Novembre, mois des morts. Et ces temps-ci, mois des débats sur la mort. Car simplement mourir ne suffit plus: le trépas se module désormais dans un contexte légal changeant et pose de nouveaux défis aux Églises. Les funérailles à l’église catholique, elles, font de la résistance et rappellent qu’elles nécessitent encore, tout de même, quelques prérequis… Un enjeu sur lequel les positions des évêques canadiens divergent et où le légalisme confronte la miséricorde à tout vent. Par-delà cette dichotomie, quid de l’entre-deux? Nous avons abordé la question avec deux experts de la question.
À 39 ans, Cory Andrew Labrecque est le nouveau spécialiste en bioéthique catholique engagé par la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. Il a suivi de près les discussions des dernières semaines entourant l’accès ou non à des funérailles catholiques pour les Canadiens qui ont recours à l’aide médicale à mourir.
«Pour moi, la question consiste à se demander si on peut envisager un scénario où il est possible de célébrer les rites funéraires sans donner l’impression au public qu’on approuve le geste posé», explique-t-il, faisant allusion à l’argumentaire de certains évêques canadiens qui craignent que de permettre la célébration des funérailles à l’église soit source de scandale, une notion à considérer dans l’éthique catholique.
Le professeur Labrecque rappelle que pour le magistère, la légalité d’une action n’a jamais assuré sa moralité. C’est ainsi que l’Église continue de s’opposer tant à l’avortement qu’à l’aide médicale à mourir.
«L’Église est clairement contre. C’est immoral. Mais dans la tradition catholique, il subsiste beaucoup d’espace pour la compassion et l’accompagnement», soulève-t-il.
Pécheurs manifestes
Dans le canon 1184 de son Code de droit canonique, l’Église catholique énonce trois situations qui peuvent empêcher un défunt d’avoir accès à des funérailles à l’église. Ainsi, ceux qu’elle considère comme des apostats et des hérétiques en sont privés, tout comme ceux qui ont recours à l’incinération comme manière de rejeter la foi chrétienne.
Rappelons au passage que le Saint-Office a levé en 1963 l’interdiction de célébrer des funérailles pour les personnes qui choisissent la crémation. Le 25 octobre dernier, la Congrégation pour la doctrine de la foi a rappelé que la crémation reste permise aux yeux de l’Église, même si elle préfère l’inhumation.
Il reste donc une troisième catégorie, celle des «autres pécheurs manifestes» pour qui les funérailles ecclésiastiques seraient source de «scandale public des fidèles». Le bioéthicien estime que dans le cas de l’aide à mourir, c’est cette catégorie qui pourrait s’appliquer.
Il rappelle toutefois que dans l’évaluation des situations, il faut tenir compte de la compétence de la personne au moment de poser son geste ou de prendre une décision. Ainsi, l’Église peut accorder des funérailles lorsqu’il y a un suicide dans la mesure où il subsiste un doute sur la compétence réelle de la personne au moment de passer à l’acte. On tient ainsi compte des avancées médicales et de certaines notions, comme la détresse psychologique.
Le professeur Labrecque croit que des funérailles continueront d’être accordées à des personnes ayant eu recours à l’aide médicale à mourir, au même titre que celles qui se sont enlevées la vie. «On ne sait jamais si la personne souffre de dépression, et où situer exactement son intention et sa compétence à ce moment», dit-il. Il anticipe toutefois des approches variées selon les territoires et les évêques.
Par ailleurs, le libellé du canon 1184 laisse envisager une certaine flexibilité dans l’appréciation des cas, puisque le refus des funérailles, «à moins [que les personnes qui n’auraient pas accès à ces funérailles] n’aient donné quelque signe de pénitence avant leur mort», ouvre la porte à un certain bénéfice du doute.
Déontologie des sacrements
Au Séminaire de Québec, le professeur Laurent Côté est expert en déontologie des sacrements, ce qu’on appelait autrefois les bonnes mœurs des sacrements, la «moralia sacramentorum». C’est-à-dire qu’il se spécialise en tout ce qui concerne les droits et devoirs associés aux pratiques sacramentelles.
Il rappelle que ces pratiques se déclinent en trois niveaux. Le premier et le plus élémentaire concerne l’habilité, la capacité à célébrer le sacrement. Le second touche à sa pratique par rapport à la politique commune. Autrement dit, toutes les règles qui régissent sa pratique. «Oui, par exemple, on peut baptiser ce bébé, mais ça rime à quoi? Il faut aussi l’insérer socialement, communautairement, ou ecclésialement», indique le prêtre. Enfin, le troisième niveau concerne tout ce qui ne relève «pas juste du by the book». «Il est question d’accueil, du bonheur à faire les choses, d’être à la fois dans la beauté et la vérité», explique-t-il. «En gros, ce n’est pas tout d’avoir un steak! Encore faut-il qu’on le mange en bonne compagnie et qu’il soit bien assaisonné!», dit-t-il pour illustrer son propos.
À ses yeux, l’argument canonique de la peur du scandale mérite qu’on s’y attarde lorsqu’il est question de refuser un sacrement. Reconnu pour son langage coloré et imagé, il recourt cette fois à une métaphore biblique pour s’expliquer.
«Malheur à celui par qui le scandale arrive. Mais il y a d’une part des pharisiens. Et d’autre part, le scandale des faibles, c’est-à-dire ceux pour qui [la célébration d’un sacrement ou d’un rite] deviendrait une occasion de chute. Quand il y a une pierre dans le chemin, certains vont trébucher. Mais il y en a qui aiment mettre des pierres sur le chemin car ils aiment s’offusquer. Et à la fin, c’est autre chose que la vérité qu’ils sont en train de défendre. Si tu ne veux jamais scandaliser les pharisiens, tu n’avanceras jamais», dit le professeur.
«Mais on ne doit pas penser que les faibles ne peuvent être éduqués. Ils peuvent grandir. Prenons le cas de la communion aux divorcés et remariés: la notion de scandale joue beaucoup. Les gens pourraient dire: ‘ça y est, le mariage ne vaut plus rien’. Mais apprenez à dire que ce n’est pas ça que vous voulez dire! Il faut savoir se montrer pédagogue. Mettre des barrières dès le départ, c’est comme si on avait jeté la serviette du côté de l’éducation. C’est ça le problème», poursuit Laurent Côté.
Il se rappelle encore de la réponse d’une dame qui souhaitait inscrire son plus jeune garçon au Séminaire de Québec il y a plusieurs années. Au registraire, on lui répondit que c’était impossible car il ne restait plus de place. La dame, agacée, avait rétorqué que chaque fois qu’elle a eu l’un de ses quatorze enfants, la famille croyait qu’il était impossible d’en loger davantage. «On pensait qu’il n’y avait pas de place, mais chaque fois qu’un enfant arrivait, il rentrait, il y avait de la place», avait-elle dit. Et son garçon avait étudié au séminaire.
Mais gare aux raccourcis, avertit le professeur: de brandir bêtement la miséricorde en tout temps peut aussi relever d’une attitude pharisienne. Revenant aux trois niveaux évoqués – la capacité, les règles et la manière d’être – l’abbé Côté indique que l’Église doit se mouvoir à la fois dans les trois registres, comme un tout «organique», selon les cas. Et que cela vaut autant pour les légalistes que les permissifs.
«Il faut savoir dire : ‘Je te dis tu es capable et qu’on va t’aider à être capable, et tu n’auras pas besoin du suicide assisté. Je ne croirai jamais que tu es enfermé dans un tombeau avant de mourir’. Alors, le scandale est-il si important? Bof. Il y a des réalités qui sont toujours présentes. Savoir composer avec ces réalités, c’est ça la vraie miséricorde. La miséricorde, c’est empêcher le fossé de se creuser. De faire mienne ta douleur», insiste le professeur.
«Il y a une parole magistérielle qui se met en boîte en s’engageant sur un terrain comme celui-là, croit-il. ‘Mais dis seulement une Parole et je serai guéri.’ Passons d’une Église pleine d’institutionnalisation à une Église du cœur. Mettons en contact avec le mystère. Et disons: ‘inquiétez-vous pas, il y a de la place’. Ce qui est profond, c’est vrai ou ça ne l’est pas. Quand tu le nommes, l’autre est guéri. Dis seulement une parole. Mais ne la dis pas, et je vais rester avec mes maladies…»
Refus de la CECC
Nous avons également voulu aborder la question avec l’Office national de liturgie (ONL), qui relève de la conférence épiscopale, mais le secrétariat général de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) a refusé que nous parlions au directeur de l’ONL. «La CECC n’a pas de document ou de balise par rapport à ça», a tout de même indiqué le directeur des relations avec les médias, René Laprise.