Alors que l’escalade verbale entre la Corée du Nord de Kim Jong-un et les États-Unis de Donald Trump ravive la crainte d’un conflit nucléaire, plusieurs éthiciens et théologiens appellent l’Oncle Sam à la retenue.
Aux yeux de l’éthicien catholique Gerard Powers, on ne saurait invoquer la doctrine de la «guerre juste» pour cautionner une intervention armée contre la Corée du Nord, en réponse aux essais et aux menaces du régime de Pyongyang.
Selon l’expert, trois critères doivent être réunis pour invoquer le principe de la guerre juste : pour qu’une intervention armée soit légitime, il faut faire la preuve qu’on entend agir avec proportionnalité et au nom du bien commun, et qu’il s’agit du dernier recours disponible. Ces conditions-là ne sont pas réunies, affirme le directeur du Kroc Institute for International Peace Studies, de l’Université Notre-Dame.
«Une guerre préventive en Corée du Nord serait injustifiable au plan moral», a-t-il expliqué avant que la Corée du Nord ne procède à un nouvel essai nucléaire. «Or, c’est précisément ce que propose l’administration Trump: le recours à la force militaire à des fins préventives», a noté le professeur.
«Comme ce fut le cas lors de la guerre contre l’Irak, on assiste à une rupture [des États-Unis] à l’égard des normes éthiques et morales en vigueur dans la communauté internationale en ce qui a trait au recours à la force», ajoute le spécialiste. «Les vociférations belliqueuses du régime nord-coréen, ou de tout autre pays, ne constituent pas, en soi, une cause suffisamment juste pouvant cautionner le recours à la force», a indiqué le professeur.
«La guerre préventive est une guerre d’agression. Le possible recours aux armes nucléaires amène la réflexion à un tout autre niveau», a-t-il ajouté. «Au fil des ans, les évêques américains ont affirmé qu’une guerre nucléaire était moralement injustifiable. Le concile Vatican II a fermement condamné la destruction des villes entières [lors de conflits armés], ce qui risque inévitablement d’arriver lors d’une guerre nucléaire. C’est ce qui risque de se produire, s’il devait y avoir une guerre nucléaire contre la Corée du Nord».
«Un guerre nucléaire est donc moralement répréhensible. Point à la ligne», concluait-il.
«Les principes de la [guerre juste] sont formels», a ajouté la professeure Necla Tschirgi, de l’Université de San Diego. «Il doit s’agir d’une cause juste et il faut être animé par des bonnes intentions. Il doit aussi y avoir proportionnalité. L’enjeu ici c’est l’entrée en guerre [d’un pays]», a ajouté la spécialiste des questions sécuritaires.
«Le président Trump a menacé d’exterminer la Corée du Nord parce que celle-ci possède désormais des armes nucléaires», a-t-elle rappelé. «La proportionnalité, le dernier recours, les enjeux liés au succès escompté et à l’autorité adéquate: tout cela doit être pris en considération» dans ce face-à-face avec la Corée du nord, a insisté la professeure.
Selon l’Église catholique, quatre critères doivent être réunis pour qu’une guerre soit considérée «juste». Les dégâts pouvant être infligés par l’agresseur sur les pays agressés doivent être durables, graves et avérés. Tous les recours destinés à éviter le conflit doivent s’être montrés impraticables ou inefficaces. Il faut faire la preuve que l’intervention armée a de bonnes chances d’atteindre ses objectifs, et qu’elle ne produira pas davantage de mal et de désordre que ceux qu’elle prétend vouloir éliminer.
Selon la professeure Tschirgi, le Vatican se penche présentement sur la doctrine de la guerre juste. En regard de la puissance des armements modernes, dont les ogives nucléaires appelés à être utilisées dans le conflit avec la Corée du Nord, est-il possible de parler le moindrement de guerre juste?
«La Corée du Nord possède l’arme nucléaire. Plusieurs administrations ont fait face à ce problème en ayant recours à diverses stratégies», a rappelé Mme Tschirgi.
Des stratégies qui n’ont connu qu’un succès limité, a reconnu Andrew Yeo, professeur de sciences politiques à la Catholic University of America, à Washington. Plusieurs pays occidentaux déplorent le caractère imprévisible de la Corée du Nord. Or, selon le professeur Yeo, peu d’Occidentaux comprennent les schèmes de pensée du régime de Pyongyang.
Les racines du conflit plongent dans l’histoire de la Guerre de Corée, dans les années 1950. À l’issue du conflit, la Corée du Nord a signé le traité de paix; la Corée du Sud, non. Le régime de Séoul souhaite encore réunifier le pays. Celui de Pyongyang s’y refuse.
Selon le professeur Yeo, la Corée du Nord adhère à une «mentalité d’assiégés» qui l’amène à se méfier de l’aide étrangère.
«La logique des dirigeants du régime est de survivre et la meilleure façon d’y arriver, pensent-ils, est de posséder l’arme nucléaire.» Jusqu’ici, note le professeur Yeo, personne n’a été en mesure de convaincre la Corée du Nord d’accepter de l’aide humanitaire, ou de mettre un terme à son programme nucléaire.
Selon Joseph Capizzi, professeur de théologie morale à la Catholic University of America, «nous n’avons pas encore épuisé tous les recours diplomatiques à notre disposition». Au contraire, «les Chinois sont disposés à exercer des pressions diplomatiques. La Corée du Nord semble avoir cessé de menacer l’île de Guam», qu’elle présentait jusque-là comme l’une des cibles potentielles de son arsenal nucléaire.
«Nous sommes confrontés à l’un des critères [de la guerre juste]: celui du dernier recours. Est-on rendu au point de non-retour faisant en sorte que seule une solution militaire s’impose? Non», répond le professeur Capizzi.
Aucune arme nucléaire n’a été utilisée lors d’un conflit au cours des 72 dernières années. La plupart des gens sont conscients des dommages considérables que pourraient engendrer une bombe nucléaire.
«Cela dit, bien des civils en Corée du Nord, en Corée du Sud et dans certaines régions du Vietnam ont été confrontées à des campagnes de bombardements massifs. Ce souvenir est pour eux une source d’anxiété et les fait redouter une escalade du conflit entre les États-Unis et la Corée du Nord», a ajouté le théologien.
«Cet arrière-plan peut jouer un rôle essentiel dans les [réflexions] relatives à la force, et au recours à la force, que ce soit par la Corée du Nord, ou par les États-Unis», dit-il.
Mark Pattison, Catholic News Service
Trad. et adapt. F. Barriault, pour Présence