«Ne pense pas que ceux qui ont été tués dans les sentiers de Dieu sont morts. Au contraire: ils sont vivants près de leur Seigneur. Ils sont bien pourvus et ils sont joyeux.»
Voilà quelques-unes des paroles psalmodiées par Abderrahim Qaq, imam de la Mosquée de la Capitale, dans l’enceinte de l’église catholique Saint-Mathieu où avait lieu un rassemblement citoyen sous forme de repas communautaire le 29 janvier 2020 pour souligner le troisième anniversaire de la tuerie de la grande mosquée de Québec.
«Ils ont été tués parce qu’ils étaient des croyants, profondément humains. Mais des croyants qui croient en Dieu, l’Unique et universel», a ajouté Boufeldja Benabdallah, cofondateur et actuel président du Centre culturel islamique de Québec.
Puis, les 300 convives ont été invités à soulever de petites lumières symbolisant «la mémoire et l’espoir» posées sur les tables tandis qu’on éteignait celles de l’église. On a alors lu lentement les noms des six musulmans tués trois ans plus tôt: Azzedine Soufiane, Mamadou Tanou Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Ibrahima Barry et Aboubaker Thabti. Ce fut suivi d’un moment de recueillement en silence.
Même s’il ne s’agissait pas d’un événement explicitement religieux, ces quelques mentions de la foi musulmane trouvaient écho dans la présence de nombreux représentants de diverses traditions spirituelles. L’archidiocèse catholique était représenté par l’évêque auxiliaire Marc Pelchat. Le diocèse anglican de Québec misait sur la présence de l’évêque Bruce Myers et du recteur de la cathédrale de la Sainte-Trinité, Christian Schreiner. Ce dernier confiait d’ailleurs à Présence que la tuerie de 2017 a été pour lui l’occasion de développer de solides amitiés avec des concitoyens musulmans, dont M. Benabdallah. Le président de la communauté juive de Québec et cofondateur d’Unité Québec, David Weiser, était aussi présent.
Au début de la soirée, c’est le curé de la paroisse Notre-Dame-de-Foy, Bernard Duquette, qui a souhaité la bienvenue aux convives en lançant un appel à établir «des ponts de paix et d’amour fraternel».
Évoquant des paroles du pape Paul VI, il a ajouté que «si le début du dialogue c’est l’amitié», «que ce repas contribue à faire naitre de nouvelles amitiés et renforce celles qui existent déjà».
Il fallait absolument détenir un billet pour pouvoir prendre part à ce repas communautaire. Ceux-ci s’étaient envolés en moins de 48 heures. Les organisateurs ont fait en sorte que les tables soient composées en observant une certaine mixité afin d’encourager la rencontre entre les personnes.
À saveur politique
Avec la formule d’un repas aux saveurs internationales «axé sur les échanges entre les personnes», les organisateurs de cette commémoration citoyenne espéraient que ce point d’orgue de la journée soit moins chargé politiquement. Or, ce ne fut pas vraiment le cas.
S’il n’a pas évoqué directement la loi 21 sur la laïcité qu’il avait pourtant dénoncée plus tôt, M. Benabdallah a largement parlé de la citoyenneté, espérant le jour où les immigrants et fils et filles d’immigrants seront considérés comme des citoyens à part entière.
En avant-midi, lors d’une conférence de presse tenue à la grande mosquée de Québec, Sébastien Bouchard et Maryam Bessiri, du Collectif citoyen «29 janvier, je me souviens» ont affirmé que leur principal message en reste un de «solidarité». Ils ont également dénoncé l’islamophobie. Selon eux, bien que l’ensemble de la société québécoise ne soit pas islamophobe, il faut savoir reconnaitre la présence d’une islamophobie inquiétante.
La question est revenue sur la sellette en soirée au moment de l’intervention du rappeur Webster.
«Ne me dites pas que cette commémoration ce soir n’a rien de politique», a-t-il lancé. «Est-ce qu’on va laisser l’ignorance dicter qui nous sommes? Est-ce qu’on va laisser les chroniqueuses, chroniqueurs, marchands de haine nous dicter à quoi doivent ressembler nos sociétés? Est-ce qu’on va laisser le gouvernement déterminer ce que les femmes doivent porter?»
Ces propos lui ont valu une longue ovation.
Quelques instants auparavant, le premier ministre François Legault avait soigneusement évité d’employer le terme «islamophobie», préférant parler d’un «attentat haineux», fruit de la «haine d’un jeune homme».
Selon lui, le «vrai visage du Québec», c’est plutôt l’expression de soutien et de solidarité qui a fait suite à la tuerie.
L’accueil tiède qu’il a reçu était tout en contraste avec les applaudissements chaleureux réservés à Boufeldja Benabdallah, la victime Aymen Derbali, rendu tétraplégique par l’attentat, et Webster.
Outre le premier ministre du Québec, plusieurs politiciens assistaient à la soirée, dont le maire de Québec Régis Labeaume, le chef du Nouveau Parti démocratique Jagmeet Singh, la co-cheffe de Québec Solidaire Manon Massé et le grand chef de la nation huronne-wendat Konrad Sioui, pour n’en nommer que quelques-uns.
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