Tandis que de violents combats continuent sur la Plaine de Ninive, en Irak, certains chrétiens chassés par le groupe armé État islamique ont abandonné tout espoir de rentrer chez eux et se sont joints aux vagues de réfugiés fuyant la guerre. D’autres ont choisi de rester dans le Kurdistan irakien, espérant qu’ils pourront un jour retourner dans leur village. Quitter ou rester? Les déplacés à Ankawa restent partagés.
«Quand nous avons fui notre couvent de Qaraqosh en 2014, nous pensions que nous ne serions partis que quelques jours, puis que nous rentrerions. Mais cela fera bientôt deux ans, et l’avenir est incertain. Certains déplacés veulent rentrer chez eux dès que possible. D’autres en ont eu assez et veulent partir pour de bon», dit sœur Maria Hanna, la supérieure des Dominicaines de sainte Catherine de Sienne.
Les dominicaines ont ouvert une école de 500 places pour les enfants déplacés à Ankawa en août 2015. En avril, ils ne sont plus que 445: les autres ont quitté le pays avec leurs parents pour gagner la Jordanie, le Liban ou d’autres pays. Et les inscrits continuent de diminuer.
«Nous préparons les enfants pour l’avenir, mais nous ne savons quel sera cet avenir», dit-elle.
Déterminées à poursuivre leur accompagnement des déplacés, la communauté a trois de ses sœurs qui vivent parmi les réfugiés en Suède. Elle songe à élargir son champ d’action à l’Allemagne, la France et les États-Unis.
Quoi qu’il arrive, elle dit que l’Église ne peut dire quoi faire aux gens.
«Si nous leur disons de rester, nous avons peu de ressources pour aider, et les gens auront des problèmes. Si nous leur disons de partir, ils auront aussi des problèmes. Il n’y a pas de bon choix. Et les plus pauvres ont des choix encore plus limités», se désole-t-elle.
Un prêtre irakien qui gère un camp de déplacés à Ankawa soutient qu’il est faux de croire que tout le monde s’enfuie vers l’Europe.
«Il y a ce mythe selon lequel tout le monde veut aller en Europe, que tout le monde fuit, mais je ne suis pas d’accord», fait valoir le père Jalal Yako, un rogationiste qui faisait partie des derniers à fuir Qaraqosh. Il affirme avoir entendu les cris des combattants de l’ÉI alors qu’ils entraient dans la ville chrétienne.
«Il y a déjà des gens qui veulent rentrer, car l’Europe n’est pas un paradis, ni les États-Unis», dit le prêtre qui a vécu dix-huit ans en Italie. «Je sais ce que c’est que d’y vivre comme un étranger, et ce n’est pas facile. Nous sommes peut-être tous des étrangers sur cette terre, mais c’est mieux lorsque vous êtes chez vous.»
Le père Yako indique que les chrétiens ne sont pas les seuls à souffrir.
«Les musulmans et les Yézidis ont aussi été affectés par ce désastre. Ce n’est pas qu’une persécution des chrétiens, mais aussi des chiites et des Yézidis. Ça a été encore pire pour les Yézidis», dit-il.
De leur côté, les jeunes à Ankawa ont des avis partagés sur leur avenir.
Rand Khaled, 21 ans, est confiante de retourner à Qaraqosh, qu’elle a fui en 2014. «J’ai des amis qui sont allés aux États-Unis et en Australie. Tous les oncles et tantes ont quitté le pays. Nous restons en contact par Facebook, et ils nous demandent toujours pourquoi nous ne quittons pas», explique-t-elle.
«Mais pourquoi quitterions-nous? Je veux vivre dans mon pays, devenir professeure à l’université. Je veux rester chez moi et faire en sorte que mes rêves se réalisent. Nous n’avons besoin que de sûreté pour rentrer. Nous avons beaucoup d’espoir, mais peu de sûreté. Alors nous attendons», poursuit la jeune femme qui étudie en comptabilité.
Un de ses confrères de classe ne partage pas son avis.
«Nous voulons tous partir d’ici dès que nous le pourrons. En Europe, c’est sécuritaire. Il y a la liberté, pas d’ÉI, pas de bombes dans les rues», dit Alsajed Asaad, un étudiant musulman de 21 ans qui a fui Tikrit (Irak) dans l’ÉI s’est emparé de la ville en 2014.
«Je ne veux pas retourner à Tikrit, même si l’ÉI s’en va. Mon oncle est en Finlande, et j’ai des amis qui sont partis en Allemagne, en Suède et en Turquie. Ils me disent que la vie est bonne là-bas, qu’ils sont respectés et qu’il y a la paix et la sécurité. C’est sûr que je veux quitter cet endroit», dit-il.
Khaled et Asaad étudient à l’Université Hamdaniya, à Ankawa. Il s’agit d’une nouvelle institution indépendante qui était auparavant le campus de Qaraqosh de l’Université de Mossoul.
Paul Jeffrey, CNS
Trad. et adapt. Présence