«Depuis un peu plus de deux semaines, aucun nouveau cas ne s’est déclaré à la Résidence De La Salle, plusieurs résidents déclarés positifs ont recouvré la santé et le déconfinement suit son cours», indique au téléphone Florent Gaudreault. Le ton du supérieur provincial des Frères des Écoles chrétiennes du Canada francophone est plutôt serein. Plus serein, certainement, qu’il y a deux ou même un mois.
C’est que la Résidence De La Salle, une infirmerie qui appartient à la congrégation religieuse que dirige le frère Gaudreault, a été durement touchée par la pandémie de COVID-19, avec 34 décès.
Le premier décès est survenu le 15 avril, il y a à peine deux mois. Les défunts sont tous des religieux, des frères ou des pères, membres de six congrégations différentes. Parmi eux, dix étaient des frères des Écoles chrétiennes.
Comment expliquer que la pandémie ait fait de tels ravages dans la résidence?
Le frère Gaudreault, 73 ans, un religieux qui a longtemps dirigé la Résidence De La Salle avant qu’elle ne soit confiée à une direction laïque, a souvent entendu des observateurs répéter «qu’il faudrait inspecter davantage les résidences pour ainés afin d’éviter d’autres drames» comme ceux qui sont survenus ce printemps.
«Quand les gens lancent une telle affirmation, ils supposent sans doute que rien de tout cela ne serait survenu si on avait été davantage vigilants. Si on avait mieux supervisé ce qui se passait dans ces établissements». Et c’est sans doute vrai pour certains endroits. Mais il faut avant tout éviter les généralisations, estime le frère, enseignant de profession, puis directeur général du collège Mont-Bénilde de Bécancour.
«Je n’ai ni les renseignements ni l’autorité pour parler de ce qui s’est passé ailleurs. Et je ne peux pas davantage commenter les situations qui prévalaient avant l’épidémie dans les autres résidences pour aînés. Mais ce que je peux affirmer, sans hésitation aucune, c’est que la Résidence De La Salle était et est toujours l’une des résidences pour aînés les mieux gérées et les mieux organisées de tout le Québec.»
«Ce qui y est survenu était tout à fait imprévisible», ajoute-t-il. Même les responsables de la Santé publique, les médecins et les infirmières prêtés durant pas moins de six semaines par le CISSS de Laval n’ont pu expliquer pourquoi la Résidence De La Salle a été si sévèrement touchée.
Une préparation impeccable
Ce n’était pas faute de vigilance ou de supervision, assure-t-il. Il explique que, dès le 12 mars, plus aucun visiteur n’y était admis. Les résidents ne pouvaient se visiter d’une chambre à l’autre et aucun rassemblement n’y était autorisé. La chapelle et la cafétéria ont été fermées quelques jours plus tard. «Sans parler du lavage obligatoire, tous les soirs, de tous les uniformes du personnel et de l’ouverture d’une zone rouge avec du personnel dédié, dès l’apparition des premiers cas.»
L’organisation était telle que lors de leur départ, «les représentants du CISSS de Laval ont rédigé un rapport que je qualifierais de dithyrambique sur la qualité des services offerts à la résidence», indique le frère Gaudreault, provincial de sa congrégation depuis 2016.
Quant aux effectifs, qui dépassaient déjà les normes de base observées dans d’autres institutions, «ils ont été augmentés dès le début de la crise et le salaire de tout le personnel a été majoré de 10 %». Le religieux s’empresse aussitôt d’ajouter que ces augmentations ont été versées «bien avant que le gouvernement ne bonifie les salaires dans ses propres établissements ».
«Ces mesures n’ont pas suffi à empêcher la propagation de la COVID-19 à la Résidence De La Salle», concède le frère Florent Gaudreault.
L’âge et l’état de santé de certains résidents pourraient-ils expliquer, en partie du moins, ce qui s’est passé?
Il a calculé que l’âge moyen des 34 frères et pères décédés était de 90 ans. «Plusieurs d’entre eux étaient déjà très malades. Certains souffraient même de plusieurs cancers.» Bénéficiant déjà de soins importants avant même l’arrivée du virus, d’autres savaient, par leurs médecins, que leur espérance de vie ne serait plus très longue. «Et quelques-uns étaient aux soins palliatifs avant l’éclosion», dit le provincial qui reconnaît tout de même que «s’ils n’avaient pas été infectés, certains seraient toujours parmi nous».
Sans doute ne sera-t-il jamais possible de déterminer avec certitude la façon dont le virus s’est introduit, ni comment il s’est propagé à la Résidence De La Salle, occupée au début de mars par 74 religieux.
«Mais j’ai peine à croire que ce ne soit pas par des membres du personnel qui étaient porteurs, et donc des vecteurs, sans le savoir». Il explique que cela a pris beaucoup de temps avant de «réussir à faire passer des tests à tout le monde». De plus, «dans les premières semaines, il était impossible d’obtenir des masques, des visières et d’autre matériel de protection». Rien n’était disponible pour le privé «et nous comprenions la situation», dit le frère Gaudreault. «Il n’en reste pas moins que cela n’a pas aidé.»
Accompagnement spirituel
Le premier religieux à décéder de la COVID-19 à la Résidence De La Salle est le frère Lucien Rodrigue, un membre de la Congrégation de la Fraternité sacerdotale. Depuis, trois autres membres de son institut sont décédés, huit capucins, cinq montfortains, cinq frères de Saint-Gabriel, dix frères des Écoles chrétiennes et un prêtre de l’archidiocèse de Montréal. Enfin, il y a quelques jours, le frère Georges Picard, un moine bénédictin, y décédait aussi.
«Nous sommes vraiment désolés de ce qui s’est passé, mais je crois pouvoir dire qu’il fut impossible de faire plus et de sauver davantage de malades», dit aujourd’hui le frère Florent Gaudreault.
S’il trouve une consolation dans toute cette épreuve, c’est que «personne n’est mort seul ou oublié pendant la pandémie à la Résidence De La Salle». Il rappelle que c’est la direction de l’infirmerie qui a fait appel aux services de deux religieuses de Mater Dei, une congrégation venue d’Argentine et présente à Saint-Jérôme. «Les religieuses ont assuré, pendant plusieurs semaines, une présence et un accompagnement spirituel qui ont été très appréciés.»
De plus, raconte-t-il, «les infirmières et d’autres membres du personnel ont établi un petit rituel lors des décès». Ils effectuaient, par exemple, le lavement des pieds des défunts afin de «reconnaître leurs efforts dans l’accomplissement de leur mission». On a aussi veillé à déposer un chapelet sur leur poitrine, «pour symboliser leur foi».
Plus tard, lorsque les circonstances et les autorités de la Santé publique le permettront, «il nous restera à célébrer la vie et le dévouement de tous nos confrères partis vers la maison du Père», dit le frère Gaudreault.
Des célébrations auront lieu autour de leurs cendres à Laval, à Québec ainsi qu’à Ottawa, dit-il.
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