La docteure Valérie Julie Brousseau se dit «extrêmement inquiète de ce qu’il se passe actuellement dans les résidences des communautés religieuses», où plusieurs cas de COVID-19 s’accumulent.
C’est cette chirurgienne qui, lors de la première vague de la pandémie, a rencontré plusieurs responsables de congrégations afin de les sensibiliser aux conséquences d’une contagion dans leurs couvents et infirmeries. Celle qui a aussi mis sur pied ce printemps des équipes volantes afin d’aller prêter main-forte aux communautés religieuses aux prises avec la COVID-19 reçoit aujourd’hui de troublants rapports des responsables sanitaires de différentes régions. Ce sont les observations et les questions que notent des intervenants de la santé publique après avoir cogné à la porte des communautés religieuses, un milieu jusqu’alors peu connu des autorités gouvernementales.
Cette semaine, un collègue affolé annonce à la docteure Brousseau qu’une religieuse disait préparer une soirée festive, la veille de Noël, dans la résidence qu’elle dirige. Trente-cinq religieuses, qui y vivent «comme une vraie famille», sont attendues à ce réveillon. De plus, dans cette maison, «le port du masque et la distanciation ne sont pas bien respectés dans les aires communes», a aussi observé ce visiteur de la santé publique. Quant à la cafétéria où se tiendra la fête, «elle est bien trop petite pour accueillir autant de personnes».
«Docteure, pouvez-vous intervenir… très rapidement?», demande-t-il à la docteure Brousseau, une laïque qui a déjà songé à la vie religieuse.
«La sœur responsable a dit à l’infirmière qu’elle considérait que sa congrégation était une bulle de 35 personnes», a noté dans son rapport d’inspection un autre intervenant. «Voyons, lance Valérie Julie Brousseau, aucun expert n’a jamais déclaré qu’une bulle familiale peut contenir 20 personnes». Non, «une communauté, ce n’est pas une famille», lance-t-elle, peu importe si ses membres vivent ensemble depuis 25 ans.
Dans un milieu frappé par une éclosion, un intervenant rapporte à la docteure que «deux religieuses auraient continué à donner la communion à toutes leurs consœurs malgré les consignes d’isolement». Aussi sollicite-t-il, lui aussi, son aide pour contrer ce «genre d’écarts qui démobilisent les équipes soutenant ces milieux».
«Puisque vous connaissez très bien ces milieux et que vous avez été impliquée dans la rédaction d’un guide pour la prévention de la transmission de la COVID-19, nous pensons que vous pouvez nous aider à identifier des stratégies qui permettent de favoriser l’adhésion aux consignes de gestion d’éclosion dans le respect de la vie consacrée», lui a-t-on écrit cette semaine.
Valérie Julie Brousseau refuse d’identifier publiquement les congrégations religieuses où des interventions de la santé publique ont récemment été faites.
Mais la chirurgienne assure que certaines refusent obstinément de réfléchir aux risques que leur mode de vie communautaire entraîne. «Il y a chez elles beaucoup de… nonchalance, c’est le terme le plus poli que je vais employer», dit-elle, fâchée d’apprendre, par exemple, que des équipement de protection individuelle (EPI), fournis par les autorités sanitaires aux RPA – et donc aux communautés religieuses – sont utilisés de façon inadéquate lorsque des religieux ou des religieuses vont visiter leurs consœurs et confrères, malades ou non, dans leurs chambres.
Sans compter que des communautés n’exigent pas le lavage des mains lorsque leurs membres pénètrent dans la chapelle ou la cafétéria de la communauté. «Désolée, mais dans une RPA, vous devez vous laver les mains avant d’entrer dans une pièce commune.»
«Quant au port du masque dans les corridors du couvent…», soupire-t-elle, sans terminer sa phrase.
Des communautés ont même refusé l’entrée des responsables de la santé publique à l’intérieur de leur résidence. «C’est le cas de congrégations masculines», déplore-t-elle sans, encore une fois, vouloir les identifier.
Au printemps dernier, la docteure Brousseau a beaucoup travaillé avec la Conférence religieuse canadienne, l’organisme qui regroupe les chefs de la plupart des congrégations du pays. «Je sais que je dérange un peu», reconnaît-elle. «Mais c’est pour leur bien.» Elle sait que plusieurs responsables religieux, y compris des évêques, n’ont pas du tout apprécié qu’elle se soit rangée du côté du gouvernement québécois lorsque, au mois de septembre, il a été décidé de limiter à 25 ou à 50 personnes le nombre de personnes pouvant entrer dans un lieu de culte.
En septembre dernier, elle reconnaissait aussi que «chez les leaders religieux, on veut être indépendants, faire ce qu’on veut» et qu’«on n’aime pas être restreints». Mais en temps de pandémie, c’est plutôt «le temps d’être humble, de demander de l’aide et de se faire accompagner», avait-elle osé lancer aux chefs religieux.
Trois mois plus tard, la docteur Valérie Julie Brousseau ne peut que constater, avec beaucoup d’amertume, que son conseil n’a pas été entendu.
Conseils aux congrégations
Les résidences de communautés religieuses, comme toutes les RPA, doivent mettre en place des mesures sanitaires afin de contrer la propagation du coronavirus. Quelles consignes les religieux et religieuses, peu importe leur âge, doivent-ils scrupuleusement respecter? Voici les 11 conseils de la docteure Brousseau.
- Mettre un masque dès qu’on sort de sa chambre.
- Se laver les mains dès qu’on entre ou sort d’une pièce commune.
- Respecter strictement les ordonnances émises par l’équipe de la santé publique après une intervention dans une résidence.
- Fragmenter la communauté en bulles distinctes de huit personnes au maximum. Aucun contact entre les membres de bulles différentes.
- Que les religieux et religieuses n’aient aucun contact avec le personnel, à moins que des soins de santé soient nécessaires.
- En zone rouge, et surtout en cas d’éclosion, l’infirmerie est interdite, non seulement à tous les visiteurs, mais aussi à tous les religieux ou les religieuses qui habitent la maison.
- S’assurer que, peu importe leur âge, tous les membres de la maison respectent les règles. Tous doivent veiller à ce que leurs confrères et leurs consœurs les respectent.
- Demander de l’aide en gestion… avant une éclosion. Lorsque survient une éclosion, les responsables de la communauté seront aussi tenus de s’isoler. Une équipe devra prendre en charge la résidence. Engager déjà des agents de sécurité responsables de veiller au respect des consignes sanitaires.
- Aucun rassemblement, à la chapelle ou au réfectoire, de plus de 25 personnes. Respect constant de la distanciation.
- En cas d’éclosion, pas de communion dans les chambres. Célébrations et rassemblements interdits.
- À Noël, aucune fête avec des religieux ou des religieuses qui ne font pas partie de notre bulle. Lors de ces rencontres, respecter toutes les règles sanitaires. Éviter toute distribution de présents ou de cartes de souhaits de chambre en chambre.
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