Pour le prêtre et intellectuel belge Gabriel Ringlet qui était de passage au Québec ces derniers jours, si une euthanasie doit avoir lieu, mieux vaut ne pas la déconnecter des soins palliatifs. Ces propos surviennent alors qu’une guerre de mots met aux prises le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, et les médecins des soins palliatifs du CHUM qui n’ont pas l’intention de pratiquer des euthanasies comme le prévoit la nouvelle loi québécoise qui entrera en vigueur en décembre.
Le père Ringlet reconnaît que plusieurs médecins s’opposent à l’euthanasie. « Il y a notamment un certain nombre de médecins qui travaillent dans des unités palliatives qui refusent que l’acte d’euthanasie soit posé là », dit-il en évoquant la réalité belge.
« Alors que là où je suis, à la clinique Saint-Pierre, on souhaite au contraire que si euthanasie il doit y avoir, il ne faut jamais la déconnecter des soins palliatifs. Au contraire : c’est une garantie qu’on est suffisamment lent, au sens où on a exploré toutes les autres voies, et que c’est vraiment faute d’une autre solution satisfaisante qu’on arrive à cette décision-là », laisse-t-il tomber.
Le père Ringlet évoque la consternation de médecins qui ont mal vécu le suicide de patients dans des centres de soin, des patients qui n’avaient pu trouver l’accompagnement souhaité dans leur quête.
« Récemment deux médecins étaient complètement catastrophés en se disant : quand même, c’eut été beaucoup mieux l’euthanasie accompagnée, discutée avec tout un entourage, l’équipe médicale, les proches et le patient, plutôt que de voir finalement le patient aller se tuer seul et presque toujours dans de très mauvaises conditions, non seulement de solitude psychologique, mais parfois de très mauvaises conditions matérielles », décrit-il.
À la défense de la nuance
Depuis plusieurs années, Gabriel Ringlet s’illustre comme l’une des principales voix catholiques dans le monde francophone en matière d’euthanasie. Loin de recracher un discours de convenance, cet ancien vice-recteur de l’Université de Louvain, auteur et docteur en journalisme, propose plutôt une voie médiane, nuancée. Quitte à bousculer sa propre Église.
« Mon grand combat si j’ose dire, c’est de refuser toute position idéologique », confie-t-il.
Assis sur banc face au fleuve Saint-Laurent, il s’exprime calmement, avec toute l’exactitude qui sied à un sujet si grave.
« Dire ‘non’ par principe, ce qui est la position de l’Église officielle, cela me dérange. Tout comme dire ‘oui, cela va de soi’, par principe. Parce qu’aucune des deux n’est dans la vérité de la souffrance extrême. »
Cette souffrance extrême, le prêtre septuagénaire la côtoie depuis plusieurs années, à la clinique Saint-Pierre à Ottignies, où il accompagne des patients aux soins palliatifs. Et depuis environ trois ans, devant la complexité de demandes d’euthanasie formulées par certains d’entre eux, il est appelé en renfort pour se pencher sur ces cas où patient, famille et personnel médical se retrouvent « face au mur », devant une impasse totale.
C’est ainsi que peu de temps avant de s’envoler pour le Québec, il a été confronté au cas d’une femme qui exprimait le souhait de mourir.
« Elle était assez jeune encore. C’était terrible pour son mari et ses deux fils, qui en pleurant disaient : ‘elle souffre trop, nous comprenons, nous comprenons’. Nous avons rarement vu dans l’équipe une famille aussi respectueuse les uns des autres, vis-à-vis de l’équipe médicale. Sans pression d’aucune espèce et avec une très grande humilité, nous étions en train de vivre le drame. Pour la maman, c’était un soulagement qu’elle réclamait depuis des mois. Pour le père et les deux fils, c’était extrêmement dur à encaisser. Ils auraient tellement souhaité une autre fin de vie. »
Des cas similaires, le père Ringlet en a vu plusieurs au cours des dernières années. Son nouveau livre qui parait ces jours-ci en Europe et en Amérique du Nord en relate quelques-uns. Que ce soit celui d’une grand-mère que les petits-enfants refusent mordicus de laisser partir, ou celui de cette femme dont les enfants désirent au contraire hâter le moment de la mort, aucun ne se règle grâce à une formule et des réponses toute faites.
« La souffrance extrême demande la plus grande attention, la plus grande nuance. Alors, entre le ‘non jamais’, ou le ‘oui bien sûr’, sans aucun recul, je n’arrive pas à réconcilier ces deux extrêmes. Je pense que la voie est beaucoup plus médiane », réitère le père belge.
Une voie médiane qu’il situe d’abord dans la réalité des situations vécues et dans son expérience d’accompagnement. À la clinique Saint-Pierre, par exemple, l’accompagnement vers l’euthanasie se fait à travers ce qu’il qualifie « d’alliance » entre le patient, son entourage et l’équipe médicale. Bien qu’elle ne soit pas exigée par la loi, une cellule d’aide à la décision et à la responsabilité éthique se réunit et permet à tous ceux qui ont fréquenté de près le patient de prendre la parole, d’exprimer ce qu’ils ressentent et de confirmer que le patient souhaite ardemment s’engager dans cette voie.
« Le patient confirme que sa demande est répétée, confirme que nous avons exploré toutes les autres voies. Moi ça m’aide beaucoup : qu’il ne s’agisse jamais d’acte isolé et non concerté », insiste-t-il.
Le désaccord catholique
Sa position lui attire périodiquement des critiques chez les catholiques qui aimeraient plutôt le voir réaffirmer avec fermeté les positions magistérielles officielles. Mêmes les organisateurs de sa venue des derniers jours au Québec confiaient qu’ils doivent demeurer prudents dans le choix des mots entourant ses conférences et activités promotionnelles pour éviter toute mésinterprétation. Gabriel Ringlet interpelle certes en raison du simple fait qu’il accompagne bel et bien des gens jusqu’à la mort médicalement provoquée, mais aussi parce qu’en tant que théologien moraliste, il invite l’Église à un dialogue précis sur cet enjeu.
« Nous ne nous trouvons plus devant des générations d’évêques qui disent qu’il faut offrir sa souffrance. Non. Ils sont très conscients qu’il existe des situations de souffrance irrépressible. Donc, on fait le même diagnostic sur le fait qu’on ne peut pas laisser la personne comme ça », souligne le père Ringlet. Il questionne cependant la proposition de sédation palliative qui endort tout de même définitivement. À ses yeux, cette proposition pose le même problème éthique que l’euthanasie.
« La sédation coupe la relation. Ce qui pose problème par rapport à la philosophie des soins palliatifs qui est de garder la relation jusqu’au bout en maîtrisant la souffrance. Donc là on coupe l’un des deux termes, explique-t-il. Que je donne l’euthanasie ou la sédation, je construis la mort de l’autre sciemment. Sciemment ! Je sais que la mort est au bout. Avec l’euthanasie, c’est tout de suite. Avec la sédation, de manière reportée, de manière diluée. Éthiquement, l’un est aussi grave que l’autre. »
D’un geste lent, le doigt au ciel, il martèle qu’on entre alors dans le registre de la transgression « très grave ».
« Il faut oser dire que c’est une transgression fondamentale. Est-ce qu’il existe des situations dans la vie où, face au mur, en conscience, on doit poser une transgression fondamentale ? Je demande simplement – surtout de ne pas minimiser l’euthanasie – mais je demande qu’on dise aussi que la sédation est une transgression fondamentale. »
Autrement dit, l’Église doit encore chercher et dialoguer pour approfondir cet enjeu. Mais pour Gabriel Ringlet, la sédation parfois proposée ne règle aucunement la question.