Il est 15h30. Dans la salle d’attente du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), nous attendons de rencontrer son directeur, Herman Okomba-Deparice. À l’heure où débute notre entretien, nous sommes loin de nous douter qu’une fusillade dans un centre de santé communautaire de la ville de San Bernardino, en Californie, vient tout juste de faire 14 morts. Ce ne sera qu’après que nous réaliserons tout le poids des propos tenus lors de cette entrevue.
Herman Okomba-Deparice, directeur du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, est un homme très occupé, à tel point qu’il est obligé de dîner en pleine entrevue. Les médias se l’arrachent. Et pour cause! Le phénomène du radicalisme violent fait peur et soulève beaucoup de questions.
À la tête de la première entité de ce genre en Amérique du Nord, M. Okomba-Deparice occupe un poste hautement stratégique. Avec l’aide de 15 employés, il tente d’endiguer le phénomène de la radicalisation violente à sa source même. «Nous agissons en amont du processus de radicalisation.» Cette mission, le centre situé à Montréal l’accomplit avec l’aide des parents, des forces de l’ordre, des institutions scolaires et des religieux.
La prévention
«Nous croyons important que tous, y compris les familles des personnes radicalisées, soient impliqués dans le processus de prévention et de déradicalisation», souligne M. Okomba-Deparice.
Cette collaboration semble porter fruit car, depuis le mois de mars 2015, le Centre a reçu 500 appels concernant des cas potentiels de radicalisation violente. Huit d’entre eux ont été transférés aux forces de l’ordre.
Ce travail de prévention s’amorce par l’adoption d’une définition claire de l’expression radicalisation. Sur son site Internet, le Centre écrit: «la radicalisation violente est: l’adoption d’une idéologie dont la logique devient un véritable cadre de vie, d’action et de signification pour un individu; la croyance dans l’utilisation des moyens violents pour faire entendre une cause; la fusion entre l’idéologie et l’action violente».
M. Okomba-Deparice précise qu’être radical n’est pas une mauvaise chose en soi.
«Dans l’histoire, nous avons eu des grands personnages, comme Nelson Mandela, Gandhi, Martin Luther King, qui ont adopté des positions radicales. Toutefois, ils n’ont pas utilisé la violence pour parvenir à leurs fins.»
Le directeur du CPRMV souligne également que la radicalisation est un phénomène présent autant dans des mouvements politiques, idéologiques que religieux. «Il est présent même au sein de certains groupes environnementalistes.»
«Seulement 15 % de ces actes violents ont été reliés à la religion.»
«Au Québec, note le spécialiste, même si nous entendons beaucoup parler de l’islam en lien avec le radicalisme, il faut savoir que 30 % des actes qui ont été qualifiés de terroristes ont été commis par des personnes liées soit à l’extrême-gauche, soit à l’extrême-droite. Seulement 15 % de ces actes violents ont été reliés à la religion.»
Des centres de déradicalisation
Pour contrer ce phénomène, le Centre de prévention prend en compte l’ensemble du processus de radicalisation.
«Nous agissons en amont. Nous étudions les différents courants idéologiques. Nous analysons les différentes tendances. Nous surveillons les différents réseaux. Cela nous permet de décider quelles sont nos priorités. Nous sommes très vigilants. Les citoyens nous informent.»
Cette étude attentive de la radicalisation violente dans la province a permis à Herman Okomba-Deparice de constater qu’en cette matière, le Québec n’est pas la France.
«J’ai appris qu’il ne faut pas être alarmiste. Nous ne sommes pas la France. Oui, nous sommes devant un phénomène qui prend de l’ampleur. Cependant, les autorités québécoises et canadiennes ont réagi avec rapidité. Nous ne sommes pas naïfs. Nous sommes attentifs. Nous sommes prêts!», estime-t-il.
Des pistes de solutions sont régulièrement évaluées. Ainsi des spécialistes de la question pensent à mettre sur pied des centres fermés de déradicalisation comme ceux que le gouvernement français s’apprête à ouvrir ou comme ceux qui existent déjà en Arabie Saoudite. Cependant, M. Okomba-Deparice n’aime pas parler de cette éventualité.
«Lorsque des centres fermés font leur apparition dans certains pays, cela est le signe que quelque chose dans le processus de prévention n’a pas fonctionné. Ces centres sont tout simplement la preuve d’un échec collectif.»
Le directeur du Centre de prévention préfère l’éducation des divers intervenants qui gravitent autour des jeunes afin de contrecarrer toute tentative de radicalisation.
«Les parents, les professeurs, les religieux et même le médecin du jeune peuvent jouer un rôle positif. Pour cela, nous devons leur donner des outils pour qu’ils puissent intervenir adéquatement.»
Cela est d’autant plus important que des recruteurs sont à l’œuvre au Québec.
«Un jeune peut se radicaliser partout. À l’école, dans les parcs, dans les sous-sols, n’importe où! Dans ces lieux, il peut faire la rencontre de personnes qui vont semer le doute dans son esprit, utilisant un discours populiste qui ne reflète pas la réalité. Ils vont profiter de ses failles psychologiques et de sa quête d’identité pour le pousser vers la radicalisation violente.»
Contrairement aux idées reçues, M. Okomba-Deparice estime que les mosquées québécoises ne sont pas les endroits préférés des recruteurs. «Elles sont surveillées par les services de police. Les imams et les fidèles sont très vigilants. Ils ne vont jamais accepter les discours extrémistes», affirme-t-il.
Afin d’aider les différents intervenants qui veulent éviter que des jeunes tombent dans le piège de la radicalisation violente, le Centre de prévention a publié sur son site Internet le Baromètre des comportements qui se veut «un guide en vue de mieux évaluer les comportements associés au processus de radicalisation menant à la violence»
Le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence met également à la disposition des citoyens un service téléphonique d’écoute, disponible jour et nuit, sept jours sur sept.