Il est de «plus en plus évident» que l’introduction de l’aide médicale à mourir dans le système médical canadien ne fait pas que saper les plans maintes fois déclarés par les gouvernements pour améliorer les soins palliatifs, mais qu’elle nuit activement au système de soins palliatifs déjà inadéquat du pays, estiment des experts. Certains patients choisissent de mourir plutôt que de continuer à vivre sans soins palliatifs adéquats.
Par Terry O’Neill
Le Dr Neil Hilliard, expert en soins palliatifs d’Abbotsford, en Colombie-Britannique, a déclaré que l’introduction par les établissements de santé et les centres de soins palliatifs de l’aide médicale à mourir (AMM), suite sa la légalisation en juin 2016, a entraîné une réduction des véritables services de soins palliatifs.
«C’est comme un cancer qui se développe au sein des programmes de soins palliatifs», a déclaré le Dr Hilliard qui, en 2017, a démissionné de son poste de directeur médical du programme de soins palliatifs de l’autorité sanitaire de Fraser en raison de son opposition à l’insistance des responsables envers l’AMM.
«L’AMM commence à prendre le dessus dans une certaine mesure. Mais encore seulement 5 % des gens choisissent l’AMM; 95 % préféreraient vivre bien jusqu’à ce qu’ils meurent naturellement.»
Accès aux soins palliatifs
Les commentaires de M. Hilliard abondent dans le même sens que de récents témoignages de deux des principaux médecins de soins palliatifs du Canada devant un comité mixte spécial du Parlement qui examine la législation sur l’aide à mourir au pays.
La Dre Leonie Herx, chef du service de médecine palliative de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario, et présidente sortante de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs, a témoigné le 25 avril que seulement 30 à 50 % des Canadiens qui ont besoin de soins palliatifs y ont accès, et qu’un «très petit nombre», soit environ 15 %, ont accès à des soins palliatifs spécialisés.
«Lorsque les besoins en soins palliatifs des patients ne sont pas satisfaits, la souffrance physique, émotionnelle et spirituelle qui s’ensuit peut les amener à se sentir déprimés, désespérés et à être un fardeau pour les autres, ce qui correspond à bon nombre des facteurs à l’origine des demandes d’AMM», a déclaré Mme Herx. «Des soins palliatifs plus précoces peuvent soulager la souffrance avant qu’elle ne devienne irrémédiable.»
«Effets délétères»
Elle a souligné que dans sa décision historique de 2015, Carter c. Canada, qui a levé l’interdiction d’aide au suicide, la Cour suprême du Canada a discuté des impacts possibles de la mise en œuvre d’une loi pour la mort assistée avant de garantir l’accès universel aux soins palliatifs sur le développement d’un système de soins palliatifs solide.
«Avec maintenant près de six ans d’expérience vécue, nous avons constaté des effets délétères importants de l’impact de la mise en œuvre de l’AMM sur les soins palliatifs, notamment la diminution des ressources et l’augmentation de la détresse vécue par les cliniciens en soins palliatifs», a déclaré Mme Herx.
Selon elle, l’intégration de l’euthanasie dans les soins palliatifs par certaines autorités sanitaires a conduit des infirmières en soins palliatifs à quitter leur emploi parce qu’elles se sentaient incapables de fournir des soins palliatifs. Et en Ontario, par exemple, certaines infirmières praticiennes en soins palliatifs utilisent leur rôle de soins palliatifs rémunérés à temps plein pour offrir l’AMM.
Détresse morale
De plus, il y a «une détresse morale croissante chez les cliniciens en soins palliatifs en raison de la participation forcée à l’AMM, car certaines autorités sanitaires exigent que l’AMM soit fournie dans les centres et les unités de soins palliatifs sous peine de perdre le financement», a-t-elle déclaré. «Cela entraîne des difficultés de rétention et des départs à la retraite anticipés en soins palliatifs, ce qui accentue et accélère la pénurie déjà critique de médecins spécialistes et généralistes en soins palliatifs.»
De plus, «les cliniciens en soins palliatifs doivent consacrer beaucoup de temps aux questions administratives liées à l’AMM, ce qui les empêche de fournir des soins palliatifs», a déclaré M. Herx, ajoutant qu’il y a «une diminution de l’accès aux lits spécialisés en soins palliatifs lorsque les autorités sanitaires exigent que les hospices et les unités de soins palliatifs admettent des patients dans le seul but d’administrer l’AMM».
Une autre conséquence de l’ajout du suicide assisté aux soins palliatifs est que certains patients ne veulent pas accéder aux services de soins palliatifs parce qu’ils les associent au suicide assisté et craignent que les soins palliatifs accélèrent leur mort ou que l’euthanasie soit pratiquée sans leur consentement.
«Actuellement, les Canadiens ont le droit à l’aide médicale à mourir, mais pas à l’aide médicale à vivre», a déclaré la Dre Herx. «Avoir des soins palliatifs accessibles et de haute qualité doit être un droit universel en matière de soins de santé au Canada.»
Distinguer
La Dre Ebru Kaya, présidente de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs, a déclaré au comité parlementaire, le 28 avril, que le suicide assisté doit être «distinct et séparé» des soins palliatifs afin que ces derniers ne souffrent pas.
«En les séparant, les soins palliatifs peuvent continuer à être la sauvegarde, comme prévu», a-t-elle déclaré. «Les évaluateurs et les prestataires de l’AMM sont en conflit d’intérêts s’ils fournissent des soins palliatifs en même temps. Cela n’empêche pas les médecins de soins palliatifs de pratiquer l’AMM – cependant, ils ne doivent pas fournir des soins palliatifs en même temps que l’AMM pour le même patient.»
Elle poursuit: «Nous avons un besoin urgent d’investir dans des programmes de soins palliatifs qui sont administrés et financés séparément de l’AMM, afin que nous ne soyons pas en concurrence pour les mêmes ressources. De nombreux programmes ont dû détourner leurs ressources déjà limitées pour soutenir les services d’AMM. Cela a rendu encore plus difficile la prestation de soins palliatifs, alors qu’il y a une grave pénurie d’experts en soins palliatifs d’un bout à l’autre du pays et, par conséquent, les patients ont encore moins de chances d’accéder aux soins palliatifs.»