Vendredi soir dernier, dans les locaux de la libraire Pauline, sur la rue Masson à Montréal, une vingtaine de personnes se sont donné rendez-vous afin d’entendre Marie-Jo Thiel, auteure du livre, de 717 pages, L’Église catholique face aux abus sexuels sur les mineurs (Novalis, 2019). Médecin et professeure d’éthique à la Faculté de théologie de l’Université de Strasbourg, elle a répondu aux questions de Mgr Noël Simard, évêque de Valleyfield, qui animait la soirée.
Son livre, elle l’a porté durant 20 ans. «C’est un ouvrage qui m’a été inspiré par mes contacts avec des victimes dans les années 1990. Des victimes qui me demandaient quoi faire.»
Parmi elles, des enfants abusés par un proche – ce qui est le plus fréquent – par un clerc ou par d’autres personnes.
«Je ne savais pas quoi répondre. Il n’y avait pas de ressources. Il y avait des livres en psychologie. Ils ne répondaient absolument pas à ces questions à ce moment-là », a-t-elle expliqué. «Nous n’avions pas grand-chose à se mettre sous la dent.»
Elle a également «rencontré des personnes qui ont abusé, qui parfois ont été en prison et que nous retrouvions dans les paroisses et les séminaires».
Bien définir les choses
L’objectif du livre, selon Mme Thiel, était d’aider à comprendre ce qui se passe.
«Pour moi, c’était le premier but, a-t-elle dit. On ne peut pas aider, on ne peut pas prévenir si l’on ne comprend rien à la chose. Seulement, comprendre c’est une chose, mais savoir comment les prévenir c’est autre chose.»
L’auteure précise que pour bien faire comprendre ce dont il est question dans son livre, elle utilise le langage du droit qui définit bien les mots utilisés lorsque nous parlons de ce genre d’abus.
La définition des mots est capitale pour Mme Thiel. À une remarque de Mgr Noël Simard qui précisait que dans son diocèse on utilise notamment l’expression «inconduite sexuelle» [ndlr: le diocèse de Valleyfield utilise aussi l’expression «abus sexuel» dans ses pratiques], Mme Thiel a répondu que l’expression peut paraître légère. Ce qui fut l’occasion d’évoquer le poids des mots choisis lorsqu’il est question des abus sexuels commis par des membres du clergé.
«Dans l’Église on utilise aussi le mot péché. Ce qui est très dangereux! Ce n’est pas que je sois contre la notion de péché. Cependant, il y a des gens qui se réfugient derrière [cette] notion plutôt que de reconnaître que c’est un crime », a-t-elle souligné en guise d’exemple.
Marie-Jo Thiel précise que lorsqu’elle parle d’abus elle se réfère au pape François. «Le pape a eu l’immense mérite de convoquer une trilogie: abus sexuel, abus de pouvoir, abus de conscience.» Avant l’abus, il y a d’abord, a détaillé l’auteure, «une emprise, un isolement, une distorsion cognitive» que l’agresseur va tenter de réaliser chez sa victime afin de «mettre l’autre sous [sa] coupe et en dernière instance [l’] abuser sexuellement. C’est une instrumentalisation de l’autre. Très souvent dans les abus sexuels, l’autre n’existe pas. J’ai connu un prêtre qui a abusé 60 victimes et il n’a aucun remords. Ce prêtre on l’a déplacé.»
La parole libérée?
À une question de Mgr Simard sur les raisons qui expliquent que le silence soit brisé maintenant, Marie-Jo Thiel a évoqué la loi du silence dans l’Église qui reste toujours d’actualité, évoquant même un «aspect systémique».
Elle a aussi souligné le fait que ceux qui étaient chargés d’annoncer l’éthique sexuelle et familiale de l’Église, et qui l’ont parfois fait d’une manière «intransigeante», ont eux-mêmes échoué à suivre l’idéal promu.
Elle a affirmé croire que l’exhortation La joie de l’amour (Amoris laetitia) du pape François a marqué un retour en force de la conscience personnelle et a contribué à briser le silence. «La conscience personnelle et le discernement ont toujours eu leur place dans l’Église catholique. Sauf que pendant trente ans, au moins, il n’y avait plus de place, dans cette perspective éthique universaliste, pour discerner.»
Mis à jour à 16 h 43 le 18 juin 2019.
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