Élaine Godard est intervenante en soins spirituels. Elle est formée en théologie, en sciences religieuses et en intervention clinique. Elle a œuvré entre autres en milieu hospitalier, mais aussi à titre de célébrante de mariage et de funérailles. Son livre, Franchir le seuil de l’espoir avec dignité, publié chez BouquinBec, représente le fruit de sa longue expérience d’accompagnement et témoigne de sa grande sensibilité aux enjeux humains, cliniques et spirituels qui entourent l’aide médicale à mourir (AMM) au Québec.
Dans son plus récent rapport annuel disponible, la Commission sur les soins de fin de vie (CSFV) faisait état du fait que 5717 Québécois avaient reçu l’AMM en 2023-2024. Cela représentait 7,3 % des décès survenus durant cette période. Il s’agissait aussi d’une augmentation de 9 % comparativement à l’année précédente. La CSFV constate donc que les demandes d’AMM sont en croissance constante depuis 2015, année d’entrée en vigueur des dispositions de la Loi concernant les soins de fin de vie dans laquelle l’AMM se voyait autorisée et balisée.
Une profession balisée par la loi
Le livre de Godard vient d’abord souligner que les intervenant(e)s en soins spirituels (ISS) sont sur la ligne de front en matière d’accompagnement de cette nouvelle réalité sociale, médicale et anthropologique que représente l’AMM. Rappelons que la profession d’ISS a été créée en 2011. Ce titre d’emploi a pris le relais des animateurs de pastorale de la Santé qui, eux-mêmes, avaient succédé aux aumôniers d’hôpitaux. Au-delà du changement de titre, l’année 2011 marqua aussi la fin de l’affiliation confessionnelle. En effet, les ISS sont maintenant strictement des professionnels de la Santé qui ne relèvent plus des Églises et de leurs directives en matière de croyances ou de positions morales. Évidemment, plusieurs ISS demeurent personnellement enracinés dans une tradition religieuse et une communauté de foi. Mais leur approche clinique et leur éthique professionnelle exigent désormais d’accompagner chaque usager dans le respect de son parcours de soin et de vie, et à partir de la spiritualité singulière qui s’exprime chez ce dernier. Et ce, même lorsque la foi ou la pratique religieuse n’y apparaît pas comme une référence explicite. En effet, la spiritualité est comprise par les ISS comme une dimension constitutive de toute personne. Celle-ci touche, sur le plan anthropologique, à la quête de sens, aux valeurs, aux engagements, aux relations et au désir d’inscrire ou non une transcendance au cœur de son existence.
Dans ce contexte, Élaine Godard souligne continuellement l’importance de l’accueil sans jugement et de l’accompagnement inconditionnel qui doit être au fondement de la posture clinique et professionnelle de l’ISS. Pour elle, «l’acte de l’aide médicale à mourir est un événement nouveau pour la société québécoise. Il est le reflet d’un changement de valeurs culturelles et sociales». Il n’est donc pas étonnant que cela soulève des problèmes éthiques et des enjeux de conscience, sur le plan moral et religieux, chez certains ISS autant que chez les proches de la personne qui fait le choix de l’AMM. Toutefois, Élaine Godard, en conformité avec l’esprit de la Loi concernant les soins de fin de vie, rappelle que la décision finale «n’appartient qu’à celui ou celle qui souffre».
Accompagner jusqu’au bout
Cela implique, pour l’entourage du malade, incluant pour le personnel soignant, un certain «lâcher-prise». L’auteure précise «qu’au-delà de nos propres croyances ou de nos propres convictions, en tant qu’intervenant(e) en soins spirituels, nous devons favoriser un climat d’accueil et d’acceptation de la décision qui a été prise». Elle ajoute, avec une grande justesse, que nul ne doit «se prendre pour Dieu en tentant de décider à la place de l’autre, en essayant de le faire changer d’avis et de le culpabiliser». Si l’ISS peut contribuer au discernement éthique de la personne qui envisage de faire une demande d’AMM, la finalité de son intervention doit toujours demeurer celle du respect de la liberté et de la conscience du patient. Sur ce point, l’auteure cite d’ailleurs judicieusement les évêques suisses qui, dans un excellent document intitulé Attitudes pastorales face à la pratique du suicide assisté, écrivaient en 2019 : «L’Église a pour mission d’annoncer l’amour infini du Christ et c’est dans cet amour qu’elle doit entourer et soutenir toutes les personnes. Dans ce sens, aucun chrétien ne peut se dérober à son devoir d’accompagner, avec amour et charité, quiconque se trouve dans de telles situations». Ces mêmes évêques ajoutaient que l’intervenant en soins spirituels est convié à «manifester la miséricorde de Dieu qui continue à aimer celui qui se donne la mort, qui le jugera en vérité, mais avec amour».
Un guide pratique
À la lumière de ces prémisses, ce livre se présente donc comme un guide pratique pour la mise en place par l’ISS, d’un accompagnement humain et spirituel personnalisé dans le contexte de l’AMM. Élaine Godard offre un cadre et des outils pour bâtir des rituels d’adieu avec la participation des proches, souvent en un très court laps de temps, afin d’honorer la dignité et l’héritage de vie de la personne qui recevra l’AMM. En plus de donner une dimension symbolique et solennelle à ce geste, une telle célébration favorisera la circulation de la parole, de la réconciliation et du don autour de celui ou celle qui va nous quitter, tout en facilitant le deuil des proches. Puisque les décès par AMM impliquent un passage de la vie à la mort quasi instantanée, la trame rituelle qui sous-tend les propositions de l’auteure est attentive à donner l’espace de transition nécessaire pour absorber une telle réalité.
Ainsi, ce livre propose une démarche méthodique, des canevas de relecture de vie, et des outils (textes, chants, gestes symboliques) pour créer, guider et animer de tels rituels. Fait à noter : Élaine Godard a eu le souci d’aller chercher des références dans plusieurs grandes traditions religieuses (chrétienne, juive, musulmane et hindoue) ainsi que dans les sagesses séculières. Remercions-la pour son approche respectueuse et humaine de cette nouvelle réalité qu’est l’AMM. Son guide pratique, destiné d’abord aux ISS, pourra rejoindre aussi toute personne ayant à accompagner des gens dans ce contexte particulier.
Marco Veilleux, intervenant en soins spirituels









































