Collaborateur du docteur Victor Goldbloom depuis plusieurs années, le professeur Jean Duhaime salue le riche héritage laissé par son ami juif décédé le 15 février. Complice de ce pionnier du dialogue judéo-chrétien, le théologien catholique dévoile certaines des motivations les plus profondes de Victor Goldbloom pour promouvoir le dialogue entre les religions.
Les deux hommes se connaissaient depuis une vingtaine d’années. Ils étaient engagés au sein du Dialogue judéo-chrétien de Montréal. Victor Goldbloom a consacré de nombreuses années de sa vie à aplanir les différends qui pouvaient subsister entre les juifs et les chrétiens. Sa route et celle du professeur Duhaime, spécialiste de la Bible hébraïque et du judaïsme ancien, étaient appelées à se croiser.
«Ce que j’ai apprécié beaucoup de Victor était cette capacité d’essayer de comprendre le point de vue de l’autre», confie le professeur émérite de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal. «Ce n’était pas un idéologue. Il avait des convictions fortes et voulait faire valoir son point de vue, mais en étant à l’écoute de l’autre. Pour lui, le dialogue s’établissait en commençant sur le plan humain.»
Réparer le monde
Selon le théologien, le docteur Goldbloom parlait somme toute assez peu de sa spiritualité, même s’il était clair qu’il avait une «foi inébranlable» et qu’à ses yeux «Dieu est source de la vie». Des convictions, croit-il, qui motivaient ses actions.
«Son engagement était conditionné par le respect pour la création et les êtres humains. Dans la mystique juive d’Isaac Louria (XVIe siècle), on retrouve l’idée de réparer le monde. Pour lui et pour une partie de la communauté juive dans laquelle il s’insère, [cette réparation] se fait par des œuvres de justice et de solidarité.»
«Il nous répétait assez souvent que son engagement était pour améliorer le monde. Il n’y avait pas de prétention dans cette affirmation. Je pense que c’est ce qui le motivait sur le plan spirituel: l’idée qu’on mette ses talents au service de l’ensemble de la société, pas juste de son petit groupe spirituel», poursuit le professeur Duhaime, précisant que pour son ami, «la paix sociale était la conséquence du dialogue», une idée qui était véritablement «l’axe central» de ses engagements.
Décédé à l’âge de 92 ans, il y a un grand contraste entre la perception sociale des juifs dans le Québec de l’enfance de Victor Golbloom et le Québec d’aujourd’hui. «Pour lui, le Québec n’est pas une société actuellement antisémite, dit Jean Duhaime. Il constatait cependant de l’ignorance et des préjugés à l’endroit des juifs.»
Patience et conviction
Le professeur retraité se rappelle de la grande patience de Victor Goldbloom et évoque un homme qui savait garder son calme et manifester son désaccord avec respect.
«Il n’insultait jamais personne. Il pouvait affirmer respectueusement son désaccord, mais toujours de façon très polie, s’en prenant aux idées et non aux personnes», dit-il.
Deux sujets suscitaient davantage sa désapprobation au cours des dernières années. D’une part, le débat sur les politiques d’Israël «le choquait».
«On sentait bien des irritations chez Victor. Pour lui, on pouvait critiquer le gouvernement israélien, mais on ne pouvait pas remettre en question le droit de l’État d’Israël à exister. Lui-même s’abstenait de juger car, disait-il, il faudrait être sur place», relève Jean Duhaime.
Puis il y a eu le débat sur le projet de Charte des valeurs au Québec en 2013. Pour celui qui fut le premier juif à devenir ministre au sein d’un gouvernement québécois, nul besoin de faire taire les religions pour afficher la neutralité de l’État.
«Il voyait les religions comme des forces et des soutiens pour plusieurs personnes, il disait qu’elles contribuent souvent au développement de notre société. À ses yeux, on doit garder un espace et une place pour la reconnaissance de l’apport des groupes religieux.»
Victor Goldbloom confiait parfois à certains collaborateurs qu’il aurait aimé que le dialogue entre les religions progresse plus rapidement, révèle le professeur Duhaime, assurant que ses années en politique active se sont chargées de lui enseigner la patience.
«Victor répétait souvent qu’on pouvait avoir des rêves, mais qu’il faut progresser patiemment.»
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*Modifié le 3 mars 2016 à 11 h 02.