Ce n’est vraiment «pas une bonne idée».
Le sociologue des religions Martin Geoffroy, directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR), a été le tout premier intervenant du monde de l’éducation à réagir sur Twitter à l’annonce du ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur de réformer radicalement, voire d’abolir, le cours Éthique et culture religieuse (ECR).
«La compréhension scientifique du fait religieux favorise la tolérance», estime plutôt le professeur qui ne croit pas, comme le ministre Jean-François Roberge, qu’il y ait trop de contenu religieux à l’école.
Il y a deux ans, le CEFIR a mené une étude sur l’étendue des connaissances du fait religieux parmi les nouveaux cégépiens qui ont, ces dix dernières années, suivi au primaire et au secondaire le programme d’études ECR.
«Notre étude a démontré que la connaissance du fait religieux chez les cégépiens était minimale, voire même inexistante.»
Sans surprise, l’étude de 2018 a montré que la religion la moins connue des jeunes est l’islam. La religion juive vient ensuite. «La plus connue est la religion chrétienne. Mais les statistiques sont faméliques», lance-t-il. «Les jeunes ne connaissent même pas la religion chrétienne.»
«Le gouvernement dit qu’il y a trop de religion. Mais, doit constater Martin Geoffroy, le cours ECR actuel n’enseigne manifestement pas bien les contenus religieux car les jeunes n’en retiennent rien lorsqu’ils arrivent au cégep. Non, il ne faut pas diminuer le contenu religieux, il faut plutôt l’augmenter et sans doute changer la manière de l’enseigner.»
«Non, il ne faut pas diminuer le contenu religieux, il faut plutôt l’augmenter et sans doute changer la manière de l’enseigner.»
Une recommandation de l’étude du CEFIR, était «non seulement d’enseigner les sciences des religions au primaire et au secondaire, mais aussi au cégep».
Selon le chercheur, «c’est une fausse assomption des détracteurs du cours ECR que de dire que ce qui est enseigné c’est, par exemple, d’être tolérant envers l’intégrisme religieux», ou encore que les professeurs veulent forcer les jeunes à adhérer à une religion. «C’est faux», rétorque-t-il.
«On parle ici de connaissances scientifiques de la religion». D’ailleurs, fait-il remarquer, le cours ECR est donné, depuis son implantation en 2008 par des professeurs, «souvent athées», qui se concentrent sur contenu culturel du religieux et aussi de l’athéisme.
Enfin, le professeur Geoffroy se dit «d’un optimisme mesuré» devant la consultation publique lancée le 10 janvier par le ministre Jean-François Roberge visant à définir le contenu du futur cours ECR. «Les premières personnes à consulter, il me semble, ce sont les enseignants et les experts du sujet.»
Une consultation questionnée
De son côté, l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ) «questionne fortement le fait qu’avant même de procéder à des consultations», le ministre Jean-François Roberge annonce déjà «sa volonté de remplacer, en tout ou en partie, les notions de culture religieuse dans le programme d’études Éthique et culture religieuse».
Dans un communiqué diffusé quelques heures après l’annonce gouvernementale, les évêques disent «saluer la volonté du ministre de réviser et d’enrichir le contenu du programme, à la condition toutefois que «cela ne se fasse pas au détriment des notions de culture religieuse».
Mgr Pierre Murray, secrétaire général de l’AECQ, indique que les évêques ont bien l’intention de «participer au processus de consultation annoncé par le ministre, afin de réitérer le rôle important de l’école pour aider les jeunes à surmonter les clivages idéologiques, à mieux se respecter mutuellement, et à les initier à une compréhension positive du phénomène religieux».
«Le courant anti-religieux a gagné»
«Ce matin, on peut affirmer que le tenants de ce courant qui s’est développé autour de l’athéisme et de l’anti-cléricalisme ces quinze dernières années au Québec ont eu à l’usure le gouvernement.»
Jean-Pierre Proulx n’était pas tellement surpris de ce qu’il a lu dans les médias sur l’annonce faite par le ministre Roberge au sujet du cours ECR. Mais il était plutôt amer, bien conscient que la modification ou l’abolition de ce cours marquera la fin d’un long processus de réflexion sur la place de la religion à l’école.
Cet ancien journaliste du quotidien Le Devoir, et ex-professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, proposait, il y a déjà 20 ans, les principes de ce qui allait donner naissance, dix ans plus tard, au cours ECR. Le rapport du Groupe de travail ministériel sur la place de la religion à l’école qu’il a présidé de 1997 à 1999 recommandait déjà «que les régimes pédagogiques de l’enseignement primaire et secondaire prévoient, en lieu et place des enseignements religieux catholique et protestant, un enseignement culturel des religions obligatoire pour tous».
Il y a vingt ans, rappelle-t-il encore, le Rapport Proulx ainsi que ses recommandations, étaient saluées, «y compris par les laïcistes», comme «un progrès» dans le milieu scolaire québécois.
Depuis, «le Mouvement laïque québécois s’est radicalisé et s’est donné des porte-parole qui ne sont pas capables de ‘sentir la religion’» et qui ont réclamé, sur toutes les tribunes et dans tous les médias, l’abolition pure et simple des cours ECR.
«Il y a un fort mouvement anti-religieux qui s’est développé au Québec et qui a pris pour cible le cours ECR. Pourquoi? Parce que ce cours reconnaît la pertinence des religions dans la société», déplore-t-il.
«Il y a un fort mouvement anti-religieux qui s’est développé au Québec et qui a pris pour cible le cours ECR. Pourquoi? Parce que ce cours reconnaît la pertinence des religions dans la société.»
Les religions seraient «des fables» que l’on n’a pas à enseigner à l’école, répètent les détracteurs du cours ECR.
«Cette pensée a percolé dans les partis politiques». C’est le cas chez Québec solidaire mais aussi au Parti Québécois, observe Jean-Pierre Proulx, qui animait jusqu’à récemment un blogue sur l’éducation au Québec. «Et à la CAQ aussi». Ce parti a indiqué récemment, dans le projet de loi 40 sur les commissions scolaires, vouloir effacer toute référence à la spiritualité dans la Loi sur l’instruction publique et retirer le Comité des affaires religieuses dans l’organigramme du ministère de l’Éducation.
«Il y a vingt ans, ceux qui s’étaient opposés à notre rapport sur la place de la religion à l’école, c’étaient les parents catholiques et les membres de l’épiscopat. Aujourd’hui, le rapport de force dans la société a complètement changé. Le courant anti-religieux au Québec a gagné», note-t-il.
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