«À l’heure actuelle, il y a des éclosions dans des communautés religieuses», confirme la docteure Marie Muñoz-Bertrand, médecin-conseil à la Direction régionale de santé publique de Montréal. «Je parle ici d’éclosions majeures avec plus de 50 % de la communauté qui est affectée. Et des décès.»
Au téléphone, cette médecin rattachée au secteur Prévention et contrôle des maladies infectieuses dit que les autorités sanitaires de Montréal observent «avec une grande inquiétude» ce qui se vit actuellement dans les diverses résidences où habitent des religieux et des religieuses, des milieux qui leur étaient peu connus lorsque qu’a déferlée la première vague de la contagion, au début du printemps.
Depuis le mois d’avril, explique-t-elle, on a mis sur pied une brigade d’agents de prévention et de contrôle des infections depuis le mois d’avril. «Entre les deux vagues, on a visité les milieux pour aînés», principalement les RPA [résidences pour personnes âgées] et les CHSLD, afin de les préparer à une éventuelle deuxième vague.
«C’est durant ce mandat que les résidences des communautés religieuses sont apparues sur notre radar», dit-elle. Rapidement, la DRSP de Montréal a constitué une équipe spécialisée et lui a confié la responsabilité de soutenir les diverses communautés religieuses sur son territoire. La docteure Muñoz-Bertrand tient à préciser – on sent de l’admiration dans sa voix – que cette équipe a notamment été dirigée par une religieuse, sœur Monique Bourget des Sœurs de Sainte-Marcelline, une médecin de retour du Brésil.
«Cette équipe a contacté puis visité une centaine de communautés. Chez celles qui ont accepté notre aide, précise la docteure, on a travaillé à les préparer à la deuxième vague.»
Mais depuis un bon mois maintenant, «ce que l’on fait principalement, c’est de la gestion d’éclosion», confie-t-elle. Ces derniers jours, la situation dans quatre communautés préoccupe grandement les membres de cette brigade spécialisée.
La docteure confie qu’il s’agit de congrégations «que l’on connaît» et que, malheureusement, dans certains cas, son équipe «n’a pas été capable d’établir un contact avec des communautés».
Des enjeux particuliers
Une difficulté rencontrée par les membres de cette brigade affectée à ce groupe a été de découvrir qu’il n’existe pas d’annuaire ou de «registre officiel» des résidences montréalaises où vivent ensemble des membres de congrégations religieuses.
«Dès qu’on parvenait à identifier une communauté , on tentait de la contacter. Mais certaines ne considéraient pas pertinentes nos visites», révèle-t-elle. «Toutes n’ont pas accepté notre offre.»
Quand son équipe accède aux pièces privées et communes, ses membres «émettent alors les mêmes recommandations que pour les RPA ou les CHSLD». À une différence près, indique-t-elle. «Les RPA sont tenues de les respecter. Mais les communautés n’ont pas d’obligations légales à suivre nos recommandations.» Légalement, une RPA au Québec ne pourrait pas refuser une intervention de responsables de la santé publique. «Ces résidences ont des comptes à rendre.» Mais les communautés, elles, «ne rendent de comptes à personne».
La Dre Muñoz-Bertrand et tous les membres de son équipe sont toutefois bien conscients que «la vie communautaire n’est pas vraiment compatible avec l’isolement».
Dans une RPA, explique-t-elle, les gens vivent dans des appartements et, bien souvent, ne se connaissent pas nécessairement. «Mais ici, on a affaire à des personnes unies entre elles par de très forts liens, qui ont l’habitude de mener des activités en groupe, de prendre leurs repas en commun, de prier ensemble.» Ces habitudes ou ces modes de vie rendent donc difficile l’adhésion aux consignes émises par la santé publique. «Mais c’est d’autant plus important de les respecter quand on sait que ces activités présentent des risques importants de propagation.»
C’est à ce moment qu’elle aborde la question des messes auxquelles les membres d’un couvent, d’une résidence ou d’une infirmerie communautaire sont conviées chaque jour. «Qu’arrive-t-il si la personne qui donne la communion est infectée?», demande-t-elle. «C’est arrivé», confie-t-elle. «Ces activités représentent des risques très élevés. On les déconseille fortement.»
Elle reconnaît que les mesures édictées par la santé publique seront aussi très difficiles à suivre durant le temps de Noël. «C’est une fête très importante pour les catholiques. Et je sais que c’est un grand sacrifice qu’on demande aux religieux. Mais pour éviter la transmission, c’est très important de suivre les consignes du ministère [de la Santé et des Services sociaux], notamment dans les milieux de vie pour aînés.»
Donc, pas de célébration. Et pas de réveillon de Noël non plus? «Non… non…», répond-elle.
«J’invite les religieux et les religieuses à vivre leur vie communautaire autrement dans les prochains jours.» La docteure mentionne qu’elle a pu observer dans quelques résidences des initiatives intéressantes comme la retransmission de messes en circuit fermé, ou encore des moments de prière commune alors que chacune ou chacun demeure dans sa chambre, ainsi que des communications entre confrères ou consœurs grâce à des outils technologiques plutôt qu’en personne.
«C’est vraiment pour leur bien qu’on leur propose tout cela», répète la docteure Marie Muñoz-Bertrand, médecin-conseil à la Direction régionale de santé publique de Montréal.
Des réactions
Réagissant aux propos de la docteure Valérie Julie Brousseau qui déplorait hier la nonchalance de certaines communautés religieuses à appliquer les mesures sanitaires, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a reconnu que «la santé publique a travaillé avec des représentants des différentes communautés religieuses» et que «cette collaboration a un résultat positif».
«Nous croyons qu’une très grande majorité de communautés religieuses appliquent les consignes et informent leurs membres afin de prévenir la propagation du virus», a déclaré Robert Maranda, de la direction des communications du MSSS.
«Malheureusement, des exceptions existent et certaines personnes choisissent tout de même de ne pas suivre les consignes sanitaires. Le non-respect de ces consignes est donc une infraction et les services de police peuvent intervenir», a-t-il ajouté.
De leur côté, la Conférence religieuse canadienne (CRC) et l’Association des trésorières et des trésoriers des instituts religieux (ATTIR) ont déclaré que «face à la recrudescence de la pandémie au Québec et au Canada, il est important, plus que jamais, de bien respecter toutes les consignes de la santé publique, et de prendre soin de nous et des autres».
«Le respect des consignes est une obligation», ont indiqué Béatrice Prado, la directrice générale de l’ATTIR, et le religieux Alain Ambeault, directeur général de la CRC, dans une lettre remise à toutes les communautés religieuses. «Il est important de nommer une personne responsable de coordonner les informations et de faire respecter les consignes dans les communautés. Veillez à la protection de tout le monde, à tous les niveaux de la congrégation.»
La lettre commune invite aussi les communautés à «toujours bien documenter toutes les actions mises en place afin de protéger votre personnel et les membres de la congrégation».
«Personne ne souhaite dans l’avenir avoir à rendre de comptes auprès des autorités ou des familles des personnes religieuses parties à cause de la Covid-19.»
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