Plus de la moitié des catholiques canadiens se disent pro-choix, alors que seul un catholique sur quatre se qualifie de pro-vie. En revanche, tant la population en général que les catholiques canadiens voient d’un mauvais œil les nouvelles exigences en matière d’avortement pour le programme d’Emplois d’été Canada.
Ces constatations émanent d’un sondage réalisé par StrategyOne pour le compte des Chevalier de Colomb. La confrérie catholique a publié les résultats en marge de la Marche nationale pour la vie qui se tenait à Ottawa le 10 mai.
La lutte contre l’avortement fait partie depuis longtemps des priorités des Chevaliers de Colomb. Dans le communiqué de presse annonçant les résultats du sondage, le fait que les catholiques canadiens sont nettement minoritaires à s’identifier comme étant «pro-vie» au Canada était cependant passé sous silence. Le communiqué mettait plutôt l’accent sur les éléments qui appuient les positions des Chevaliers de Colomb.
«La majorité (51%) des Canadiens estiment qu’il est injuste de devoir soutenir l’avortement pour participer au programme d’emplois d’été – soit près du double des personnes qui estiment que l’exigence est juste (27%)», indiquait le communiqué daté du 9 mai.
L’accent était effectivement mis sur la perception des Canadiens par rapport à la nouvelle clause que les PME, groupes et organismes qui désiraient se prévaloir du financement d’Emplois d’été Canada devaient signer cette année. Celle-ci indiquait que l’emploi créé et le mandat de l’organisme respectent les droits de la personne ainsi que «les valeurs sous-jacentes à la Charte des droits et libertés et la jurisprudence qui en découle». Les «droits reproductifs et sexuels» des femmes et «l’accès à des avortements sûrs et légaux» font partie de ces droits, précisait le formulaire.
Le gouvernement fédéral a procédé à cette modification cette année après avoir été critiqué par certains groupes par le passé pour avoir financé des emplois au sein d’organismes farouchement opposés à l’avortement.
Le sondage constate que près de la moitié (47%) des Canadiens «affirment qu’une telle exigence est discriminatoire».
«En ce qui concerne l’avortement proprement dit, la plupart des Canadiens s’identifient comme étant « pro-choix » (62 %), mais un pourcentage encore plus élevé – près des deux tiers (65 %) – souhaiterait que l’avortement soit limité aux trois premiers mois de grossesse», indique aussi le sondage.
Ce qui fait dire aux Chevalier de Colomb que «les Canadiens s’opposent fortement à l’exigence en matière d’avortement dans le cadre du programme d’emplois d’été» et «[qu’] environ les deux tiers limiteraient également l’avortement aux trois premiers mois de grossesse, au plus».
Une majorité de catholiques «pro-choix»
Afin de confirmer que les conclusions tirées par la confrérie étaient représentatives du sondage, Présence a demandé et obtenu la version détaillée. On constate effectivement que malgré une opinion publique canadienne plutôt pro-choix, les réticences sont grandes face à ce que cette position devienne une condition sine qua non au financement fédéral.
Mais parmi les données qui n’étaient pas mentionnées dans le communiqué de presse de la confrérie, il y a celles concernant l’adhésion de ceux qui s’identifient comme des catholiques canadiens à une idéologie pro-vie ou pro-choix.
Ainsi, 53% des répondants catholiques se disent pro-choix, tandis que 26% se disent pro-vie, et 21% ne sont pas certains.
Par ailleurs, 22% des répondants catholiques croient que l’avortement devrait être permis pour une femme à n’importe quel stade de la grossesse, alors que 33% des catholiques estiment qu’il devrait seulement être autorisé en cas d’agression sexuelle, d’inceste, ou en cas de danger pour la vie de la mère.
Quant à ceux qui croient que l’avortement ne devrait jamais être permis peu importent les circonstances, le taux de réponse des catholiques est le même que celui de la population en général, soit 7%.
«Pas si noir et blanc»
Appelé à réagir à ces données, Cory Andrew Labrecque, professeur agrégé en éthique théologique et bioéthique et titulaire de la Chaire de leadership en enseignement en éthique de la vie à l’Université Laval a dit qu’il n’était «pas étonné du tout».
Il a toutefois tenu à nuancer les catégories pro-vie et pro-choix.
«C’est toujours un défi d’interpréter ces résultats. On ne sait pas ce que les répondants entendent par pro-choix ou pro-vie: sont-ils contre l’avortement mais pour les armes à feu et pour la peine capitale? Ce qui est pro-choix et pro-vie est complexe. Si je suis pro-vie, est-ce que je suis contre le choix dans les contextes autres que l’avortement? Si je suis pro-choix, est-ce que je crois simplement que la vie est jetable? Ce n’est pas si noir et blanc», a-t-il mis en garde.
Ces données permettent toutefois de mesurer l’écart entre les positions du magistère épiscopal canadien en matière de bioéthique et ce que pensent réellement les catholiques canadiens. Doit-on pour autant parler d’échec pour les autorités catholiques?
«Le fait que 21% ne soient pas sûrs, je pense que ce n’est pas un échec, mais un défi pour l’Église catholique. C’est un appel à bien clarifier les catégories pro-vie et pro-choix. Quels sont les droits et devoirs ici. C’est un défi au niveau de la sémantique», croit l’expert.
Selon lui, l’Église est assise sur une sagesse pluriséculaire qui peut apporter un éclairage pertinent sur des enjeux bioéthiques contemporains. Mais cela nécessite un plus grand effort de communication et de transmission.
«C’est toujours un danger, un risque, quand l’enseignement ou la sagesse n’est pas bien disséminé. Par exemple, combien de catholiques connaissent vraiment les encycliques? C’est toujours un danger quand les concepts qui nous guident ne sont pas transparents, pas bien communiqués. Et c’est la responsabilité de qui? Les textes sont là, mais que fait-on avec ça?», demande-t-il, laissant entendre que si les autorités catholiques ne sont pas satisfaites du positionnement des fidèles, elles doivent se poser ces questions.
Il propose qu’on explore la possibilité de tenir des forums pour bien clarifier ces concepts. Ce qui pourrait éviter qu’ils deviennent bêtement «figés» ou qu’ils soient instrumentalisés par des «influences politiques».
Le sondage a été commandé par les Chevaliers de Colomb et réalisé au moyen d’un sondage en ligne de 15 minutes mené par StrategyOne en anglais et en français entre le 13 avril et le 1er mai 2018, auprès de 1837 répondants canadiens représentatifs au niveau de l’âge, du sexe, de l’ethnicité, du revenu et de la région. La marge d’erreur est de +/- 2,18%. 516 répondants se disaient catholiques.