L’organisme Aide à l’Église en détresse donnera une conférence intitulée De la liberté à la persécution religieuse jeudi soir à Montréal. La veille, le 23 octobre, parait son rapport biannuel sur la persécution des chrétiens dans le monde. Entrevue avec Marie-Claude Lalonde, directrice nationale d’Aide à l’Église en détresse Canada.
Qu’est-ce qui vous pousse à organiser cette soirée?
Le but de la soirée est de sensibiliser les gens d’ici aux problèmes qui sont liés à la liberté et à la persécution religieuse. Beaucoup de personnes s’imaginent qu’en 2019, ça n’existe plus. J’entends régulièrement des gens qui s’étonnent qu’il y ait encore des persécutions, croyant que c’est une chose du passé. Pourtant, il n’y en a jamais eu autant. On est dans une conjoncture qui favorise, voire qui permet l’éclosion de foyers d’intolérance religieuse.
Quelle est cette conjoncture?
Je pense par exemple à la conjoncture politique en Irak qui a favorisé l’éclosion et le renforcement de l’État islamique. Dans plusieurs territoires, en Irak ou ailleurs, il y a des faiblesses et des gens qui savent les exploiter. L’intolérance commence parfois par de simples remarques, peut se décliner en discrimination, puis en persécution.
À quelles régions pensez-vous en particulier?
Bien sûr, il y a le Moyen-Orient. Mais il ne faut surtout pas oublier l’Afrique, où nous surveillons de près ce qui s’y passe. Je pense au Nigéria, par exemple. À vrai dire, les «régions chaudes» en matière de persécution religieuse sont actuellement beaucoup en Afrique et dans certains pays d’Asie, dont l’Inde, la Chine et les Philippines.
Il faut dire que les régimes autoritaires favorisent l’éclosion de contextes de persécutions, car ils manifestent eux-mêmes leur intolérance, ce qui pave la voie aux autres. À cela s’ajoute la question des gouvernements qui n’ont pas la capacité de maintenir l’ordre dans leur propre pays. Donc ça prend racine dans un contexte d’insécurité. Mais l’insécurité, c’est large: ça peut aussi être de l’insécurité alimentaire! Par exemple, un groupe ethnique qui a faim va plus facilement s’en prendre à un autre qui a des richesses. On voit une telle situation en Afrique, notamment au Nigéria, où des problèmes d’ethnies s’entremêlent à la religion. Si on combine ces réalités à de nouveaux enjeux climatiques, cela donne des situations potentiellement explosives.
Vous en parlez depuis des années au Canada. Sentez-vous que la population et les décideurs publics sont sensibilisés à cette question ici?
Les citoyens et les gouvernements sont ouverts à recevoir l’information. Ce qu’ils en font, ça leur appartient. Notre but est vraiment d’informer.
Certains Canadiens vont jusqu’à dire qu’il y a de la persécution religieuse ici aussi. Qu’en pensez-vous?
Le Canada ne fait pas partie des pays où il a de la persécution religieuse. Ce qui se passe ici, c’est un malaise. Il peut y avoir des actes de discrimination, mais c’est isolé. Ce n’est ni généralisé, ni systémique. Et nous pouvons nous adresser aux tribunaux pour se faire entendre et pour dénoncer.
Et la loi 21 sur la laïcité au Québec a-t-elle ce caractère systémique?
C’est un beau casse-tête. Je ne veux pas trop me prononcer là-dessus. On veut rester le plus apolitique possible. Comme je le disais, l’option des tribunaux est toujours là. La loi 21 s’applique à un groupe restreint, dans un contexte précis, ce qui n’est pas le cas des situations graves que nous dénonçons dans le monde. Mais de manière générale, nous pouvons dire que nous sommes contre la restriction des libertés religieuses.
C’est le mercredi 23 octobre que parait le rapport biannuel de votre organisation sur la persécution des chrétiens. À quoi peut-on s’attendre de ce rapport?
Ce n’est pas un rapport quantitatif. Douze pays ont été choisis, parmi les plus délinquants. Intitulé Persécutés et oubliés?, le rapport comprend 35 pages et couvre la période 2017-2019.
L’exercice vise à faire l’état des lieux à travers des exemples où on constate une dégradation année après année de la liberté religieuse et une augmentation des persécutions religieuses.
Où tracez-vous la ligne entre la discrimination et la persécution?
C’est dur à tracer, mais l’un mène à l’autre. Il y a discrimination lorsque les droits sont restreints en fonction de son identité chrétienne. Ne pas avoir le droit de s’inscrire à une école, par exemple. Mais aussi de manière moins officielle, au quotidien. La discrimination peut être légale, comme la loi sur le blasphème au Pakistan. Pour les persécutions, nous parlons généralement de cas de violences, d’arrestations arbitraires, de viols, de meurtres…
Depuis quelques années, je souligne le double problème des femmes: être femme et chrétienne. C’est un problème qui, je le crois, va continuer de s’aggraver.
Y a-t-il une situation qui vous préoccupe particulièrement parmi les pays où s’observent des persécutions?
On a toujours parlé du risque d’extinction des chrétiens au Moyen-Orient. On craint vraiment pour la disparition de certaines communautés. Entre 2003 et aujourd’hui, nous comptons 90 % moins de chrétiens en Irak. Ils sont aujourd’hui entre 120 000 et 150 000, alors qu’ils étaient 1,5 million avant l’invasion américaine de 2003.
Craignez-vous que le retrait des troupes américaines en Syrie ouvre la porte à de nouvelles persécutions?
C’est inquiétant. Personne ne veut voir les conflits reprendre de plus belle. Il n’y a pas beaucoup de chrétiens dans la région concernée, mais il y en a quand même. Mais même si on s’intéresse aux chrétiens à Aide à l’Église en détresse, on s’insère dans un contexte plus large. Si on ne dénonce pas aussi la persécution des autres minorités, c’est un non-sens pour nous.
De la liberté à la persécution religieuse
Conférence publique organisée par Aide à l’Église en détresse au Centre culturel chrétien de Montréal
Jeudi, 24 octobre 2019
19 h 30 – 21 h
***