Le président de la Conférence des évêques de France (CEF) a écrit au président français François Hollande pour lui faire part de ses inquiétudes face à un projet de loi concernant le délit d’entrave numérique pour les avortements. Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille, croit que la législation proposée remet en question des droits fondamentaux.
La CEF a rendu publique lundi la lettre de Mgr Pontier datée du 22 novembre, à quelques jours du débat qui doit avoir lieu à l’Assemblée Nationale le 1er décembre.
Plus tôt cet automne, le gouvernement français a présenté une proposition de loi élargissant le délit d’entrave au monde numérique en ce qui concerne les interruptions volontaires de grossesse (IVG). Si la proposition est acceptée, elle modifierait une loi de 1993 et permettrait de condamner des sites internet pour «induire délibérément en erreur, intimider et/ou exercer des pressions psychologiques ou morales afin de dissuader de recourir à l’IVG». À quelques mois des élections présidentielles françaises, elle a donné lieu jusqu’ici à des débats acrimonieux.
Les partisans de la proposition indiquent qu’elle vise surtout des sites Web qui, sous des apparences neutres, font tout pour décourager les femmes d’opter pour l’avortement, n’hésitant pas à exercer des pressions sur elles grâce à la désinformation. Selon la ministre des Familles, Laurence Rossignol, il est temps que le gouvernement réagisse face à ces sites qui abusent des femmes en leur offrant des informations biaisées. Les sanctions prévues vont jusqu’à deux ans d’emprisonnement et une amende de 30 000 euros.
Les opposants estiment que la proposition remet en question certaines libertés fondamentales. C’est notamment le cas des évêques français.
La détresse des femmes
Selon Mgr Pontier, la loi française ne tient plus suffisamment compte de la détresse des femmes face à l’avortement, surtout depuis l’abolition plus tôt cette année du délai de réflexion d’une semaine qui était obligatoire avant une IVG.
«Autrement dit, les femmes ne trouvent plus de soutien officiel à leur questionnement en conscience», écrit le président de la CEF. Selon lui, les sites internet sont essentiels pour aider les femmes confrontées à cette réalité.
«Certains de nos concitoyens, réunis en associations, ont décidé de consacrer de leur temps, notamment par le biais des instruments numériques, à l’écoute des femmes hésitantes ou en détresse par rapport au choix possible d’avorter. Ils compensent ainsi l’absence d’organisation de ces lieux d’écoute», dit-il, affirmant que le succès populaire de ces sites démontre qu’ils répondent à un besoin.
«Bien des femmes s’adressent à ces sites après un avortement parce qu’elles ont besoin d’un lieu pour verbaliser ce qui a été vécu. D’autres persévèrent dans leur projet d’avorter, d’autres enfin décident de garder leur enfant. Cette diversité d’expression et de comportement est rendue possible par l’espace de liberté que constituent les sites mis en place. Leur positionnement incite à la réflexion, et c’est justement ce qui leur est reproché. Il faudrait qu’ils adoptent d’emblée un positionnement favorable à l’avortement. Or, un sujet si grave ne peut être enfermé dans des postures militantes», ajoute Mgr Pontier.
Droits et libertés
«Faudrait-il nécessairement exclure toute alternative à l’avortement pour être considéré comme un citoyen honnête?», demande-t-il. «Le moindre encouragement à garder son enfant peut-il être qualifié sans outrance de « pression psychologique et morale »?»
Selon l’archevêque de Marseille, l’idée même d’instaurer un délit d’entrave numérique aurait une incidence directe sur le choix des femmes, rendant l’interruption de grossesse moins «volontaire», «c’est-à-dire de moins en moins libre».
«Surtout, elle constituerait, malgré ce qu’affirment ses dépositaires, un précédent grave de limitation de la liberté d’expression sur internet. Une limitation d’autant plus grave qu’elle touche à des questions de liberté de conscience. Cela me semble être une atteinte très grave aux principes de la démocratie», s’inquiète Mgr Pontier.
Le président de la CEF termine sa lettre en demandant à François Hollande de ne pas permettre à la proposition d’«arriver à son terme».