«Ma famille habite alors à Paris», raconte Georgette Brinberg. «En 1941, mes parents ont reçu une lettre demandant que mon père se présente au poste de police. Comme c’était un bon citoyen, il s’y est rendu. Nous ne l’avons plus jamais revu.»
Georgette Brinberg (née Tepicht) fait une pause mais reprend aussitôt son témoignage. Le dimanche 15 avril 2018, cette survivante de l’Holocauste s’adresse aux gens réunis à la paroisse anglophone Saint Monica de Montréal.
Elle raconte qu’elle n’a que 4 ans lorsqu’elle est emmenée, en juillet 1942, avec sa mère et sa grande sœur, au Vélodrome d’hiver de Paris. Dans ce stade sportif, plus de 8000 juifs seront entassés avant d’être déportés vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
«Même si j’étais toute petite, je me souviens encore des cris, mais aussi des prières, de l’atmosphère», poursuit cette femme qui habite à Montréal depuis 1955. «Après cinq jours, on nous a séparées. Ma mère dans une file. Ma sœur et moi dans une autre. Je n’ai plus jamais revu ma maman.»
Sa sœur et elle ont survécu à la rafle du Vél d’Hiv. «Un miracle», reconnaît-elle. Les voyant en ligne, un policier français leur a demandé si elles avaient un endroit où aller. Sa sœur a répondu positivement. Il leur a alors dit: «Allez tout droit, ne vous retournez pas».
Sans argent, sans nourriture, seules à Paris, elles s’adressent à la Croix-Rouge et à des organismes juifs. Un homme accepte de conduire les deux jeunes filles à la campagne, à Morée. La fermière Aimée Tardif les accueille et répète qu’elle héberge ses nièces. Elles ne seront jamais dénoncées.
«Nous allons à l’église le dimanche, nous allons au catéchisme, nous devenons de bonnes catholiques», dit Georgette Brinberg.
«Madame Tardif nous a sauvées, ma sœur et moi», lance-t-elle en levant les yeux vers les gens présents dans cette église catholique montréalaise à l’occasion de la Commémoration chrétienne de la Shoah, une initiative du Dialogue judéo-chrétien de Montréal.
Cet événement, organisé cette année pour une 39e fois, réunit des juifs et des chrétiens à l’occasion du Jour commémoratif de l’Holocauste – appelé Yom Hashoah en hébreu – afin d’honorer la mémoire des quelque six millions de juifs et du million d’autres victimes de l’Holocauste durant la Deuxième Guerre mondiale.
Lors de la célébration, sept bougies sont allumées en hommage aux gens qui ont vécu la Shoah, une «tragédie incommensurable». Dimanche, c’est Georgette Brinberg, 80 ans, une des rares survivantes de la rafle du Vél d’Hiv, qui a allumé la toute première bougie au nom des enfants et des familles emmenés vers les camps de la mort.
«Ils ont vécu dans la foi. Et plusieurs sont morts dans la foi, cette foi en Dieu, cette foi dans la vie, cette foi dans la bonté que même les flammes ne peuvent détruire», a dit la rabbin Sherril Gilbert, qui a coprésidé cette commémoration avec le jésuite Lloyd Baugh.
Au début de la célébration, lors du rite pénitentiel, il a été déploré que, devant les atrocités commises lors de l’Holocauste, plusieurs chrétiens ont feint l’ignorance et n’ont pas protesté devant ce génocide.
Ce n’est pas le cas de madame Tardif, corrige Georgette Brinberg. Elle retournera au mois de juin à Morée, en France. La mairie du lieu rendra hommage à cette fermière, aujourd’hui décédée, qui l’a accueillie et l’a sauvée.