Comme toutes les réouvertures, celle des églises suscite son lot de questions et de préparation, bien qu’aucune date n’ait encore été avancée pour le Québec. En coulisses, un même souhait: rouvrir, oui. Comme avant, non.
«Nous avons un dialogue ouvert avec le gouvernement», confirme Mgr Pierre Murray, secrétaire général de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ).
Fruit d’une démarche interreligieuse menée conjointement avec des groupes chrétiens, juifs et musulmans, une proposition de protocole de réouverture a été envoyée au gouvernement le vendredi 8 mai. Le document s’inspire des documents de l’Organisation mondiale de la santé.
«S’il est accepté, ça va servir d’entente et de base pour que chaque tradition l’adapte à ses spécificités liturgiques ou cultuelles», explique Mgr Murray. « La communication est très fluide et l’oreille est attentive. »
Du côté de l’AECQ, on travaille présentement avec un liturgiste pour l’adapter à la réalité des célébrations catholiques. Les expériences allemande et italienne sont notamment suivies attentivement, afin de se tenir au courant des meilleures pratiques.
Ainsi, l’Église québécoise compte s’inspirer largement du protocole survenu entre la conférence épiscopale italienne et le gouvernement Conte II paraphé la semaine dernière.
En revanche, pour la question de la communion, l’attention se tourne plutôt vers l’Allemagne. Le ministre de la communion présente l’hostie et la dépose en évitant de toucher aux mains. Aucune parole n’est échangée. «Avec cette pratique, il est facile d’avoir une bouteille de désinfectant, si jamais les mains se touchent. Le fait de ne pas parler permet aussi une communion à visage découvert», explique Mgr Murray.
Selon lui, il ne serait pas étonnant que la réouverture des églises se fasse par étape, selon les régions – Montréal devrait attendre, par exemple –, les types de liturgie et l’âge des fidèles. Quant à l’annonce, il croit qu’elle pourrait être intégrée dans un plan généralisé pour permettre à nouveau des rassemblements limités en nombre, un peu comme dans les premiers temps de la crise.
«C’est certain que cela aura des impacts sur la vie des paroisses. Les règles d’hygiène risquent d’être permanentes. Au plan pastoral, les effets se feront sentir à long terme : on fera des constats, tandis que la crise révèle ce que nous vivons comme Église.»
Redécouverte
Confiné lui aussi, l’archevêque de Gatineau a entrepris il y a plusieurs semaines de se filmer en train de commenter un passage de la Bible. Ses capsules, intitulées Lectures du jour, sont suivies en moyenne par 400 personnes en français et en anglais.
«Ça me prend presque deux heures par jour de lecture et de réflexion pour savoir comment approcher les passages, confie Paul-André Durocher. C’est une discipline qui structure ma vie depuis qu’on est dans cette situation, une discipline personnelle que je peux me permettre.»
Des fidèles lui demandent d’emblée de s’engager à poursuivre l’exercice lorsque le confinement sera terminé. Une demande qui nourrit sa réflexion sur l’Église post-confinement. Car il sait bien qu’il n’avait pas ce temps à y consacrer avant le confinement.
«Quel genre d’Église veut-on avoir? C’est la grande question. À mesure qu’on va déconfiner lentement, il faudra qu’on fasse preuve de créativité et de discernement», dit-il. À l’instar de la jeune Église qui se retrouvait dans des situations inédites et qui devait se réinventer continuellement.
«La plupart des gens ne veulent pas un retour comme on vivait avant. Les liens avec la famille, le temps de réflexion, s’écouter mutuellement: on redécouvre à quel point c’est précieux. J’espère que la société – et l’Église – seront transformées», avance Mgr Durocher.
Il a écrit aux paroisses de son archidiocèse pour les inciter à attendre les orientations et les consignes officielles. Il n’hésite pas à indiquer que le déconfinement et la réouverture des églises risquent d’être longs et d’exiger de la patience. Il craint que certains soient déçus de ne pas retrouver les églises qu’ils ont toujours connues.
Y a-t-il un risque que l’Église post-confinement soit submergée par des demandes de «services» et n’arrive pas à établir le modèle «missionnaire» dont elle rêve depuis des années?
«On ne pourra pas être juste en mode réactif, dit Mgr Durocher. Certes, les rites funéraires risquent d’être demandés. On aura des besoins. Mais il ne faudra pas se laisser aller à juste répondre aux besoins, aussi légitimes soient-ils. Il faudra aussi réfléchir à où on va, en étant conscients du risque de vouloir retourner tout simplement à ce qu’il y avait avant.»
Citant le dominicain Bruno Cadoré, il rappelle qu’en médecine, la guérison n’est pas qu’un simple retour à l’état précédent la maladie.
«La maladie transforme la personne. C’est une habilitation à vivre différemment ce qui se présente à nous. C’est ce qui pourrait arriver à nous et à notre Église», croit-il.
Mgr Durocher mène d’ailleurs la réflexion sur la suite des choses avec une équipe qui comprend une majorité de laïcs.
Repérer les tentations
À Québec aussi, des groupes réfléchissent à la question des messes et des sacrements.
«Il faut repenser tout ça, soutient Marc Pelchat, évêque auxiliaire à Québec. Sans quoi les paroisses vont repartir comme avant plutôt que repartir autrement. Tirons les leçons de ce que nous avons vécu. L’Église peut-elle repenser ses propositions aux fidèles? Ne pas retourner simplement à la situation antérieure, se remettre à célébrer des rites à la chaîne?»
Selon lui, il est illusoire de penser changer l’Église du tout au tout en deux mois, mais il faut voir dans la situation actuelle une occasion de réfléchir.
«Un changement en profondeur, ça prend des décennies, dit-il. Les mesures sanitaires auront peut-être été un moment pour nous arrêter et réfléchir à ce que nous sommes en train de faire. Et pour nous amener à faire autrement certaines choses.»
Il croit notamment que la tentation sera forte de multiplier les messes et les rites pour compenser le nombre de places qui risque d’être limité pour des raisons sanitaires. Par ailleurs, faut-il rouvrir toutes les églises?
«On n’a pas réponse à tout, mais on essaye de visualiser où on va. Nous utilisons beaucoup le mot ‘autrement’. Ce n’est pas simplement une ‘reprise’ que nous voulons opérer», assure-t-il.
Des messes en plein-air, davantage de célébrations de la Parole, des funérailles présidées par des laïcs: plusieurs scénarios sont présentement sur la table. Et on sent bien que la communion pose un défi sanitaire.
À ce propos, faudrait-il s’attendre à voir un jour des hosties emballées dans de petits sachets individuels et distribuées à la pincette?
«J’espère que non! lance Mgr Pelchat. Cela en ferait un objet de consommation. Si les règles sanitaires empêchent la communion pendant un certain temps, on s’en abstiendra, c’est tout.»
Tenir compte des ressources
Toutes les personnes interrogées dans le cadre de ce texte admettent sentir une certaine pression polie des fidèles en vue d’une réouverture des lieux de culte. Le diocèse de Trois-Rivières n’y échappe pas et met tout en place pour anticiper l’ouverture des églises.
«Il y aura un choc dans la reprise, car ça ne se fera pas dans les modalités qu’on connait», estime Mélanie Charron, coordonnatrice de la pastorale d’ensemble et des communications pour l’Église de Trois-Rivières.
Un bénévole très impliqué dans une église locale lui disait par exemple que les bénévoles plus jeunes pourraient se retrouver avec une surcharge de travail, car ceux qui sont plus âgés pourraient ne pas encore avoir le droit de se déconfiner au début. Il se voyait déjà réorganiser seul les chaises de la nef pour les mettre à une distance règlementaire…
«J’utilise l’image du ‘budget énergie’, poursuit Mme Charron. Quelle énergie mettre dans le cultuel? Dans la relation de proximité dans nos milieux? Acceptera-t-on de déplacer nos budgets de temps et nos budgets d’énergie pour opérationnaliser le rêve d’une Église qui n’est pas que pour offrir des services?»
L’exercice requiert entre autres de sensibiliser les fabriques à ces réalités et à tenir compte d’une responsabilité vis-à-vis le patrimoine bâti.
Mais ce désir de voir une autre Église rouvrir ses portes est déjà partagé par plusieurs, se réjouit-elle. Le tout, ce sera de savoir faire des choix judicieux.
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