Sans des paroles d’excuses de la part du pape, «comment croire à la possibilité d’une réconciliation?», demandent, dans une lettre ouverte acheminée aux médias, quatorze autochtones et non-autochtones, professeurs, théologiens ou personnes engagées dans des initiatives de dialogue entre l’Église catholique et les Premières Nations.
«Les excuses ne suffisent jamais. Mais elles sont un passage obligé», estiment encore ces signataires alors que Mgr Lionel Gendron, le président de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), a expliqué le 27 mars 2018 que le pape François ne pouvait pas «répondre personnellement» à l’appel à l’action 58 du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation (CVR).
«Le laconisme et l’opacité de cette explication jurent avec l’ouverture des 6750 personnes autochtones qui ont raconté leur expérience des pensionnats à la CVR, entre 2010 et 2015», écrivent les signataires de la lettre ouverte, parmi lesquels on trouve Nicole O’Bomsawin, une abénakise, conteuse et anthropologue d’Odanak, la travailleuse sociale Wanda Gabriel, de Kanehsatake, et le professeur Jean-François Roussel, de l’Institut d’études religieuses de Université de Montréal.
L’appel à l’action 58 de la CVR «demandait au pape de s’excuser au nom de l’Église catholique, comme son prédécesseur l’avait fait auprès des survivants d’orphelinats irlandais soumis à des sévices sexuels». Des excuses officielles et non pas personnelles, précise-t-on.
«Veut-on plutôt dire que le pape ne pense pas pouvoir présenter ces excuses lui-même? Cependant, qui d’autre pourrait le faire au nom de l’Église catholique? Trois ans après la demande de la CVR, une réponse aussi brève et imprécise quant au fond de la demande nous laisse interdits.»
«Le pape ne s’est pas expliqué lui-même», déplorent ensuite les signataires. «La CECC s’en est chargée.»
Approuvée aussi par Élisabeth Garant, directrice du Centre Justice et Foi de Montréal, et par Jocelyn Girard, un théologien de l’Institut de formation théologique et pastorale de Chicoutimi, la lettre collective regrette que «l’Église catholique [soit] la seule des dénominations chrétiennes concernées par les pensionnats à ne jamais avoir présenté ses excuses à ce sujet, en tant qu’Église catholique».
«On en connaît la raison, répétée depuis un quart de siècle: comme la plupart des diocèses catholiques du Canada n’ont pas administré de pensionnats pour autochtones, ils ne peuvent présenter des excuses pour un système auquel ils n’ont pas participé. L’argument est d’une logique simple. En somme, les excuses relèvent des congrégations religieuses catholiques, qui ont administré les deux tiers des pensionnats: elles ont été au service de l’Église catholique dans les pensionnats, mais cela n’associe nullement l’Église catholique à ce qui s’est passé.»
«Les autochtones devront se contenter d’excuses à la pièce: celles des divers administrateurs mais pas celle des inspirateurs d’une conception impérialiste de la mission, appliquée depuis Rome jusqu’aux extrémités du monde depuis 500 ans, avec les effets pervers que cela implique», ajoutent-ils.
Le pape François recommande néanmoins aux évêques canadiens de travailler à la réconciliation «à travers des projets concrets». Mais les quatorze signataires regrettent que le pape et les évêques viennent «encore échouer sur le récif du propos habituel: les excuses seraient secondaires, symboliques, pas si importantes, l’important c’est que les choses changent».
La Commission de vérité et réconciliation, rappellent les signataires, estime plutôt que «la réconciliation [est] un processus continu visant à établir et à maintenir des relations respectueuses. Un élément essentiel de ce processus consiste à réparer le lien de confiance en présentant des excuses, en accordant des réparations individuelles et collectives, et en concrétisant des actions qui témoignent de véritables changements sociétaux».
Mis à jour à 18 h 37 le 6 avril 2018: Kanehsatake plutôt de Kahnawake.