«La juge Capriolo a fait un excellent travail», estime le théologien Jean-Guy Nadeau, un spécialiste des abus sexuels dans l’Église et dans la société. Mercredi, une heure après que le Rapport de l’enquête relative à la carrière de Brian Boucher au sein de l’Église catholique ait été rendu public, il accepte d’en commenter certains éléments.
Il souligne d’abord qu’il y a deux semaines, le Vatican a rendu public un rapport sur la carrière d’un autre ecclésiastique, le cardinal Theodore Edgar McCarrick, lui aussi condamné puis laïcisé des décennies après avoir commis des abus sur des jeunes et des adultes. Ce rapport sur «la connaissance institutionnelle et le processus décisionnel» du Vatican dans cette affaire avait 450 pages. Le rapport de la juge Pepita G. Capriolo, rendu public lors d’une conférence de presse, en compte 280. Un nombre qui l’impressionne.
Mais ce qui ne l’impressionne pas, le choque même, c’est qu’il est «toujours question, dans chacune des pages de ce rapport, de monsieur Brian Boucher ou de Brian Boucher», lance-t-il en insistant sur le terme monsieur.
«J’ai un gros problème avec cela», dit l’auteur du récent livre intitulé Une profonde blessure, les abus sexuels dans l’Église catholique (Médiaspaul). Le rapport Capriolo traite, martèle-t-il, «d’un abbé, de l’abbé Brian Boucher. C’est ainsi qu’on l’a appelé durant plus de 30 ans. En anglais, son titre est encore plus fort, c’est Father».
La juge Capriolo explique pourtant, dès les premières pages de son rapport, que l’«une des quatre causes de ce gâchis est d’avoir voulu préserver la réputation de Brian Boucher».
«Mais qui veut préserver la réputation de ce monsieur? Cela n’a aucun intérêt», dit le théologien. «Non! On a voulu préserver la réputation de l’abbé Boucher», un titre qu’il n’a perdu que tout récemment, et cela bien après la période étudiée par la juge retraitée.
Un autre Christ
«Et si on veut préserver la réputation de Boucher, c’est parce qu’il est un prêtre», dit Jean-Guy Nadeau.
«Dans la théologie du prêtre – que les prêtres ont construite eux-mêmes, s’empresse-t-il d’ajouter – le prêtre est un autre Christ. Sous Jean-Paul II, le prêtre est devenu un autre Christ, pas seulement dans la liturgie, mais dans toute sa vie. Alors un autre Christ, on ne peut pas le considérer comme un criminel. On doit protéger sa réputation.»
Il ajoute que lorsque des «laïcs ne respectent pas la discipline ecclésiastique», ils sont passibles de sanctions. «Je pense aux divorcés-remariés qu’on empêche de communier.» Il a rapidement noté, à la lecture du rapport qu’elle a rédigé, combien la juge Capriolo a été surprise de découvrir «que ce prêtre, qui ne respecte pas la discipline ecclésiastique, n’a reçu aucune sanction, et cela durant 30 ans».
«Malgré 30 ans de rumeurs et d’allégations, on l’envoie se faire soigner ou être évalué, on le déménage de paroisse en paroisse. Mais des sanctions, zéro», insiste le théologien. L’abbé est dit «misogyne, raciste, homophobe et violent en paroles et en gestes». Des notes dans son dossier indiquent «qu’il couche avec des adultes». Mais «ce n’est pas grave».
«Désolé, mais cela me choque profondément. Et je comprends l’étonnement de la juge. Elle vit dans un monde où, lorsque tu ne respectes pas les règles, il y a des sanctions.» Pour un prêtre, dans l’Église catholique, cela ne fonctionne pas comme cela, a-t-elle péniblement découvert. «En passant, je ne crois pas que l’abbé Boucher ait été le seul prêtre, ces dernières années, qui n’ait pas respecté la discipline ecclésiastique.»
Sa dernière remarque concerne le mandat donné à la juge Capriolo par Mgr Christian Lépine, l’archevêque de Montréal, en novembre 2019. Il avait compris qu’elle devait étudier les processus structurels qui ont permis à un prêtre d’échapper aux enquêtes qu’on aurait dû lancer dès que des allégations étaient connues de ses supérieurs. «Dans son rapport, il me semble qu’elle parle plutôt d’individus qui tirent tous la couverture du même bord. Sauf un, Mgr Thomas Dowd [évêque auxiliaire à Montréal, récemment nommé évêque de Sault-Sainte-Marie] qui recommande à une victime de contacter les policiers».
«C’est la bonne chose à faire en matière d’abus. Le dossier n’avance que quand les policiers et les médias s’en mêlent», dit le professeur honoraire à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal qui ajoute que, «dans ce dossier, la voix de Dieu, ce ne sont pas les prêtres qui l’ont portée.»
Le spécialiste rappelle enfin que c’est en 1992 que la Conférence des évêques catholiques du Canada a publié «des lignes directrices très claires» sur la questions des abus, des directives «que la plupart des diocèses vont adopter».
Jean-Guy Nadeau, qui a donné plusieurs conférences sur le document épiscopal intitulé De la souffrance à l’espérance, n’en revient pas que le cas Boucher ait «duré jusqu’en 2016».
«Cela ne fait aucun sens. C’est même profondément troublant.»
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