Au bas de chacune des pages du site Web de l’archidiocèse de Montréal, on a inscrit les coordonnées des bureaux diocésains. Quiconque peine à trouver dans ce vaste site une information précise pourra toujours téléphoner ou encore envoyer un courriel afin d’obtenir une réponse sans délai.
Depuis le mercredi 5 mai 2021, un second numéro de téléphone a été ajouté. Si un visiteur veut déposer des «plaintes liées à des abus», sexuels ou autres, commis par des prêtres, des employés ou des bénévoles du plus populeux diocèse catholique québécois, le numéro à composer est le (514) PLAINTE, soit le 514 752-4683.
Mais sachez déjà que personne de l’archidiocèse ne répondra. C’est plutôt un interlocutrice indépendante, Me Marie Christine Kirouack, qui prendra l’appel et qui notera non seulement les plaintes d’abus, mais aussi toutes les dénonciations de comportement inapproprié qu’on voudra bien lui confier.
Rencontrée 48 heures après sa nomination, dans son bureau de la rue Sherbrooke Ouest, l’avocate révèle que, oui, le téléphone a déjà commencé à sonner. Pour de simples demandes d’information? Pour des plaintes formelles? «Les deux», répond-elle sans hésitation. «Ça fonctionne.» L’ombudsman n’en dira pas davantage mais elle accepte volontiers de répondre aux autres questions de Présence.
Présence: Pourquoi avoir accepté cette responsabilité?
Me Marie Christine Kirouack: C’est une continuité pour moi. J’ai représenté, dans ma carrière, plusieurs enfants. Des enfants charriés, tapochés et bien davantage. J’ai toujours voulu que ces enfants aient une voix et qu’on prête foi à ce qu’ils disaient.
Dans ce processus mis en place par l’archidiocèse de Montréal, je trouvais important que les victimes aient une voix et qu’elles sentent que, jamais, elles ne seraient jugées. Qu’une personne allait les écouter dans ce qu’elles vivent.
Mgr Christian Lépine, lors de la conférence de presse annonçant votre nomination, a indiqué que toutes les formes d’abus pourraient faire l’objet d’une plainte auprès de l’ombudsman. C’est le cas des abus sexuels, physiques, psychologiques et financiers. Mais l’archevêque a aussi mentionné les abus spirituels. Qu’est-ce qu’un abus spirituel?
L’abus spirituel, c’est lorsqu’on se sert du bon Dieu afin d’amener une personne à poser un geste. C’est lié à une mauvaise vision de Dieu ou encore à une mauvaise lecture des textes religieux.
Certaines fois, on dicte la conduite d’une personne en se basant sur des préceptes religieux. D’autre fois, c’est quand on abuse du lien de confiance. Une personne vient nous voir à titre de conseiller spirituel. Le danger, c’est de prendre le contrôle de la personne qui vient consulter, de lui dicter les décisions qu’elle va prendre et, finalement, de devenir le seul lien entre la victime et le monde externe.
Pensons aux sectes. Dans bien des cas, il n’est pas question d’abus physiques mais de contrôle de la vie des personnes. On parle même de lavage de cerveau.
Vous allez certainement recevoir des signalements pour des gestes commis par des prêtres qui ne sont pas liés ou qui n’ont jamais été liés à l’archidiocèse de Montréal. On pense aux membres de congrégations religieuses, qui ont été et sont toujours nombreux à Montréal. Rejetterez-vous ces plaintes?
Mon travail premier, c’est de constamment faire des suivis auprès de la personne plaignante. Votre plainte a bien été reçue. J’ai terminé sa rédaction. Je vous assure que, dans moins de 30 minutes, tous les membres du comité consultatif vont la recevoir. Je vais vous indiquer quand les rencontres auront lieu et je vais m’assurer que tous les délais de réponse seront respectés. Ensuite, je vais vous téléphoner.
Une bonne partie de mon travail, c’est de ne pas en échapper une.
Si je reçois une plainte concernant un membre d’une congrégation religieuse de Montréal, je vais aussi en informer le comité consultatif. C’est lui qui va recommander à l’archevêque de communiquer avec le supérieur et qui va s’assurer qu’un processus est enclenché. Moi, je recevrai ces résultats et je vais les communiquer à la victime. Et ce sera la même procédure si la plainte concerne une personne d’un autre diocèse.
J’ai l’impression que mon carnet d’adresses va s’étoffer dans les prochains six mois.
J’espère sincèrement que le modèle qu’on vient de créer à Montréal va faire des petits dans d’autres diocèses, et pas seulement qu’au Québec. C’est vraiment une première.
Quand je regarde le protocole qui a été adopté, je reconnais aussi qu’on pourrait l’appliquer à d’autres organisations qui ne sont pas religieuses. C’est simple: une seule personne, indépendante, qui reçoit toutes les plaintes. Un lieu central qui n’est pas une hydre à 39 têtes. Quand tout est centralisé, c’est bien plus aisé. Sans quoi, la personne ne sait pas à qui téléphoner dans tout l’organigramme de l’entreprise ou de l’association. Vous avez été témoin d’un événement? Vous êtes inconfortable devant ce que vous avez vu ou entendu? Il y a une seule personne à qui téléphoner et elle n’ignorera pas votre appel.
Vous allez rédiger des rapports sur les signalements que vous allez recevoir. Ces rapports seront-ils rendus publics?
Absolument. Et je peux vous garantir qu’il n’y aura aucun décalage entre le moment où les gens de l’archevêché vont en prendre connaissance et le moment où le public le recevra.
Mon but, c’est de donner le portrait, bien qu’il soit non-nominatif, le plus juste possible des gens qui font appel à l’ombudsman. Je vais inscrire le type de plaintes, l’âge des personnes plaignantes, la date des événements et si c’est un abus répété. Je veux aussi savoir si la personne a déjà porté plainte.
Le lendemain de l’annonce de la création du poste d’ombudsman indépendant, les évêques de tout le Canada ont mis en place un «système de signalement des abus sexuels ou dissimulés par un évêque catholique». C’est une surprise? Vous en pensez quoi?
Avec le plus grand respect pour le processus, j’aimerais quand même soulever cette question: est-ce bien approprié d’avoir un système mécanisé pour recevoir la plainte d’une victime? Relater un abus, ce n’est quand même pas comme répondre au recensement canadien.
Moi, je crois beaucoup à l’approche personnelle, à l’approche humaine.
Depuis l’arrivée des ordinateurs et depuis qu’on nous écrit par courriel – et on écrit beaucoup ainsi aujourd’hui – il y a des informations qui nous manquent. On peut en convenir, ce n’est pas la même chose que lorsqu’on parle avec quelqu’un. Quand on discute, on peut poser des questions qui vont permettre à d’autres remarques d’être exprimées. Selon moi, il y a des limites à un questionnaire en ligne. Ça ne permet pas d’aller chercher toutes les informations. En fait, quand la personne est en confiance, elle peut révéler d’autres affaires, expliciter davantage des éléments ou encore expliquer autrement une situation donnée. Quant au suivi, il faut que ce soit une personne qui le fasse.
Le positif dans cela, c’est qu’on a mis en place un processus de plainte à l’égard des évêques et des archevêques. Des ajustements pourront bien être apportés lors d’une future évaluation.
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