La sociologue Lorraine Derocher, spécialiste de la protection de l’enfance dans les milieux sectaires, craint que le développement physique et psychologique des mineurs soit compromis au sein de certains mouvements isolés qui prédisent l’apocalypse. Elle lance un appel à une vigilance accrue afin d’éviter des drames.
«Il y a des groupes qui sont baignés depuis longtemps dans une certaine eschatologie, une certaine [idée] de fin du monde. Devant tout ce qui se passe actuellement, certains groupes déjà coupés du monde vont vouloir s’isoler encore davantage», a déclaré Lorraine Derocher dans une entrevue accordée à Présence.
La spécialiste avance l’hypothèse que certains de ces mouvements peuvent se radicaliser encore plus.
«Il y a des recherches qui ont démontré que les mouvements apocalyptiques sont ceux qui sont les plus enclins à la violence. On parle de violence psychologique, verbale ou d’autres types de violence. La violence est dirigée vers les adeptes. Bien souvent, ce sont les enfants qui écopent. Ils ont tendance à être violents parce qu’ils ont extrêmement peurs.»
Lorraine Derocher, auteure d’un manuel destiné aux intervenants, se dit préoccupée par l’évolution qu’elle constate dans le discours de certains mouvements apocalyptiques.
«Il y a des mouvements religieux qui affirment que c’est la fin du monde actuellement. Jusqu’ici nous avions des groupes qui incitaient leurs membres à s’y préparer. Pour certains groupes, on n’est plus dans la préparation, on est rendu à la fin du monde. Et c’est là que suis vraiment inquiète pour les enfants.»
Pour s’assurer que le développement des enfants au sein de ces mouvements n’est pas compromis, elle demande à la population qui réside à proximité et aux proches des adeptes de ce type d’organisation d’être plus vigilants qu’à l’habitude.
«Si des citoyens pensent que des mineurs sont abusés dans un groupe en particulier, qu’ils n’hésitent pas à faire un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse [DPJ].»
La sociologue, également auteure du livre Intervenir auprès de sectes religieuses en protection de la jeunesse. Un défi, rappelle que nous vivons dans un État de droit. Sans signalement, la DPJ ne peut faire une enquête.
Un appel à la ministre Danielle McCann
«La loi sur la protection de la jeunesse est une loi d’exception. Le signalement est ce qui rend possible une telle intervention de l’État au sein d’une famille.»
Voilà pourquoi elle souhaite que le gouvernement, et tout particulièrement la ministre de la Santé et des services sociaux, Danielle McCann, invite les citoyens à appeler la DPJ s’ils pensent que la sécurité des mineurs au sein de ces mouvements fermés est compromise.
Lorraine Derocher est persuadée que les citoyens et les proches des adeptes peuvent faire toute une différence. Elle pense, entre autres, au pouvoir des grands-parents.
«Ils ont le droit de voir leurs petits-enfants. S’ils n’ont pas de contacts avec eux, ils peuvent téléphoner à la DPJ en leur disant que c’est un groupe apocalyptique et que dans la situation actuelle, il serait bien d’aller vérifier.»
La sociologue rappelle que la loi sur la protection de la jeunesse stipule qu’une intervention de la DPJ est légitime si elle juge que les enfants sont isolés de façon grave et continue, qu’ils sont victimes de menaces ou d’un contrôle excessif.
Bien préparer l’intervention
Lorraine Derocher précise que la DPJ pourrait considérer qu’un enfant est isolé de façon grave et continue si celui-ci ne parle pas une des langues officielles, qu’il ne va pas à l’école, qu’il ne voit pas ses grands-parents ou ses voisins, qu’il ne peut consulter un médecin au besoin.
Une fois sur place, les intervenants peuvent vérifier si le mouvement exerce un contrôle excessif à l’endroit de certains mineurs ou que ces derniers ne sont pas victimes de menaces.
«Pour moi une menace, c’est par exemple, de dire à un jeune de 16-17 ans que s’il sort du groupe il risque de mourir ou qu’il risque de recevoir la foudre de Dieu sur lui. L’enfant qui est tourmenté par des images de fins du monde, par des images apocalyptiques, cela pourrait être vu comme une forme de mauvais traitement psychologique », dit-elle, précisant quel la DPJ devrait toutefois en faire la preuve.
Lorraine Derocher souligne qu’une telle intervention doit être bien préparée, car elle peut provoquer une contre-réaction de la part du mouvement.
«Le groupe au complet peut réagir, fortement même. Cela peut aller jusqu’à la fuite en pleine nuit. Ce que l’on ne veut pas, c’est que la communauté se sente attaquée par une intervention de la DPJ. Si l’on intervient cas par cas, famille par famille et qu’on n’attaque pas les croyances, cela peut fonctionner. Le but n’est pas de sortir la famille d’un groupe, mais de protéger [les enfants].»
La sociologue ne veut pas semer la panique au sein de la population.
«L’idée n’est pas d’alarmer les gens. Toutefois, je pense que la situation actuelle est préoccupante.»
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