent à proximité.
Daniel Laliberté explique que les policiers ont finalement laissé les gens s’approcher. Hommes, femmes, enfants: tous venaient se recueillir, apportant parfois des lampions ou des fleurs près de la statue.
«En tout cas, c’était très intense de participer à cela cet après-midi [samedi]», dit-il.
«Sur le socle sont gravés en grosses lettres les trois mots de la devise si bien connue: liberté, égalité, fraternité. C’est ce qu’exprime ce symbole qui est rejeté par les islamistes, et j’ai clairement ressenti, avec mes frères français cet après-midi, qu’aucune attaque, aussi barbare soit-elle, n’arriverait à mettre à mal cette vision sociale», ajoute le professeur.
«[…] j’ai clairement ressenti, avec mes frères français cet après-midi, qu’aucune attaque, aussi barbare soit-elle, n’arriverait à mettre à mal cette vision sociale»
Le théologien se questionne sur la variété des symboles et des sentiments face à ces attentats. Il y a de la tristesse et des appels à la paix, mais aussi une certaine colère, manifestée en partie sur les réseaux sociaux.
«Cela révèle aussi notre propre contradiction occidentale: d’une part, on ne veut pas se laisser submerger par la violence, on souhaite une autre réponse. Mais une part de nous semble en même temps souhaiter que nos avions arrivent à éradiquer l’État islamique», note-t-il.
Il souligne que plusieurs musulmans condamnent et rejettent une telle violence. Il se demande toutefois d’où vient l’«incompatibilité» qui pousse à une telle violence.
«Si d’une part il est vrai que l’Islam ne prône pas en lui-même cette vision des rapports humains, mais si d’autre part on constate que, de façon très majoritaire, cette vision du monde et le terrorisme qu’il génère naît dans le giron de l’Islam, alors la question devient: qu’est-ce qui, dans l’Islam donne prise de façon aussi forte à ces dérives? On peut bien faire cette réflexion théologico-sociologique, mais les premiers qui devraient le faire, ce sont les sociologues et théologiens musulmans eux-mêmes», avance-t-il, précisant du même souffle qu’il faut «éviter toute association automatique entre cela et l’Islam».