Le 8 décembre dernier, le pape publiait la lettre apostolique Patris corde (Avec un cœur de père) soulignant le 150e anniversaire de la déclaration de saint Joseph comme patron de l’Église universelle par Pie IX, le 8 décembre 1870. François a profité de l’occasion pour annoncer une «année saint Joseph». En ces temps pandémiques, qu’y a-t-il à tirer de ce personnage effacé, que l’Église continue de proposer comme modèle de paternité?
Comme plusieurs, le prêtre Jean-Baptiste Vérité, membre du comité pastoral de l’Oratoire Saint-Joseph, a été étonné par la décision du pape François. Cependant, lorsqu’il jette un regard sur l’histoire de l’Église catholique, le père Vérité doit se rendre à l’évidence: «Lorsque nous étudions les résurgences de la dévotion à saint Joseph, nous constatons qu’elles surviennent en temps de crise.»
En décrétant Joseph patron de l’Église universelle, Pie IX dressait le portrait d’une période de crise, notamment pour l’Église. Pour le père Vérité, la société et l’Église catholique vivent une grave crise, en plus de subir les contrecoups de la COVID-19. Bien que saint Joseph n’ait rien «d’un superhéros», il croit tout de même qu’il est «l’homme de la situation».
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Une époque incertaine
Le père Philippe Lefebvre, membre de la Commission biblique pontificale et professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, en Suisse, abonde lui aussi dans le même sens.
«Dans cette époque agitée qui est la nôtre, nous constatons que plusieurs pays que l’on croyait stables, comme les États-Unis, ne le sont plus. Et je trouve que Joseph introduit une sorte de stabilité avec Dieu dans un monde compliqué dans lequel nous n’avons pas toutes les réponses.»
Le père Lefebvre souligne qu’à la lecture de l’Évangile selon Matthieu, «nous pressentons que l’époque [où vit Joseph] est très compliquée et très dangereuse. Il se pose beaucoup de questions, mais n’a pas toutes les réponses tout de suite. Ce n’est pas Monsieur je sais tout, tout de suite! C’est plutôt: « Je me pose des questions et avec Dieu nous allons avancer ensemble pas à pas. » Pour un homme, c’est très important de se dire que nous n’avons pas à assumer tout et tout de suite! C’est très libérateur!»
Le père Lefebvre croit ainsi que Joseph s’inscrit «dans une tradition de réflexion ou de remise en chantier de ce que c’est la masculinité».
«Joseph interroge notre façon d’être homme. Qu’est-ce que c’est qu’être un homme? Et Joseph est dans toute une lignée de personnages pour qui être un homme n’a pas été simple. Je trouve que c’est un personnage très intéressant à découvrir aujourd’hui», dit-il.
Paternité
Professeur à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, le bibliste Sébastien Doane constate que Joseph parvient à «ajuster» sa paternité.
«Il prend les décisions. Il mène sa famille, mais il le fait à partir de l’écoute de ce qui lui est révélé par l’intermédiaire de l’ange du Seigneur. Ce n’est pas le père hégémonique, au contraire, c’est le père à l’écoute», précise-t-il.
Ce faisant, sa posture consiste à ne pas purement reproduire un modèle.
«Il y a des pères qui vivent leur paternité de toutes les façons et qui sont appelés à réfléchir là-dessus, pas juste à reproduire un modèle. C’est là le grand défi. Et peut-être que cette figure de Joseph qui s’ajuste au plan de Dieu peut nous aider à gagner une flexibilité et à nous ajuster dans le quotidien», avance Sébastien Doane.
La paternité de Joseph est par ailleurs évoquée avec une grande sobriété par la Bible. Si bien que des questions sur sa relation avec Jésus restent en suspens.
«Matthieu évite d’écrire l’expression père de Jésus [lorsqu’il parle de Joseph], poursuit le professeur. Il fait des constructions grammaticales. Joseph, en Matthieu, ne va jamais être désigné comme père de Jésus. Dans la réalité, il accepte de prendre chez lui Marie et son fils.»
Malgré tout souligne-t-il, «Joseph n’est pas un père absent. Il est là et prend ses responsabilités. L’argument sur le silence de Joseph, comme père, parle beaucoup plus de l’interprète que de ce qui est interprété.»
Masculinité
Philippe Lefebvre croit que l’attitude de Joseph renvoie à une longue lignée de prophètes qui se mettent à l’écoute et réfléchissent avant d’agir. «Je trouve que Joseph est plutôt un ralentisseur. Le vrai homme est celui qui prend en compte tous les éléments, ou le plus possible, d’une situation pour ne pas léser quelqu’un. Ne pas imposer son idée. Je crois que c’est très beau chez un homme.»
Doane avance également que Joseph, tout comme Jésus, fait partie de ces hommes bibliques qui expriment leur masculinité d’une manière subversive. Lorsqu’ils n’ont pas ce qu’il faut pour affronter une situation directement, ils vont opter pour une confrontation indirecte.
Face à Hérode le bibliste fait remarquer que l’ange lui propose de fuir en Égypte. «Il va réussir à s’en sortir, mais pas par la confrontation directe. Même si le récit de Matthieu ne le dit pas, on suppose qu’il y a toutes sortes d’embûches à se déplacer sur des milliers de kilomètres au premier siècle. Nous pouvons supposer qu’il y a du courage derrière cela.»
Sébastien Doane insiste: «Ce qui est important, c’est que Joseph et Jésus expriment leur masculinité, ils l’expriment de façon très différente d’Hérode ou de David dans l’Ancien Testament. Ils ne sont pas des personnages qui sont présentés avec une masculinité hégémonique. Jésus va finir par être transpercé par des soldats romains sur la croix. Ultimement, c’est lui qui est vaincu, mais il montre un chemin, une autre façon d’être homme. Joseph montre une autre façon d’être père qui peut être inspirante aujourd’hui, car on ne veut pas reproduire l’image d’un père hégémonique que l’on avait à une autre époque.»
Pour le professeur Doane, les non-dits bibliques sur Joseph donnent l’occasion d’explorer plusieurs questions.
«On peut aussi réfléchir plus grand et se demander dans notre société québécoise actuelle, dans l’Église catholique québécoise, quels sont les rôles proposés? Pourquoi ne pas partir du modèle de Joseph comme espèce de père pour s’interroger sur nos modèles de paternité?»
Le père Lefebvre espère que cette année consacrée à saint Joseph ne soit pas «seulement une année de piété où on saurait déjà tout d’avance, mais aussi une année de découverte pour les hommes et les femmes [qui puisse permettre] d’entrer dans ce questionnement.»
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