Une soirée pour redire la douleur, l’amour et l’espoir. L’espoir renouvelé d’endiguer la haine et de tendre vers une société plus solidaire, mais aussi l’espoir hérité des musulmans assassinés il y a un an, ces hommes qui avaient misé sur le Québec pour trouver une vie meilleure.
Dimanche soir, à 24 heures du premier anniversaire de la tuerie de la grande mosquée de Québec, environ 400 personnes ont pris part à une soirée de recueillement spirituel à saveur interreligieuse à la mémoire des victimes.
L’événement avait lieu au Pavillon de la jeunesse, sur le site d’Expo Cité, tout juste à côté du Centre Vidéotron. Sur le parterre aménagé pour l’occasion, beaucoup de musulmans, quelques familles et des gens de tous âges ont suivi respectueusement la cérémonie – ponctuée de témoignages, de chants et de prières – animée par Ève-Marie Lortie et Khadija Saïd.
Témoigner des valeurs des victimes
Des membres des familles et des proches amis des victimes leur ont d’abord rendu hommage en venant tour à tour parler des valeurs qui animaient leur vie. Certains ont évoqué les raisons qui ont poussé ces hommes à s’établir au Québec. D’autres ont rappelé leur désir d’aider leur prochain, leur foi et leur piété.
«Un rayon de soleil pour tous ceux qui l’ont connu», a lancé Hanafi Kloul, un proche d’Abdelkrim Hassane. «Je refuse de croire que ta perte soit vaine. En dépit de cette tragédie qui nous a tous endeuillés, notre société s’en sortira certainement grandie.» Il a terminé son témoignage en affirmant «qu’à Dieu nous appartenons, à Dieu nous retournerons».
Un ami de l’épicier Azzedine Soufiane, Rachid Ben Amor, a pour sa part souligné qu’il était parti d’une manière que personne ne souhaite. «Dans le bruit, [avec une balle] dans le cœur, dans la peur. Mais parti avec un si grand bonheur», a-t-il dit, saluant le caractère rassembleur de son ami parti «trop jeune».
La fille de Khaled Belkacemi, Magda, a retracé le parcours de son père, qui était professeur de génie des procédés alimentaires au Département des sols et de génie agroalimentaire, à l’Université Laval. Elle a dit souhaiter que notre société ne soit plus en proie à des gestes de haine, comme en 1989 à l’École polytechnique, en 2012 au Metropolis, en 2014 lors d’attentats contre des militaires et en 2016, lorsque des coopérants humanitaires québécois ont été tués dans un attentat au Burkina Faso.
Chants et prières
Puis, ce fut la deuxième partie de la soirée, axée sur le chant et la prière. Des adolescentes de l’école Jeunes musiciens du monde sont venues chanter «J’ai perdu mon papa / Car il priait tout bas».
Le Grand Chef huron-wendat de Wendake, Konrad Sioui, est venu rappeler que son peuple avait toujours accueilli sans distinction les nouveaux arrivants. Des dames des Premières Nations ont chanté et récité un poème sur l’eau.
Plusieurs leaders chrétiens de Québec ont assisté plus discrètement à la soirée. Trois d’entre eux ont pris la parole au micro. Le premier fut Pierre Lefebvre, qui travaille pour les relations interreligieuses à l’archidiocèse de Québec. Il était accompagné de Mgr Louis Corriveau, évêque auxiliaire de Québec. Ce dernier avait apporté sa guitare pour chanter «Si tu détruis ce qui opprime l’homme / Si tu relèves ton frère humilié / La nuit de ton combat sera lumière de midi».
L’évêque du diocèse anglican de Québec, Mgr Bruce Myers, vint ensuite dire quelques mots. Il était accompagné d’un quatuor anglican. Ils ont évoqué Siméon qui, selon l’Évangile de Luc, après avoir vu Jésus, disait à Dieu qu’il pouvait maintenant «s’en aller en paix».
La présence du rabbin de la communauté juive Beth Israel Ohev Sholem de Québec, Yacov Weil, revêtait un caractère particulier. Bien qu’il ne l’ait pas mentionné, cette journée suivait immédiatement la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, un projet haineux qui a touché sa propre famille. Chantre professionnel en plus de rabbin, il a entonné une prière émouvante, faisant référence à la miséricorde de Dieu et qualifiant la soirée de «réunion en humanité».
Appel à rejeter la haine
Mohamed El Hafid, responsable de l’Association Mosquée de la Capitale, y est ensuite allé d’un appel au vivre-ensemble bien senti.
«Ces gestes haineux sont tellement différents de ce que nous sommes comme société! C’est pour ça que nous ne les accepterons jamais», a-t-il dit. «Il est devenu urgent aujourd’hui de lutter contre l’esprit qui nourrit l’extrémisme, et qui veut absolument imposer le choc que j’appelle le ‘choc des ignorances’. Car ce n’est pas vrai: il n’existe pas de choc des civilisations», a-t-il ajouté en référence à l’expression popularisé il y a de nombreuses années par le chercheur américain Samuel Huntington. M. El Hafid a appelé à multiplier les «occasions d’échanges et de rencontres mutuelles». «Travailler à réaliser et à vivre cette fraternité et ce vivre-ensemble ne nous est pas dicté par les circonstances de cette tragédie. Mais ça fait partie intégrante de notre spiritualité musulmane et de notre foi.»
La gorge nouée par l’émotion, le porte-parole du Centre culturel islamique, Boufeldja Benabdallah, s’est enflammé en parlant de la solidarité qui a suivi l’attentat du 29 janvier 2017. Levant la main au ciel, il a dit sa fierté d’être Québécois. Il a également chaudement remercié le maire de Québec, Régis Labeaume, qui était lui aussi présent à cette soirée.
L’événement a pris fin par l’interprétation de deux classiques de la chanson populaire: Everybody Hurts et Hallelujah. Tous les participants sont alors revenus sur scène pour chanter ensemble. Parmi eux se trouvaient trois enfants orphelins depuis un an.