Aide à l’Église en détresse (AED) publie cette semaine Persécutés et oublié? [ndlr: attention, certaines photos explicites], son rapport bisannuel sur les persécutions contre les chrétiens dans le monde. Celui-ci fait état d’une augmentation des persécutions pour la période 2015-2017. Le secrétaire général de cette organisation internationale dont le siège se trouve en Allemagne et qui a pour mission de venir en aide aux chrétiens victimes de persécution, Philippe Ozores, était de passage à Montréal le 7 décembre. Nous avons discuté avec lui de l’état des droits des chrétiens dans le monde.
Présence: L’AED observe une augmentation des persécutions contre les chrétiens dans le monde. Qu’est-ce qui explique ce phénomène?
Philippe Ozores: Plusieurs facteurs, qu’on peut résumer en trois principaux groupes. Le premier, c’est l’extrémisme. Nous notons que la plupart des pays où il y a une persécution des chrétiens sont des États «musulmans». Mais il faut aussi dire qu’il y a aussi beaucoup d’État musulmans où ce n’est pas le cas.
Le second facteur concerne les persécutions dans les pays communistes, surtout la Corée du Nord et la Chine.
Enfin, le troisième facteur concerne l’Inde. Là, il faut différencier entre les différentes régions. Nous voyons une tendance dans certaines régions – surtout dans le nord – au nationalisme hindou radical. Nous y voyons le développement de persécutions et d’une discrimination systémique, avec le développement de lois contre la conversion, par exemple.
Vous évoquez les pays communistes. Qu’en est-il de Cuba et du Vietnam?
À Cuba, on voit une situation spéciale, avec l’ouverture du pays. Au Vietnam, il y a une amélioration significative. Il faut agir avec prudence et ne pas provoquer le gouvernement, mais la présence chrétienne semble y être de plus en plus acceptée.
L’augmentation des persécutions est-elle qualitative, quantitative, ou les deux?
Nous avons les deux. Disons que la gravité augmente surtout dans les pays où il y a une situation n’anarchie et de guerre et là où il y a une situation politique qui se détériore. Nous pensons notamment au Moyen-Orient et à certains pays africains.
Il faut insister pour dire que plusieurs pays d’Afrique ont une coexistence pacifique entre les religions. Mais on voit une présence plus active de représentants d’un islam radical qui se ferme à la cohabitation entre les religions et qui se ferme à beaucoup de possibilités. Il faut aussi composer avec des groupes armés, dont Boko Haram qui sévit au Cameroun et au Nigeria.
Mais avec la déroute du groupe armé État islamique, dans quelle mesure est-il permis d’espérer pour l’Irak et le Moyen-Orient?
La situation est toujours tendue, mais elle évolue. Il est permis d’espérer. Grâce aux victoires militaires contre Daech, c’est un facteur de persécution qui est en train de disparaître, bien que des tensions persistent.
L’AED consacrera beaucoup d’argent à la reconstruction en Irak?
Le projet de reconstruction dans la plaine de Ninive est notre principal projet. Nous aidons à la reconstruction de 13 000 maisons avec un investissement de 250 millions de dollars américains. Nous estimons qu’entre 20 et 30 millions $ vont permettre de rendre habitables près de 3000 maisons détruites. Nous travaillons à partir d’une estimation des dommages et des coûts de reconstruction. C’est un projet à moyen terme. Mais avec une somme réduite, on peut estimer que la majorité des chrétiens, déplacés, surtout à Erbil au Kurdistan, pourront retourner dans leur maison. Environ 30 000 personnes sont déjà retournées chez elles. Certaines faisaient partie des 100 000 déplacés qui étaient à Erbil et qui vivaient là depuis leur expulsion en 2014. C’est déjà 30%. Donc, nous avons une espérance réaliste.
Votre rapport bisannuel énonce des critiques à l’endroit de l’ONU et des pays occidentaux. Qu’attendez-vous d’un pays comme le Canada par rapport à la situation des chrétiens dans le monde ? Quel poids peut avoir le Canada face à des géants comme la Chine ou l’Inde, où des chrétiens sont souvent persécutés?
Notre appel à l’aide vaut pour toutes les nations qui valorisent les droits de l’homme, et particulièrement le droit de pratiquer sa religion et le droit des réfugiés de retourner chez eux. Il s’agit surtout de garantir ces droits de l’homme. Donc, c’est une invitation destinée au gouvernement canadien aussi.
On assiste dans certains pays occidentaux – dont le Canada et les États-Unis – à une rhétorique de la persécution pour parler des droits religieux. Faut-il craindre qu’une telle utilisation du mot «persécution» ne vienne diminuer la portée de l’expression pour parler de la situation catastrophique des chrétiens dans plusieurs pays? Autrement dit, le terme est-il utilisé de manière abusive?
C’est un phénomène généralisé dans les pays démocratiques. Comme organisation qui défend les droits des chrétiens partout, il faut être précis avec le vocabulaire et éviter une inflation du mot «persécuté» qui puisse le dévaloriser. Nous essayons de le faire dans nos rapports. Il faut distinguer entre persécution, discrimination et critique.
Certainement, dans les pays occidentaux, il y a une laïcisation et il faut faire attention qu’elle ne se reflète pas dans une discrimination des chrétiens. Il faut faire attention aux droits des chrétiens et être vigilants. Malheureusement, il faut parallèlement savoir reconnaitre que dans plusieurs pays des chrétiens sont persécutés au point de perdre la vie.
L’AED connait des années fastes avec des dons records dans plusieurs endroits du monde. Que faut-il en penser?
Nous en sommes reconnaissants. Nous avons récolté l’équivalent de plus de 189 millions de dollars canadiens en 2016. Pour 2017, ça augmentera encore. Mais nous savons aussi que c’est malheureusement à cause de la détresse des chrétiens dans le monde. Alors nous espérons qu’un jour l’aide de l’AED sera moins nécessaire.
Quelle situation particulièrement allez-vous observer au cours de l’année 2018?
Nous allons continuer d’observer tous les pays. Nous avons des projets dans 148 pays. Mais une attention spéciale sera portée à l’Inde, où la situation des chrétiens sera au cœur de notre campagne pour le carême 2018. C’est une situation qui a été un peu éclipsée par le désastre du Moyen-Orient au cours des dernières années mais qui est digne d’attention.
Nous verrons également ce qui arrivera en Chine avec la nouvelle politique de fidélisation qui affectera sûrement l’Église. Et encore le Moyen-Orient, où nous espérons que ce sera mieux en Syrie.