Brisant une longue tradition, le président de la Conférence des évêques catholiques du Canada ne publie pas cette année de lettre d’appui envers Développement et Paix dans le matériel promotionnel que distribue l’organisme partout au Canada durant la campagne Carême de partage.
Depuis le début du mois de janvier, les outils promotionnels et documents de réflexion destinés aux paroisses catholiques qui comptent recueillir des fonds pour Développement et Paix sont déposés dans le site Web de l’organisme de solidarité internationale.
Au même moment, ces pièces, dont l’affiche de campagne et les enveloppes de collecte, sont distribuées par voie postale dans tout le Canada aux paroisses catholiques qui en font la demande.
La pièce maîtresse de ce matériel a toujours été une revue ou un journal qui résume les engagements de l’organisme dans les différents pays du Sud. Jouissant d’un fort tirage, ce magazine du Carême de partage contient traditionnellement une lettre d’appui signée par l’évêque qui préside la CECC. Elle n’en fait pas partie cette année.
Une lettre rassurante
Ces dernières années, alors que le travail de 52 des 180 partenaires de Développement et Paix a été remis en question par des évêques et par le secrétariat général de la CECC, la lettre du président de la CECC se faisait rassurante sur l’appui que continue de donner l’épiscopat canadien à l’organisme qu’il a fondé il y a plus de 50 ans.
À titre d’exemple, dans le magazine de la campagne Carême de partage de 2017, Mgr Douglas Crosby, évêque de Hamilton et alors président de la CECC, reconnaissait que «la pauvreté et le sous-développement touchent un nombre disproportionné de femmes à cause du manque d’éducation, de la sous-alimentation, des emplois précaires et mal payés, et de la discrimination». Il invitait les catholiques «à examiner ce que veut dire pour chacun de nous et pour notre communauté de croyants le fait d’être au cœur du changement».
En 2018, au moment même où des évêques de l’Ouest déploraient publiquement que le tiers des «partenaires [de Développement et Paix] semblent montrer des signes de conflit avec l’enseignement moral et social catholique.», le nouveau président de la CECC, Mgr Lionel Gendron, encourageait plutôt les catholiques à s’engager, lors de la campagne Carême de partage. à la «recherche de chemins vers l’unité» en cette «époque trouble, souvent marquée par la peur de l’autre et même par la haine et la violence».
L’an dernier, la lettre de Mgr Gendron réitérait une invitation à appuyer la campagne Carême de partage, «à la propager dans vos communautés, à participer activement aux actions qui vous seront proposées, à amasser des fonds pour Développement et Paix et à soutenir les efforts faits par votre communauté afin d’accueillir les personnes migrantes et réfugiées».
Dans le magazine de 2020, la photographie ainsi que le texte d’appui du président de la CECC sont absents. Les catholiques trouveront plutôt une invitation à donner signée par la présidente et le directeur général de Développement et Paix.
«Continuons à prendre soin de cet arbre d’un demi-siècle qui porte dans le monde de merveilleux fruits de justice et de paix. Nous vous sommes reconnaissants pour votre engagement envers la mission de Développement et Paix. Nous vous remercions de donner avec cœur à la collecte Carême de partage de cette année», écrivent Evelyne Beaudoin et Serge Langlois.
Au moment opportun
Comment expliquer cette absence? Aurait-t-on omis cette année de demander au président de la CECC de rédiger sa lettre? Ou doit-on interpréter cela comme un désaveu de la campagne Carême de partage?
Mgr Richard Gagnon, archevêque de Winnipeg et président de la CECC depuis septembre 2019, actuellement en voyage de solidarité en Terre Sainte, n’a pas répondu à ces questions. La direction des communication de la CECC a toutefois confirmé que, puisque la conférence épiscopale et Développement et Paix «se trouvent dans une période d’examen et de dialogue conjoints, la CECC n’a pas encore publié une lettre pour la campagne Carême de partage 2020».
«Une lettre pourra être émise au moment opportun», assure toutefois Lisa Gall, la coordonnatrice des communications de la CECC.
Préparer à temps tout le matériel nécessaire pour le lancement de la campagne Carême de partage «nécessite une certaine logistique», a reconnu mardi matin Développement et Paix.
«Comme Développement et Paix et la CECC continuent à dialoguer, une lettre n’a pas pu être reçue dans les délais de production pour le matériel», a aussi expliqué Kelly Di Domenico, directrice des communications de l’organisme.
«Nos discussions se poursuivent et nous avons été informés qu’une lettre pourrait être émise», a-t-elle ajouté, sans donner plus de précisions.
Une entente prochaine?
En mars 2019, quelques jours avant la collecte annuelle de Développement et Paix, la conférence épiscopale laissait entendre que l’examen des 52 partenaires de Développement et Paix, qui font depuis 2017 «l’objet d’une étude et d’éclaircissements additionnels détaillés», serait terminé «le plus tôt possible». «Cet examen commun aura pour résultat une série de recommandations visant à savoir si les partenariats devraient prendre fin, continuer ou continuer sous réserve de certaines conditions», disait-on.
Ces recommandations, présentées pour approbation en septembre 2019 aux évêques de tout le Canada, n’ont toujours pas été rendues publiques. À la fin du mois de novembre 2019, un partenaire haïtien de Développement et Paix révélait même avoir reçu une nouvelle demande de clarification sur son travail de la part de la conférence épiscopale canadienne.
Faut-il y voir un signe que cette évaluation des partenaires sera bientôt terminée? Le magazine du Carême de partage 2020 consacre une pleine page à un organisme du Brésil qui faisait pourtant partie de la liste initiale des 52 partenaires de Développement et Paix soupçonnés de ne pas respecter les enseignements de l’Église catholique.
En 2018, une équipe de recherchistes de la CECC reprochait à la Commission pastorale de la terre (CPT) de la Conférence des évêques catholiques du Brésil (CNBB) d’être trop œcuménique, de prêcher la théologie de la libération, de ridiculiser le concept de «charité», de préférer les opinions du cardinal brésilien Pedro Casaldáliga au détriment de celles du pape émérite Benoît XVI et de mentionner trop souvent dans son site Web le terme «avortement». Dans sa réponse à ces «insinuations malveillantes», Développement et Paix disait ne pas comprendre l’acharnement des évêques canadiens à jeter un tel discrédit sur les engagements de l’Église du Brésil «sans fournir de preuve précise».
«Inspirée par la théologie de la libération, la CPT soutient les luttes des paysannes et des paysans brésiliens et des sans-terre contre la distribution injuste des terres», écrivent ouvertement les responsables de Développement et Paix dans le magazine du Carême de partage 2020.
En 2020, la campagne Carême de partage débute le mercredi des Cendres, le 26 février. Le 5e dimanche du carême, soit deux semaines avant Pâques, une collecte de fonds en faveur de Développement et Paix se tiendra dans toutes les paroisses catholiques du Canada.
* 11 h 30 – La réaction de Développement et Paix a été ajoutée à cet article.
***