Politicien et ouvertement croyant? Si ailleurs les deux font la paire, l’association semble aujourd’hui taboue au Québec. Ou presque. Car des candidats aux élections municipales osent l’affirmer: leur foi joue bel et bien un rôle dans leur désir de servir la communauté et dans les valeurs qu’ils promeuvent.
Il y a quelques années, l’avocat Dominique Boisvert a quitté Montréal à la recherche de contrées plus paisibles. Il a trouvé son coin de paradis à Scotstown, une ville de 500 âmes en Estrie. Pour ce père de la simplicité volontaire au Québec, l’heure était venue de ralentir le rythme et d’alléger ses engagements.
C’est loupé: il vient d’être désigné maire de sa ville.
«Je n’avais aucune intention de me lancer en politique. J’ai lamentablement échoué!» lance-t-il avec une pointe d’humour. «Entre citoyens, nous réfléchissions à un engagement politique qui soit autre chose que de la gestion d’égouts et d’asphalte. Oui c’est utopique, mais c’est l’utopie qui mène le monde, si on ne veut pas que les dystopies le détruisent.»
Se décrivant lui-même comme un idéaliste, cet ancien du Centre justice et foi a multiplié les ouvrages chez l’éditeur religieux Novalis au cours des dernières années. Après Québec, tu négliges un trésor! (2015) et La pauvreté vous rendra libres (2016), il y signe cet automne En quoi je croîs, Petit essai d’autobiographie spirituelle et Nonviolence, Une arme urgente et efficace chez Écosociété.
«La foi n’a pas joué un rôle dans la décision. Mais dans la réflexion, oui.»
Dans un contexte où les citoyens engagés de Scotstown ne trouvaient personne qui souhaitait devenir maire, il s’est demandé tardivement s’il était appelé à remplir ce rôle.
«J’ai dormi là-dessus, j’en ai parlé à ma conjointe. Les mises en candidatures se terminaient le lendemain. Il s’est écoulé moins de 48 heures entre la première idée et la décision finale de se retrouver maire», dit celui qui a été élu sans opposition le 6 octobre, date limite pour soumettre une candidature.
«La foi n’a pas joué un rôle dans la décision. Mais dans la réflexion, oui. Je faisais un discernement», précise-t-il. «Il s’adonne que je suis un croyant – et un pratiquant, mais c’est accessoire – qui est passionné par l’Évangile. Et les valeurs qui dictent mes choix sont chrétiennes. Si j’invite des gens à la maison, je leur fais le meilleur accueil possible. Ça n’a rien à voir avec le fait d’être croyant ou pas. Mais ces valeurs sont au centre de ma vie, tout comme le souci des autres et du bien commun», explique-t-il.
Il estime que ses engagements pris au nom de sa foi au fil des ans ne jouent «ni pour, ni contre» lui. «Les gens voient l’individu. Je n’en aurais pas parlé dans une campagne électorale. Les gens font le lien ou non, et je reste honnête», dit-il.
À Trois-Rivières, Pierre Montreuil vit une expérience similaire. L’homme de 57 ans se présente comme candidat indépendant dans le district du Carmel, où il est né et a vécu l’essentiel de sa vie. Dans la région, il a roulé sa bosse dans le monde des communications pendant 35 ans. En plus d’avoir travaillé notamment pour Centraide Mauricie, Télébec et le Centre de réadaptation InterVal, il a passé 14 ans à l’Office de pastorale du diocèse de Trois-Rivières. Au cours des trois dernières années, il était coordonnateur aux communications et à la publicité pour le Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap. Il parle avec passion de son désir de servir les gens de son quartier natal.
«Je fais un lien avec les exercices spirituels de saint Ignace. J’ai eu la chance de faire ça pendant deux ans avec une religieuse qui était mon coach. Comment répondre en peu de mots à cette question: le bon Dieu m’a mis sur la terre pour faire quoi? Et Je suis arrivé à trois verbes d’action: écouter, donner confiance et relancer les gens dans tes interactions au travail, dans le quotidien. Je m’aperçois avec le porte-à-porte que, bien qu’on soit dans une société noyée dans les moyens de communication, les gens ont besoin d’écoute et de rencontre. Le simple dialogue donne de l’énergie et leur donne confiance. Ça peut s’appliquer aussi bien à un entrepreneur qu’à une personne qui a un problème de voirie!» dit-il.
«Être chrétien sans être proche des réalités de la vie, c’est être déconnecté. On ne peut pas être dans une bulle.»
Pour lui, l’engagement politique devient une manière de redonner à sa communauté. Il espère apporter au conseil municipal des idées axées sur le bien-être des gens, en travaillant à améliorer leur cadre de vie.
«Quand je pense au mot chrétien, je pense qu’on se doit d’être conscient des enjeux qui touchent le quotidien des gens. Être chrétien sans être proche des réalités de la vie, c’est être déconnecté. On ne peut pas être dans une bulle», mentionne-t-il.
Il affirme ne pas se présenter «contre» qui que ce soit et que son but n’est pas de «battre» un adversaire politique. «Je propose des valeurs, une attitude, une façon de faire, que je porte depuis des années. Je veux miser sur la transparence, l’accessibilité, l’honnêteté.»
Pour Pierre Montreuil, les questions religieuses sont des dossiers comme les autres. Il y a quelques années, la ville de Trois-Rivières avait retenu l’attention pour la prière récitée lors des séances du conseil. Il est d’avis qu’un temps de silence est respectueux et suffit amplement. L’avenir du parc immobilier de l’Église de Trois-Rivières le préoccupe moins que les enjeux du vivre-ensemble.
«Nous devons recréer le vivre-ensemble. Il y a du civisme qui manque actuellement en matière de respect des autres et de respect de l’environnement. C’est un thème général, mais c’est un beau thème. Tout le monde cherche le bonheur! Même comme élu municipal, c’est une motivation de créer un lieu où il fera bon vivre! On a la chance d’avoir une ville où la beauté est disponible! Rivière, fleuve, parcs. Il faut développer une appartenance à la place», fait-il valoir.
À Montréal, Fadia Nassr tentera de se faire élire comme conseillère municipale pour Projet Montréal dans le district de Bordeaux-Cartierville, où environ la moitié de la population est issue de l’immigration. C’est d’ailleurs son cas, puisqu’elle est arrivée au Québec à 18 ans.
«Chacun doit faire sa part dans la société. Et chacun doit garder ses valeurs en exerçant ce droit», lance-t-elle d’une voix enjouée.
Au fil des années, elle a cumulé des engagements communautaires et humanitaires. En 2013, elle a organisé une marche contre une intervention militaire en Syrie, son pays d’origine. En 2015, elle faisait partie des organisateurs d’un rassemblement pour sensibiliser la population au sort des chrétiens dans le monde. Plus récemment, elle s’est engagée auprès des réfugiés syriens.
«Là où certains auraient vécu de la désespérance, ma foi m’a aidée à trouver mon énergie, à voir le positif et à aller de l’avant.»
Née en Syrie d’un père orthodoxe et d’une mère grecque catholique, elle croit que les croyances personnelles des candidats peuvent nourrir une vision rassembleuse de la politique.
«La foi m’amène à être juste avec tout le monde et à refléter le respect de vivre ensemble entre chaque personne. J’ai des amis de toutes les religions», dit-elle. «Ma foi personnelle m’a aidée tout au long de ma vie à surmonter des obstacles. J’ai vécu plusieurs étapes très difficiles. Elle me donne l’espérance. J’apprends par la foi la gratitude et à être reconnaissante pour le positif dans ma vie. Le défi de la vie est de continuer. C’est en particulier ce qui m’a poussé à me présenter aux élections: là où certains auraient vécu de la désespérance, ma foi m’a aidée à trouver mon énergie, à voir le positif et à aller de l’avant.»
À l’approche du scrutin du 5 novembre, elle multiplie les rencontres et met l’accent sur la richesse de la diversité et le respect des différences. Elle affirme vouloir servir les citoyens en tenant compte de leurs besoins réels, peu importe leurs croyances, leur richesse ou leur âge.
«L’essentiel est d’aller en avant, de porter un message de persévérance, d’existence, de participation citoyenne. Ça donne un espoir de continuité», assure-t-elle.
Mis à jour à 7 h 46 le 18 octobre 2017 : précision d’un titre.