Le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada a été rendu public mardi à Ottawa. Il dresse un sombre portrait des pensionnats autochtones où, durant 130 ans, quelque 150 000 enfants indiens, inuits ou métis ont été envoyés contre leur gré.
«Pendant plus d’un siècle, les objectifs centraux de la politique indienne du Canada étaient les suivants: éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits des Autochtones, mettre fin aux traités conclus et, au moyen d’un processus d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant qu’entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canada», tranche le rapport final de la Commission. «L’établissement et le fonctionnement des pensionnats ont été un élément central de cette politique, que l’on pourrait qualifier de génocide culturel.»
Les principales Églises canadiennes (catholique, anglicane, unie, méthodiste et presbytérienne) ont été les principaux groupes confessionnels qui ont participé à l’administration du système des pensionnats, ont rappelé les commissaires, le juge Murray Sinclair, le chef Wilton Littlechild et la journaliste et gestionnaire Marie Wilson.
«Le partenariat entre le gouvernement et les Églises est demeuré en place jusqu’en 1969 et bien que la plupart des écoles avaient fermé leurs portes dans les années 1980, les derniers pensionnats financés par le gouvernement fédéral sont demeurés en activité jusqu’à la fin des années 1990».
Dans ces pensionnats, «des enfants ont subi des sévices, physiques et sexuels, et y sont décédés dans des proportions qui n’auraient jamais été tolérées dans aucun autre système scolaire du pays ou de la planète», ont dénoncé les commissaires.
94 appels à l’action
Le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada contient 94 propositions, appelées des appels à l’action. Trois de ces appels sont destinés à toutes les Églises canadiennes. Un appel propose aux Églises d’élaborer des «stratégies d’éducation pour que leurs congrégations apprennent le rôle joué par l’Église en ce qui a trait à la colonisation de même qu’à l’histoire et aux séquelles des pensionnats». Un autre souhaite que soit mis en place «un programme d’études sur la nécessité de respecter la spiritualité autochtone». Enfin, il est demandé que soit créé un fonds permanent destiné aux Autochtones pour des projets de guérison et d’éducation.
Un appel à l’action vise directement l’Église catholique. «L’Église catholique romaine du Canada ne dispose pas d’un interlocuteur ayant le pouvoir de représenter l’ensemble des nombreux diocèses et ordres religieux qui la composent. La présentation d’excuses ou la déclaration de regrets est laissée à l’initiative de chacun. Il en a résulté un fouillis de déclarations dont bon nombre de survivants et de religieux n’auront jamais connaissance», regrettent les commissaires dans leur rapport.
Les commissaires déplorent, tout comme plusieurs anciens élèves des pensionnats sous la responsabilité des catholiques, que le Vatican ait «gardé le silence sur la participation de l’Église catholique romaine dans le système canadien des pensionnats».
Le 58e appel à l’action du rapport final de la Commission demande donc «au pape de présenter, au nom de l’Église catholique romaine, des excuses aux survivants, à leurs familles ainsi qu’aux collectivités concernées pour les mauvais traitements sur les plans spirituel, culturel, émotionnel, physique et sexuel que les enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis ont subis dans les pensionnats dirigés par l’Église catholique».
On souhaite aussi «que ces excuses soient présentées par le pape au Canada, dans un délai d’un an suivant la publication du présent rapport».
Rappelons que lors de ses voyages au Canada, le pape Jean-Paul II rencontré des représentants des Premières Nations, sans toutefois formuler des «excuses». En 2009, le Chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Phil Fontaine, s’était entretenu avec le pape Benoît XVI à Rome. Ce dernier avait alors exprimé des «regrets» pour la manière dont l’Église avait traité les autochtones.
Engagements du Canada
Après la présentation du rapport final par les trois commissaires, Justin Trudeau, le premier ministre du Canada, n’a pas hésité à déclarer que «le système scolaire des pensionnats indiens, à l’origine d’un des plus sombres chapitres de l’histoire canadienne, a eu un profond impact, durable et nuisible, sur la culture, le patrimoine et la langue des Autochtones».
«En tant que père et ancien enseignant, ces événements me bouleversent énormément», a-t-il ajouté.
Le premier ministre canadien s’est aussi engagé «à la mise en œuvre intégrale des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation».
Réactions des chefs religieux
Quatre dirigeants religieux ont également pris la parole. La modératrice de l’Église Unie du Canada, la pasteure Jordan Cantwell, fut la première. «Ce rapport est le résultat d’un courageux et difficile travail mené par les commissaires», a-t-elle reconnu. «C’est aussi le portrait de 130 années, combien pénibles, pour les élèves des pensionnats autochtones. Ce rapport fait la lumière sur un système qui n’a jamais été conçu pour enseigner aux enfants autochtones. Il était plutôt un outil pour éradiquer ces peuples. Il a causé de graves blessures aux individus, aux familles, aux communautés et aux cultures.»
«L’Église Unie du Canada reconnaît sa part de responsabilités dans cette histoire et regrette ses prétentions erronées de supériorité culturelle et spirituelle», a ajouté la responsable de la plus importante Église protestante du Canada. Elle a ensuite rappelé que l’Église Unie du Canada a présenté en 1986 des excuses aux Premières Nations. Elle souhaite que son Église œuvre dorénavant au rétablissement de nouvelles relations entre les «peuples autochtones et non autochtones du Canada, une relation faite de respect et d’égalité».
L’archevêque catholique de Grouard-McLennan, Mgr Gérard Pettipas, a reconnu qu’il avait beaucoup appris en écoutant les témoignages des survivants des pensionnats autochtones. «L’Église catholique dirigeait la plupart de ces écoles au nom du gouvernement fédéral. Nous avons une grande part de responsabilité dans ce qui s’est passé ces années-là. Nous pensions faire du bon travail à l’époque. Mais ce n’était pas toujours bien», a-t-il lancé, soulignant qu’en 1991, les Missionnaires Oblats de Marie-Immaculée ont présenté des excuses aux Premières Nations du Canada.
Pour l’archevêque, qui est aussi président de la Corporation des organismes catholiques signataires de l’entente sur les pensionnats indiens, la réconciliation souhaitée par les commissaires «n’est pas la fin d’un parcours, mais elle doit être un mode de vie».
«Je m’engage personnellement, avec les autres évêques du Canada, à mettre de l’avant le travail de la Commission. Que Dieu vous bénisse», a conclu Mgr Pettipas.
L’archevêque Fred Hiltz, primat de l’Église anglicane du Canada, a remercié les commissaires pour avoir osé «demander aux Églises qui dirigeaient ces pensionnats autochtones, dont la mienne, de rendre des comptes pour leur participation à cette politique d’assimilation arrogante qui prétendait régler, comme on disait alors, le problème indien».
Le primat a remercié les commissaires pour les 94 appels à l’action contenus dans le rapport final. «Ces appels représentent beaucoup d’espoir pour les peuples autochtones et ils sont une occasion de guérison pour ce pays. Vous nous fournissez-là une feuille de route pour le parcours que nous devons maintenant entreprendre. Au nom de l’Église anglicane au Canada, je promets que nous allons tout faire pour honorer le travail de la Commission et ses appels à l’action.»
Enfin, la modératrice de l’Église presbytérienne au Canada, la révérende Karen Horst, a reconnu que les Canadiens éprouveront beaucoup de tristesse en lisant les «témoignages pénibles de nombreux survivants recueillis dans les sept volumes du rapport de cette Commission». Elle dit aussi éprouver un sentiment de honte «devant l’héritage que nous laissons et la responsabilité de notre Église».
«Grâce au travail de la Commission, nous sommes mieux outillés pour entendre la vérité et pour combattre les effets, toujours présents, de la colonisation. Nous voulons travailler en collaboration avec les Premières Nations, dans un esprit de guérison et de réconciliation», a-elle déclaré.