En devenant cet été la toute première femme à accéder à la direction de l’Église anglicane du Canada, Mgr Linda Nicholls, évêque du diocèse de Huron, a certes marqué l’histoire de cette Église. Son élection le 13 juillet 2019 a aussi été le point de départ d’un débat linguistique.
C’est qu’au terme d’un quatrième tour de scrutin, Mgr Nicholls a été élue «the 14th Primate of the Anglican Church of Canada».
L’annonce des résultats des votes enregistrés par les représentants des laïcs et du clergé n’a toutefois pas été faite en français lors de la rencontre du Synode général de l’Église anglicane du Canada.
Mgr Linda Nicholls est-elle devenue la 14e «primate» de cette Église? Ou est-elle devenue la toute première femme à accéder au titre de «primat» de l’Église anglicane du Canada?
L’évêque anglican de Québec, Bruce Myers, qui est habitué à passer du français à l’anglais, a indiqué à Présence qu’il y a eu une conversation sur cet aspect après l’élection et qu’on s’est entendu sur l’appellation «la primat».
Or le jeudi 10 octobre, la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) a fait parvenir aux médias une déclaration à l’occasion du l’occasion de la canonisation, le dimanche 13 octobre, de John Henry Newman, un prêtre anglican qui s’est converti au catholicisme en 1845.
La déclaration était signée par le président de la CECC, Mgr Richard Gagnon, et par la nouvelle cheffe de l’Église anglicane du Canada, Mgr Linda Nicholls. Sous la signature de cette dernière, on a inscrit: «Primate de l’Église anglicane du Canada».
Vérification faite auprès de la signataire elle-même, Mgr Nicholls n’a ni rédigé cette lettre en français ni approuvé la traduction de son titre. «C’est la CECC qui a traduit la lettre et a ensuite apposé ma signature», a-t-elle confirmé. «Je crois, après coup, qu’on aurait dû traduire le terme anglais primate par primat», indique-t-elle.
Mais l’archevêque Nicholls n’est pas du tout choquée par cet imbroglio linguistique. Elle note qu’en anglais, le terme primate, qui vient du latin primus inter pares – premier parmi les pairs – désigne aussi «une variété de singes». L’imbroglio existe donc depuis longtemps.
Avec humour, Mgr Nicholls souligne que les archives de l’Église anglicane du Canada conservent «une étonnante correspondance» entre le secrétaire général de l’Église et le directeur d’un organisme de recherche sur les primates.
«La confusion des termes a engendré des échanges plutôt comiques sur les habitudes de consommation et de sommeil des primates.»
Conseiller linguistique à Radio-Canada, Guy Bertrand est formel. S’il est important de féminiser les titres, «il faut aussi veiller à utiliser des mots qui ne suscitent pas le ridicule. Primate en est un.»
Il s’empresse de fouiller dans le site Web de Radio-Canada et se félicite que le service des nouvelles de Radio-Canada ait mentionné dès le 16 juillet que la révérende Linda Nicholls était devenue «le 14e primat de l’Église anglicane du Canada».
«On féminise le plus possible. Mais on va choisir des mots épicènes lorsque c’est nécessaire. Vous allez comprendre avec l’exemple suivant: si on féminisait le terme médecin par médecine, ce serait ridicule», dit-il. On écrira donc une médecin, une marin, une témoin.
Dans sa liste des noms masculins et féminins de sa Banque de dépannage linguistique, l’Office québécois de la langue française propose bien la féminisation de quelques titres liés au monde religieux. Ainsi abbé devient abbesse au féminin. Si une femme dirige une congrégation juive, elle portera le titre de rabbine. Quant à une femme diacre, c’est une diaconesse. Le terme primat ne fait toutefois pas l’objet d’une fiche dans ce recueil linguistique.
Alors, quel titre doit-on donner, en français, à Linda Nicholls qui a succédé au 13e primat de l’Église anglicane du Canada, Mgr Fred Hiltz?
La réponse nous vient peut-être de nouveau de la Conférence des évêques catholiques du Canada. Sans faire de bruit, les dirigeants de la CECC ont remplacé la déclaration conjointe du jeudi 10 octobre. Le nouveau texte est identique à une exception près. Sous la signature de Mgr Nicholls, on a inscrit… Primat de l’Église anglicane du Canada.
À la CECC, on explique que cette correction a été faite le mardi 15 octobre «à la demande de nos collègues de l’Église anglicane du Canada».
«Suite à la publication de la déclaration commune et après de nouvelles recherches au sein de la communauté anglicane, nos collègues de l’Église anglicane du Canada ont été informés que le terme « la primat » serait une meilleure façon de traduire le titre de l’archevêque primatial féminin pour un public francophone», a expliqué Lisa Gall, coordonnatrice des communications de la CECC.
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