Jeudi, les évêques québécois qui ont participé au synode sur la famille de l’automne dernier ont lu attentivement l’exhortation apostolique Amoris laetitia (La joie de l’amour) consacrée à la famille que Rome venait de leur faire parvenir. Ils apprécient le ton clairement pastoral du pape dans ce document très attendu et estiment que le Québec pourra se reconnaître dans une approche qui, pour l’essentiel, s’efforce de laisser les jugements au placard.
L’archevêque de Gatineau, Mgr Paul-André Durocher, a participé aux deux synodes sur la famille organisés en 2014 et 2015. Il trouve le texte de François «inspirant».
«On sent une proximité: on voit le cœur du pasteur qui a cheminé avec des gens. Il s’exprime souvent à la première personne du singulier. Il s’investit personnellement, dans une façon unique pour un pape», remarque-t-il.
«Le document parle d’éclairer les consciences, pas de les remplacer! Si on avait eu ce mot d’ordre au Québec dans les années 1930-40, ça nous aurait sauvé bien des problèmes comme Église», reconnait-il.
Mgr Durocher est particulièrement frappé par la réflexion du pape au chapitre 4 de l’exhortation, alors qu’il aborde l’amour conjugal. Dans la foulée d’un synode, il revient au pape de décider des suites à donner au rapport final des évêques. Or dans ce cas précis, François est allé au-delà de ce qui lui avait été remis. Ce chapitre propose une introspection psychologique des époux à partir de la Première Lettre aux Corinthiens. Parfois poétique, jamais un texte pontifical ne s’était avancé aussi loin dans les émotions des conjoints.
«Ça vient vraiment de lui, note l’archevêque de Gatineau. Je trouve qu’il faudrait donner ce passage à tous les couples. On y trouve richesse, intuition et sagesse. Si j’étais marié, je voudrais m’asseoir avec mon épouse et voir ça avec elle», poursuit celui qui a longtemps accompagné des couples dans les préparations au mariage.
Recevable au Québec
Mgr Durocher croit que les Québécois pourront se reconnaître et être à l’aise avec le contenu du document. À ses yeux, le pape ouvre la porte à une réflexion au sein des couples. Ensuite, il lance un défi aux paroisses.
«Je pense aux paroisses fragilisées par le vieillissement et le manque de ressources, où l’on a tendance à se replier sur le purement liturgique. Il y a une invitation à en faire des lieux d’accueil et d’intégration. C’est un défi qu’il va falloir étudier sérieusement», dit-il.
Enfin, il note que le pape prend acte de la diversité des situations de conjugalités, comme c’est le cas au Québec, en invitant au discernement.
«Je pense que ce sera un outil précieux, un guide pour le personnel pastoral dans l’accompagnement des couples. C’est une approche que de nombreux agents de pastorale et des prêtres préconisent depuis longtemps, mais ça vient donner des assises théologiques un peu plus solides. Ça nous invite plutôt à prendre très au sérieux l’enseignement de la Bible et de l’Église tout en accueillant de façon réaliste et vraie les couples pour qui c’est difficile», précise l’archevêque.
Une voie de synthèse
Au cours des derniers mois, plusieurs observateurs se demandaient comment le pape parviendrait à tenir compte des positions parfois diamétralement opposées qui ont été manifestées par les évêques lors des synodes sur les enjeux de la famille. Avec Amoris laetitia, Mgr Durocher juge que le pape a évité deux écueils.
«Continuellement on voit qu’il refuse ces voies. Le texte n’est pas une voie de compromis, mais une voie de synthèse, où on réussit à tenir deux principes qui semblent contradictoire mais qui, ensemble, font jaillir de nouvelles perspectives.»
Le document vient clore un triptyque catholique sur la famille, avec deux synodes consacrés à la question et la Rencontre mondiale des familles qui avait lieu à Philadelphie l’automne dernier. Pour l’archevêque de Gatineau, la balle est maintenant dans le camp des conférences épiscopales et des diocèses afin d’emboîter le pas à la réflexion et d’affiner les actions.
«Nous devons voir comment, dans notre contexte culturel, nous pouvons avancer», indique encore Mgr Durocher, affirmant que l’Église devra maintenant se pencher sur la réception du document.
Conscient que certains catholiques auraient aimé que le document se prononce avec davantage d’ouverture sur les personnes homosexuelles, Mgr Durocher dit que l’Église a encore «une réflexion plus poussée» à faire sur l’homosexualité. «Ce travail est devant nous. Le temps n’était pas mûr à l’intérieur de l’espace synodal pour avoir cette discussion-là, qui a des impacts culturels très forts dans le monde dans lequel nous vivons.»
Place à la conscience
De son côté, l’évêque de Valleyfield, Mgr Noël Simard, se dit très content. Il note que le pape évoque fréquemment la question de la conscience.
«Je proposais un chemin d’accompagnement. Le texte propose un itinéraire d’accompagnement. Ça m’a plu», explique celui qui avait justement profité de sa participation au synode sur la famille de l’automne dernier pour mettre l’accent sur cet aspect.
Mgr Simard parle de l’exhortation avec une certaine frénésie, trouvant qu’elle fait un effort pour tendre la main à la diversité des situations familiales d’aujourd’hui.
L’exhortation invite l’Église catholique à être sensible à la fragilité et à ne pas avoir peur de «se salir avec la boue de la route».
«Il faut rejoindre la réalité des gens, tenir compte de la diversité des situations familiales, les accompagner et essayer de trouver les éléments positifs. Et à partir de cela, accompagner et essayer de transformer ces situations en occasions de conversion et de croissance», détaille l’évêque québécois.
«Il y a un souffle pastoral dans l’exhortation», se réjouit-il, affirmant qu’il ne s’agit pas pour l’Église de choisir entre vérité et miséricorde, mais d’unir les deux.
«Ce souffle pastoral où l’on prend conscience de la diversité des faits et de la réalité, ça va rejoindre les gens d’ici. C’est pas un free for all, mais ça ouvre des possibilités d’accompagnement», illustre-t-il.
Pour lui, «la logique de la miséricorde, c’est la logique de l’accueil et de la compassion».
Noël Simard note qu’avec Amoris laetitia, l’accent est mis sur une approche inductive du discernement, qui se fait à partir de la réalité des gens. «À partir de la réalité des familles, découvrons ce qu’il y a de bon. Et si ça ne rejoint pas l’idéal, il y a quand même un cheminement. Et c’est à nous d’inviter les gens à entreprendre un cheminement de conversion et de croissance.»
«On ne peut plus fonctionner simplement avec des règles générales qui s’appliquent à tout le monde», convient-il.