C’est Pauline Marois, alors première ministre du Québec, qui a dévoilé le 5 décembre 2012 ce monument en hommage aux femmes en politique, érigé sur les terrains de l’hôtel du Parlement. Quatre femmes y sont représentées, marchant vers l’avant. Ce sont les féministes Idola Saint-Jean, Marie Lacoste-Gérin-Lajoie, Thérèse Casgrain et Marie-Claire Kirkland.
Mais Claude Gravel, longtemps journaliste à Radio-Canada et à La Presse, estimait à l’époque qu’une autre féministe aurait dû faire partie de cette œuvre du sculpteur Jules Lasalle.
«Une ombre flotte toutefois au-dessus de cette remarquable sculpture, celle d’une femme qui, du début du 20e siècle jusqu’à sa mort, en 1937, fut la confidente, la complice, la grande alliée de Marie Lacoste-Gérin-Lajoie», écrivait-il dans La Presse en mars 2013.
Quel est donc le nom de cette femme, «célèbre en son temps» et même «l’une des femmes les plus puissantes du Québec», que les politiciens d’aujourd’hui ont oublié?
«Elle s’appelait Marie-Aveline Bengle, elle était d’origine allemande. Elle est mieux connue sous son nom de religieuse: mère Sainte-Anne-Marie», indiquait alors Claude Gravel qui venait tout juste de publier une biographie de cette religieuse de la Congrégation de Notre Dame, La féministe en robe noire (Éditions Libre Expression).
Le 8 mars dernier, Journée internationale des femmes, Claude Gravel s’est toutefois réjoui en entendant les noms des huit pionnières que le gouvernement du Québec reconnaissait comme «personnages historiques» en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel.
Marie-Aveline Bengle, fondatrice du premier collège classique féminin au Québec, fait partie de cette courte liste, aux côtés de Marie Lacoste-Gérin-Lajoie, Idola Saint-Jean et Thérèse Casgrain – toutes trois du monument de Québec – et d’Irma LeVasseur, Maude Abbott, Laure Gaudreault et Elizabeth Carmichael Monk.
«C’est tellement mérité que le gouvernement du Québec reconnaisse enfin que Marie-Aveline Bengle, une religieuse, a vraiment marqué l’histoire en faisant avancer la cause des femmes», dit Claude Gravel.
«Quand on pense à toutes les difficultés qu’elle a rencontrées pour faire progresser la cause de l’éducation des jeunes filles, oui, elle a certainement sa place aux côtés des grandes féministes du 19e et du 20e siècle.»
L’auteur de Féministe en robe noire – Mère Sainte-Anne-Marie, de Raymond Gravel – Entre le doute et l’espoir et de La Vie dans les communautés religieuses – L’âge de la ferveur, 1840-1960, rappelle que «Mère Sainte-Anne-Marie n’avait pas entière liberté et qu’elle avait un évêque au-dessus d’elle».
«Les évêques à l’époque étaient plutôt conservateurs en ce qui concerne les droits des femmes. Ils ne voulaient pas que les jeunes filles s’instruisent.»
Dotée «d’un fort caractère et d’un grand sens politique», la religieuse a tenu tête aux autorités religieuses de son temps. «Elle cultivait les contacts politiques, elle était amie avec les politiciens de l’époque, comme Athanase David, secrétaire de la province du Québec», dit le biographe de Mère Sainte-Anne-Marie.
C’est d’ailleurs à Athanase David que l’on doit cet éloge de la religieuse, rappelle Claude Gravel: «Quelle femme! Si c’était un homme, il y a belle lurette qu’elle serait ministre!»
Pas de sculpture, donc, pour Mère Sainte-Anne-Marie. Mais elle obtient le titre de «personnage historique» et le gouvernement du Québec reconnaît que la religieuse fait partie de ces femmes dont les «actions menées ont eu une incidence majeure sur l’amélioration des droits collectifs des femmes, tant sur le plan politique, juridique et médical qu’éducatif».
***